Je ne me reconnais pas toujours dans le concept d’entreprise libérée. J’en ai visité plusieurs : j’y ai vu des choses intéressantes, enthousiasmantes, mais aucune ne m’a complètement convaincue. Comment donner des perspectives d’avenir quand on décide de supprimer tous les niveaux hiérarchiques, par exemple ? À long terme, je ne suis pas sûre que les salariés s’y retrouvent. Et puis le côté gourou de certains chantres de l’entreprise libérée me gêne un peu…
Je l’ai rencontré au cours d’un voyage organisé par l’Association progrès du management (APM) en Finlande, il y a cinq ans. Enthousiasmée par son discours, je lui ai demandé comment je pouvais engager cette démarche. Il m’a dit qu’il était universitaire et que je n’avais qu’à me débrouiller (éclats de rire).
Alors j’ai lu, réfléchi, discuté, fait mûrir ce projet qui répondait à une envie profonde : aussi loin que je m’en souvienne, je ne me suis jamais sentie très à l’aise dans les structures hiérarchiques. Ça ne veut pas dire que les salariés étaient mal traités chez Schmidt : au contraire, l’entreprise a toujours été pétrie des valeurs humaines qui sont aujourd’hui le terreau de la démarche. Mais j’ai eu envie d’autre chose. Alors quand de nouveaux managers sont arrivés, dont la nouvelle DRH Patrice Casenave, je me suis dit que c’était le moment d’y aller.
Nous sommes en train de construire quelque chose qui nous ressemble : ça prend du temps, on expérimente, on tâtonne, on avance… Mais c’est un chemin sans fin, qui doit trouver son propre équilibre. Je ne veux pas que tout repose sur moi.
Les valeurs de l’entreprise ont toujours tourné autour de la confiance, la coopération, la bienveillance. Finalement, la philosophie Be Schmidt en reste très proche. La vraie rupture, c’est d’oser dire que le plaisir est au centre de l’étoile.
Je suis consciente que parler de plaisir à des ouvriers est délicat. Mais je me rends compte qu’ils ont une approche très simple et pragmatique du plaisir : se parler simplement, passer de bons moments ensemble, prendre un café-croissant… Plus de la moitié des participants aux groupes de travail Be Schmidt sont des opérateurs. C’est une vraie satisfaction.
Finalement, les cadres ont une approche moins claire du plaisir au travail. Mais je comprends leurs craintes : avec Be Schmidt, ils ne savent pas trop où ils vont et peuvent avoir peur de perdre leurs repères et une forme de pouvoir. Je leur explique que le postulat de la démarche, c’est l’engagement de chacun : « Vous voulez prendre des responsabilités ? Assumez-le, prenez des initiatives. Si personne ne vous suit dans votre projet, eh bien tant pis pour vous. Vous ne pouvez pas tout attendre de l’entreprise ! »
Les robots sont venus apporter du confort de travail et réduire la pénibilité. Les ouvriers l’ont compris : ils voient dans l’automatisation une aide plutôt qu’une menace. Mais il est clair que les robots remplacent certains postes et font évoluer les métiers. Si la robotisation ne détruit pas d’emploi, c’est parce que nous sommes en croissance. À mon sens, plus que les robots, c’est l’intelligence artificielle qui devrait faire peur : comment faire en sorte qu’elle génère de la valeur ajoutée sans détruire trop d’emplois tertiaires ? C’est une vraie question…
La Chine, c’est d’abord un nouveau territoire commercial : nous y avons ouvert 507 magasins que nous approvisionnons localement, avec nos usines chinoises. Mais tout le monde sait, chez Schmidt, qu’on ne peut pas produire et vendre des meubles sur mesure à distance. Il n’y a aucun risque de délocalisation. Alors oui, les volumes en Chine donnent le vertige. Mais si le business ralentit chez nous, ce marché prendra peut-être le relais et équilibrera notre croissance. C’est aussi un gage de pérennité.
43 ans
1995
Maîtrise de gestion et master en management stratégique.
1995
Chef de groupe dans la publicité (agences Kenya et groupe Publicis).
2000
Rejoint le service marketing de la Salm (Société alsacienne du meuble).
2006
Présidente de la Salm, devenue Schmidt Groupe en 2016.