logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Anne Leitzgen libère les initiatives chez Schmidt Groupe

Décodages | publié le : 03.04.2017 | Sabine Germain

Image

Anne Leitzgen libère les initiatives chez Schmidt Groupe

Crédit photo Sabine Germain

Arrivée à la tête de l’entreprise familiale en 2006, Anne Leitzgen imprime sa marque au fabricant alsacien de cuisine sur mesure Schmidt en automatisant la production et en libérant les initiatives.

L’équipe RH a pris ses quartiers dans l’un des bâtiments du siège alsacien de Schmidt Groupe, qui fut longtemps le domicile de la famille fondatrice.

Depuis dix ans, c’est l’une de ses deux filles, Anne, 43 ans, qui dirige ce groupe de 1 500 « vrais » salariés, auxquels s’ajoutent les 5 500 collaborateurs des 710 magasins Schmidt et Cuisinella, qui constituent « l’entreprise élargie ». Ces points de vente sont en effet exploités par des concessionnaires : des chefs d’entreprise indépendants que le groupe s’efforce d’embarquer dans la démarche managériale impulsée par sa jeune dirigeante aux envies aussi ébouriffantes que son look « piercing et crinière folle ».

Oser le plaisir

Libérer les énergies pour développer la création et l’innovation : c’est la philosophie du programme Be Schmidt, « écrit de façon collective pour affronter le monde de demain », explique Patrice Casenave. Largement inspiré des principes de l’entreprise libérée, ce programme a été élaboré en 2015 par un groupe de travail de 30 personnes qui a dessiné une étoile de la performance à cinq branches (bienveillance, responsabilité, coopération, confiance et agilité) en plaçant en son cœur la notion de plaisir. « Avec Anne Leitzgen, nous étions favorables au principe du plaisir au sein de notre étoile en sachant pertinemment qu’il n’a pas le même sens pour tout le monde », poursuit Patrice Casenave.

Pour Jacky Seitz, conducteur de machine, le plaisir est quelque chose d’aussi simple que « ne pas avoir la boule au ventre en allant au travail ». À 50 ans, cet opérateur affichant trente ans de maison pourrait servir de porte-étendard à la méthode Be Schmidt : « En tant qu’ouvrier, on a souvent tendance à se mettre de côté, avoue-t-il. Entendre Anne Leitzgen nous demander, lors des séminaires Be Schmidt Days, de nous exprimer et de nous lâcher a été un moment très fort. Parallèlement, la formation Cléa – 100 heures de renforcement du socle de connaissances – m’a permis de prendre confiance en moi car j’avais des lacunes en écriture et en calcul. » Aujourd’hui, on n’arrête plus Jacky Seitz : « Je me suis investi dans le groupe de travail sur les valeurs et je participe à la conception de la nouvelle ligne de production semi-automatisée de la future usine U3. »

Après une année 2016 d’expérimentation, 2017 sera consacrée au déploiement de la démarche, « au partage des bonnes pratiques ainsi qu’à la formation et au coaching des managers », explique Patrice Casenave en insistant sur les soft skills que ces derniers ont choisi de travailler : « motiver en réunion, susciter le parler vrai, privilégier le management positif… » Une démarche qui ne va pas de soi pour tout le monde : « Il ne faut pas confondre entreprise libérée et liberté dans l’entreprise. Se libérer, c’est se responsabiliser et prendre des initiatives. »

Cette libération de l’initiative et ce droit revendiqué au plaisir ne vont pas forcément de soi : « Anne Leitzgen s’attaque avec beaucoup de courage aux valeurs germaniques d’autorité et à la culture familiale de cette entreprise profondément alsacienne », salue Gilles Godart, responsable de production. Ce n’est, du reste, pas un hasard si la méthode Be Schmidt a été engagée après le départ à la retraite de membres historiques du comité directeur. Certains managers n’en restent pas moins réticents : « On voit déjà certains lors des séminaires », poursuit Gilles Godart. « C’est une mutation difficile pour les managers qui doivent se remettre en question et accepter de voir leurs équipes prendre des initiatives », ajoute Joël Martin, chef d’atelier, « ou plutôt coach d’atelier », précise-t-il.

Joël Martin anime le groupe projet mobilisé pendant six mois pour concevoir la ligne semi-automatisée d’U3, la troisième usine du site de Sélestat qui ouvrira ses portes cet été. « Si ça ne marche pas, on ne pourra s’en prendre qu’à soi-même », estime Jacky Seitz, l’un des 10 membres du groupe projet. « Si ça ne marche pas, on aura toujours la possibilité de rectifier le tir », tempère Joël Martin.

Des robots contre la pénibilité

Le groupe familial a investi 40 millions d’euros dans cette nouvelle usine destinée à produire des meubles de rangement et des dressings : cette diversification dans l’ameublement sur mesure devrait représenter 30 % de l’activité en 2020. Elle s’inscrit dans le plan à cinq ans qui verra le groupe investir 150 millions d’euros entre 2015 et 2020 dans l’amélioration et l’automatisation de l’outil industriel. « Avec une quarantaine d’automates, U3 va doubler notre parc de robots », explique Gilles Godart. Ces bras agiles interviennent essentiellement entre les différentes lignes de production, « pour faire passer les pièces d’une ligne à l’autre sans effort physique pour les opérateurs », explique Jessica Nussbaum, assistante de direction d’U2, qui s’est portée volontaire pour organiser toutes les visites de « son » usine. « L’automatisation a amélioré les conditions de travail tout en réduisant les délais de livraison, poursuit-elle. De onze-douze semaines entre la commande en magasin et l’installation chez le client, nous sommes passés à six-huit semaines. »

Cela a aussi changé le métier des opérateurs. « Nous avons fait le choix de l’automatisation, mais nous accompagnons les opérateurs dans l’adaptation à leur nouveau métier », explique Patrice Casenave, 200 d’entre eux ont ainsi suivi des parcours de formation menant aux CQP (certificat de qualification professionnelle), CAP Cmafa (conducteur de matériels automatisés pour la fabrication de l’ameublement) et, depuis peu, bac pro Pmafa (pilote de matériels automatisés).

« Parallèlement, nous recrutons une centaine de personnes chaque année dans tous nos métiers, ajoute Géraldine Andres, responsable emploi et talents. Pour la production, il s’agit essentiellement de techniciens qualifiés en conduite de machine et ingénierie. » Enfin, l’entreprise a mis un coup d’accélérateur sur l’apprentissage, avec 11 bac pro, six BTS et quatre ingénieurs formés en alternance.

« N’allez plus dire aux gamins qui ne travaillent pas à l’école qu’ils finiront à l’usine ! L’industrie a besoin de personnes de plus en plus qualifiées », estime Anne Leitzgen. Mais pas question d’imposer cette mutation à marche forcée : « Les opérateurs ont eu le temps de se rendre compte que tous les investissements servent la pérennité de l’entreprise et de l’emploi, observe Patrice Casenave. De plus, nous avons toujours pris soin de les impliquer dans nos réflexions sur l’organisation des postes de travail. »

« “Soignez vos collaborateurs, ils soigneront votre business.” Cette phrase de Richard Branson, le fondateur de Virgin, m’a toujours guidé, explique Alexandre Brunet, responsable du magasin Schmidt de Rezé, près de Nantes. Elle me semble aussi bien résumer la culture managériale que le groupe souhaite faire partager à ses partenaires. » Les 710 magasins aux enseignes Schmidt et Cuisinella sont en effet exploités par des concessionnaires qui restent des chefs d’entreprise indépendants employant en moyenne huit à neuf salariés.

Un Pacte employeur pour le réseau de concessionnaires

« Nous considérons que ces concessionnaires font partie de la grande famille Schmidt Groupe », explique Patrice Casenave en insistant sur le fait que « leurs équipes sont en relation directe avec les clients. La qualité de la relation H to H (human to human) est donc cruciale. »

Tous les concessionnaires n’en sont pas conscients : faire partager des valeurs managériales à un réseau de commerçants indépendants est l’une des principales difficultés des enseignes de franchise. Difficulté qui tient en un chiffre : le turnover est monté jusqu’à 38 % par an. « En deux ans, nous avons réussi à le ramener à 24 %, se réjouit Patrice Casenave en détaillant les grandes lignes du Pacte employeur rédigé par la commission RH du réseau. Il est porteur de l’ADN Schmidt : être les meilleurs, respecter chacun, réussir ensemble. L’idée est que chaque manager en fasse sa feuille de route. »

Un guide de déploiement du Pacte employeur a été remis à chaque concessionnaire. « Son leitmotiv : partager la vision et donner du sens », précise Patrice Casenave en admettant qu’il n’est pas facile de donner de véritables perspectives de carrière quand on n’emploie que cinq à dix salariés. « Je comprends très bien qu’un vendeur-concepteur n’ait pas envie de le rester toute sa vie, commente Alexandre Brunet. Le Pacte employeur nous amène à créer des passerelles au sein de l’entreprise étendue. Il m’a également permis de prendre de la hauteur par rapport à mon métier. »

C’est toute la magie de la démarche : accorder plus de valeur(s) aux concessionnaires en les aidant à valoriser leurs salariés. L’Euro Forum, réunissant tous les deux ans l’ensemble du réseau, en est l’un des temps forts : « Un frisson d’émotion a parcouru la salle quand l’un des concessionnaires a raconté comment il a pu relancer son point de vente, au bord de la faillite, en s’appuyant sur son équipe, ajoutete Géraldine Andres. Nous avons aussi fait vivre de belles émotions aux vendeurs en leur expliquant qu’ils pouvaient, eux aussi, en faire vivre à leurs clients. » Et générer jusqu’à 1 million d’euros de chiffre d’affaires chacun, « à condition que leur manager sache les motiver », ajoute Géraldine Andres.

Durant dix ans, Paul Bouamar a enchaîné les CDD et les missions d’intérim chez PSA à Mulhouse. Il a rejoint Schmidt Groupe il y a dix-huit mois : « J’ai immédiatement été intégré en CDI au poste de chef d’équipe, explique le jeune titulaire d’un BTS Assistant technique d’ingénieur. J’y ressens très fortement l’empreinte familiale. »

L’Alsace et la famille au cœur

Depuis qu’elles ont repris les rênes de l’entreprise familiale, Anne Leitzgen et sa sœur aînée Caroline, directrice marketing, n’ont eu de cesse d’exorciser leur principale angoisse : la première génération crée l’entreprise, la deuxième la développe et la troisième la coule. Après avoir suivi une formation en Family Business à l’IMD de Lausanne (Institute for Management Development), elles ont rédigé une charte familiale excluant les « pièces rapportées » de l’actionnariat.

Ce sont précisément ces valeurs qui ont conduit Patrice Casenave à quitter Paris et la direction des ressources humaines de Fauchon pour rejoindre l’Alsace et le groupe Schmidt. « Concilier l’économique et le social, ce n’est pas qu’un discours : c’est vraiment dans les gènes de l’entreprise. » Elle reconnaît toutefois qu’il n’est pas facile de faire venir des jeunes talents dans la vallée de Lièpvre. Mais cette implantation est non négociable : parce que c’est l’histoire de l’entreprise, et parce que l’Alsace est à un jour de camion de toute l’Europe. L’ameublement sur mesure est une activité industrielle non délocalisable : c’est une des forces économiques du groupe, et c’est aussi son ciment social. La preuve : Martial Clément est parti plusieurs fois en Chine former des opérateurs et des chefs d’équipe des sites de production locaux. Signe particulier : il est le délégué CGT du groupe. L’aventure chinoise ne pose pas de problème.

CHIFFRES CLÉS

• Pôle de production :

1 500 salariés.

6 usines.

436 millions d’euros de chiffre d’affaires.

• Entreprise élargie :

710 concessionnaires.

710 collaborateurs.

1,4 milliard d’euros de chiffre d’affaires.

Source : Schmidt Groupe

Auteur

  • Sabine Germain