« Un nombre croissant de travailleurs, de consommateurs et de citoyens refusent de continuer à être les petits soldats disciplinés de l’ordre social hérité des Trente Glorieuses », écrit Thierry Pech, directeur général du think tank Terra Nova, dans cet essai brillant à l’écriture ciselée.

Première évolution marquante, les travailleurs contestent de plus en plus la subordination du salariat. L’autonomie tend à régresser depuis vingt ans au profit du travail prescrit, et en matière de management participatif et d’implication des salariés, « le tableau est moins rose qu’on le prétend souvent dans les livres de management », écrit l’auteur, convaincu que « le salariat n’est plus l’horizon directeur des agents économiques ». Mais « le leadership culturel des multiples figures de l’entrepreneur contemporain » (startupers, auto-entrepreneurs, hackers, indépendants, créateurs d’association) ne constitue pas, pour autant, « le témoignage d’un retour en grâce de l’entreprise ». Une entreprise dont le modèle collectif et hiérarchisé est au contraire profondément remis en cause.

Insoumissions croissantes aussi du côté des consommateurs: connectés, défiants à l’égard des producteurs, des prix, de la publicité, qui s’éloignent d’une offre standardisée et d’une consommation de masse, aiguisent leur esprit critique, aspirent à consommer autrement. Enfin, insoumissions des citoyens, qui touchent particulièrement les classes populaires, mais aussi les professions intermédiaires et les classes moyennes inférieures, par crainte du déclassement. Des catégories peu représentées dans les partis politiques, les syndicats et même les associations, et qui souffrent d’une « invisibilité sociale et publique » entre les périodes électorales, souligne Thierry Pech. Des catégories en demande d’autorité et de protection, plutôt que de liberté individuelle et d’émancipation, et réceptives au discours du FN.

Au final, les insoumis poussent dans des directions souvent opposées, relève l’auteur. Appelant de ses vœux la mise en place de nouveaux canaux de délibération et de légitimité ainsi que l’élaboration d’un nouveau cadre collectif. « Les représentants du progressisme devraient avoir à cœur de porter la voix de tous les outsiders, celle de l’entrepreneur comme celle du jeune ouvrier précarisé. Pour cela, ils doivent réviser leur compréhension des inégalités », plaide Thierry Pech. Des inégalités de rapport à l’avenir (situation professionnelle, niveau de qualification, position sur le territoire) plus que de revenus, selon lui. Ce qui impose d’attacher la protection sociale aux personnes plutôt qu’au statut d’emploi: « Elle deviendra ainsi le statut de ceux qui n’en ont pas. »

Insoumissions. Portrait de La France qui vient, Thierry Pech. Editions Seuil. 240 pages, 18 euros