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Recruter des gens en difficulté

Décodages | publié le : 06.03.2017 | Clotilde de Gastines

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Recruter des gens en difficulté

Crédit photo Clotilde de Gastines

Certaines osent par solidarité. D’autres sont obligées d’en passer par là pour gagner des marchés publics ou encore pour faire baisser leurs rétributions à l’Agefiph. Les entreprises qui souhaitent engager les travailleurs dans une démarche d’insertion n’ont pas forcément l’expertise pour mener à bien cette mission. Elles font donc appel à des structures spécifiques mises en place dans ce but.

Une personne au profil atypique donne en général beaucoup, alors qu’une autre aura un CV de rêve et des diplômes, mais ne vaudra pas un coup de cidre. » Yves-Charles Boccassini parle en connaissance de cause : son parcours scolaire a été plutôt chaotique. Ce jeune quadra a repris l’entreprise familiale d’emballages Bocca-Sacs sur le Marché d’intérêt national (Min) de Rungis avec son frère, en 1999. Il plaide pour que les employeurs soient plus ouverts. « Un jour, une jeune femme est arrivée les mains dans les poches sans CV ni rien, mais elle avait envie de travailler. Ça m’a suffi pour la recruter. » C’est son combat. « Quand on est patron, on ne peut pas être rentier, on a un devoir civique et un rôle social », dit avec conviction celui qui a travaillé avec la Fondation M6 et Sodexo justice services pour la réinsertion d’anciens détenus lorsqu’il dirigeait le Centre des jeunes dirigeants (CJD) du Val-de-Marne (94) entre 2012 et 2014. Suivi de son golden retriever, il salue plusieurs de ses employés, notamment Christèle, une force de la nature qu’il a embauchée comme préparatrice de commandes et conductrice de chariot de manutention Fenwick, un métier à forte composante masculine. Il lui a permis de sortir d’un emploi précaire avec l’aide de Stéphane Vulfranc, fondateur du groupement d’employeurs de Rungis (GER), une association à but non lucratif qui compte 80 adhérents.

Il est 8 h 30 du matin. Le responsable reconnaît d’anciens salariés du groupement dans presque chaque bâtiment des 234 hectares du site. Depuis cinq ans, le GER met à disposition de ses adhérents des salariés à temps plein ou à temps partiel, de la formation et de l’accompagnement en ressources humaines. Il prend en charge toutes les démarches administratives et se rémunère en appliquant un coefficient de 1,85 sur le brut du salarié. « Nous embauchons en CDI et, au bout de trois mois, l’entreprise a la possibilité d’intégrer le salarié dans ses effectifs », explique Stéphane Vulfranc. Cette phase de prérecrutement sécurise les entreprises, souvent familiales, dont l’activité en flux tendu sur le Min ne laisse pas le temps de procéder à des recrutements. Côté salariés, le GER informe sur les conditions réelles de travail. Il faut être debout huit heures d’affilée et commencer dans le froid au petit matin. Certains ne supportent pas et s’en vont rapidement quand d’autres sont fascinés et volontaires alors qu’à première vue leur CV est « invendable ». « Ici, on dit “Rungis un jour ou Rungis toujours”, sourit le patron du GER du haut de la mezzanine qui surplombe la halle des fruits et légumes, et on donne sa chance à celui qui en veut. » Le groupement compte 50 salariés et connaît un flux de 15 entrées et 15 sorties par mois en moyenne. L’association a développé un site pour recevoir les candidatures spontanées. L’équipe d’animation reçoit en entretien des candidats issus de chantiers d’insertion de l’Association nationale des épiceries solidaires (Andes), de la mission locale de Fresnes, de l’école de la 2e chance du département ou encore des demandeurs d’emploi accompagnés par les villes de Rungis et d’Orly. En cinq ans, le GER a signé 450 contrats et 183 salariés ont été engagés en CDI. Vendeurs sur le carreau, comptables, caissières, préparateurs de commandes, le GER place des professionnels très divers et s’adapte aux besoins de recrutement des entreprises en pleine évolution, notamment sur la logistique et l’export avec l’émergence des outils numériques. « Le GER permet d’avoir une personne opérationnelle, même quand la politique salariale d’embauche est bloquée au niveau du groupe », se réjouit Antoine Boyer. Le directeur général de Prodilac, un grossiste en produits laitiers, n’est pas gêné par le manque d’expérience des salariés qui lui sont présentés. « Les profils atypiques, c’est typique à Rungis. Et les gens à problèmes aussi. On en a eu des sévères », s’exclame-t-il. Le manager a beau jeu de souligner les difficultés de certains salariés. En réalité, c’est le GER qui oriente les salariés mis à disposition et qui rencontrent des difficultés personnelles vers des partenaires locaux (mission locale, mairies, conseillers juridiques ou associations) quand il s’agit de trouver une solution de garde d’enfants, de logement ou de transport, voire parfois de désendettement. De son côté, Abdelwahed Jeder a passé le certificat d’aptitude à la conduite en sécurité (Caces) dont il avait besoin pour retrouver une stabilité professionnelle. Une fois certifié, le GER l’a mis à disposition chez Médelys, alors que la mixité des origines n’est pas la norme dans ce secteur de l’alimentaire et de la gastronomie fine. « Nos adhérents nous font confiance car ils savent que notre accompagnement est un levier de performance », affirme Stéphane Vulfranc, qui voit sa structure comme une entreprise totalement solidaire. Si, avec 1,5 million d’euros de chiffre d’affaires en 2015, le GER est une réussite, il le doit en partie au soutien de la région Île-de-France et à celui de la Fondation de France, qui a soutenu, entre 2012 et 2015, une douzaine d’autres projets d’insertion dans l’emploi dans toute la France.

Partout en France.

En Basse-Normandie, huit employeurs (associations non lucratives, professionnels libéraux et hôpital public) se sont regroupés en association – la MCE-M3S – pour mutualiser leurs ressources. Les salariés du secteur médico-social connaissent l’usure professionnelle et les entreprises ont des difficultés à recruter et à fidéliser des CDD. Les adhérents de la MCE-M3S partagent une CVthèque et diffusent des offres d’emploi au sein de leur réseau. Ainsi, les soignants qui exercent en maison de retraite et en hospitalisation à domicile peuvent avoir des temps complets sur plusieurs structures et accéder à des formations coconstruites. « Cette coopération permet de sécuriser les parcours professionnels des personnels parfois usés ou précarisés et d’améliorer la prise en charge des malades et des personnes âgées dans notre zone plutôt rurale », explique Christèle Dreux, chargée de mission pour l’un des moteurs du projet de l’Union régionale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (Uriopss) Normandie-Caen.

À Carvin (Nord), le centre communal d’action sociale (CCAS) met ses services à disposition des habitants et d’une cinquantaine d’entreprises locales regroupées dans un club d’entreprises. La structure communale aide au recrutement et au maintien dans l’emploi en aidant les salariés qui rencontrent des problèmes de logement, de garde d’enfants ou de surendettement. « A priori, ce sont des difficultés que l’entreprise n’a pas vocation à régler. Nous nous chargeons donc de trouver des solutions concrètes », explique Françoise Le Quelenec, responsable du CCAS. « Quand un salarié rencontre une difficulté de ce genre, ajoute-t-elle, on s’engage à le recevoir dans les quarante-huit heures pour qu’il rencontre notre conseillère spécialisée en économie sociale et familiale. » Bernard Bauby, directeur d’un fast-food à Carvin, s’est tourné à plusieurs reprises vers le club d’entreprises, dont il fait partie, pour résoudre des problèmes de logement de ses salariés. « Un restaurant, c’est comme une petite famille. Quand un salarié éprouve des difficultés, on l’accompagne, c’est tellement normal. »

En 2012, la métropole de Rennes a imposé une clause sociale aux entreprises qui répondaient aux appels d’offres sur les grands chantiers qu’elle engageait pour huit ans, comme la seconde ligne de métro, le centre des congrès, la cité internationale ou les chantiers de rénovation urbaine. Pour décrocher les marchés publics, les entreprises de BTP ont été contraintes de recruter des personnes en insertion et des jeunes en formation pour une durée minimale de deux ans. Les entreprises qui n’avaient pas de démarche RSE (responsabilité sociétale des entreprises) ont bénéficié de l’aide de la maison de l’emploi, de l’insertion et de la formation professionnelle du bassin d’emploi de Rennes (MEIF). « Les entreprises de travail temporaire avaient d’abord une motivation commerciale, mais cette logique, d’abord contrainte et intéressée, est devenue pour certaines un vrai engagement interne », remarque Julie Guyomard, coordinatrice pour la MEIF. « Une fois que les outils sont développés, la clause devient un vecteur de recrutement puisque les entreprises ont besoin de prouver qu’elles répondent à leurs obligations », affirme-t-elle.

Les grands groupes eux-mêmes, alors qu’ils sont dotés d’un service de ressources humaines important, assurent leurs arrières en s’appuyant sur des structures externes pour atteindre leur obligation légale de 6 % de travailleurs handicapés. « On a beau avoir du personnel médical ou des responsables de mission handicap, on n’a pas toujours la connaissance de tous les types de handicaps », explique Claude Boumendil, directeur de la RSE pour ST Microelectronics France. Fort de 10 000 salariés en France, le groupe est fortement implanté en Isère, où se trouve un groupement d’employeurs dédié aux personnes reconnues travailleurs handicapés (GETH). Celui-ci met à la disposition de sa trentaine d’adhérents des salariés ayant une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) embauchés en CDI ou en CDD. Il accompagne salariés et entreprises pendant tout le temps du contrat.

« Recruteurs, travaillez votre employeurabilité! »

« Employeurabilité ». C’est avec ce néologisme, assez proche du barbarisme, que la Fédération nationale des Clubs régionaux d’entreprises partenaires de l’insertion (Crepi) s’adresse à ses 1 421 entreprises adhérentes. Pendant de l’employabilité côté salarié, « l’employeurabilité signifie que les recruteurs doivent faire des efforts sur leurs pratiques ». Florence Emanuelli, déléguée nationale, conseille à ses adhérents d’être honnêtes sur leurs attentes et leurs difficultés tout en ayant un esprit ouvert envers des personnes qui ne correspondent pas forcément aux profils standards. Aux TPE qui n’ont ni fonction RH ni directeur de la RSE, le Crepi fournit un guide de l’entrepreneur responsable. Il analyse aussi la pyramide des âges pour anticiper les besoins de main-d’œuvre. Depuis quelques années, les adhérents participent à des journées portes ouvertes destinées aux demandeurs d’emploi. Ces « rallyes pour l’emploi » sont organisés sur un même bassin économique pendant trois jours. « Les rencontres sortent ainsi du cadre de discussion très formel des entretiens d’embauche et permettent de changer le regard des employeurs sur les demandeurs d’emploi. » Le Crepi propose aussi aux entreprises de participer à des actions de parrainage. « On constitue un réseau de parrains-marraines, on demande aux missions locales et à Pôle emploi des profils de candidats éloignés de l’emploi, puis on organise une session de lancement conviviale autour d’un petit déjeuner. Les binômes se forment au feeling ou selon le secteur d’activité. » Le parrain pourra ensuite coacher son filleul et, s’il le souhaite, lui ouvrir ses réseaux.

Auteur

  • Clotilde de Gastines