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Infractions routières : les entreprises mises à l’amende

Décodages | publié le : 06.03.2017 | Nicolas Lagrange

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Infractions routières : les entreprises mises à l’amende

Crédit photo Nicolas Lagrange

Depuis le 1er janvier, les entreprises encourent 675 euros d’amende si elles ne divulguent pas les noms des salariés verbalisés avec un véhicule de société. Une nouvelle obligation contestée, qui soulève de nombreux questionnements opérationnels et juridiques.

Jusqu’à l’année dernière, je payais les amendes routières de mes salariés. Désormais, en cas de retrait de points, je dois dénoncer l’identité du conducteur! » Patrick Liébus, patron d’une entreprise de couverture de cinq salariés et président de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb), fustige « une nouvelle obligation qui n’est pas dans la mentalité des artisans et qui ajoute une complication administrative », tout en précisant qu’il n’a « jamais été question de dédouaner les salariés qui commettent des infractions graves ».

En effet, depuis le 1er janvier, les entreprises qui reçoivent une contravention routière à la suite d’une infraction constatée sur un de leurs véhicules par un appareil de contrôle automatique1 doivent indiquer le nom et les coordonnées du contrevenant dans les quarante-cinq jours, par lettre recommandée ou par voie dématérialisée. Faute de quoi, elles se rendent coupables de non-divulgation, ce qui les expose à une amende de 675 euros, en vertu du nouvel article L121-6 du Code de la route (lire l’encadré ci-dessous). Une loi justifiée par des impératifs de sécurité routière, selon ses promoteurs. Il s’agit d’amener les entreprises à changer de comportement, 56 % des PME réglant jusque-là l’amende à la place de leurs salariés, selon une étude Ifop-MMA de mars 20162. Il s’agit aussi de faire reculer un possible sentiment d’impunité des salariés, puisqu’ils ne paient pas et ne perdent pas de points sur leur permis dès lors que leur employeur règle la facture. Au total, près de 2 millions de points par an ne seraient pas retirés aux auteurs des infractions, faute d’une divulgation de leur nom par leur entreprise, selon Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière. Une situation inacceptable pour les pouvoirs publics au vu des statistiques d’accidentologie : chaque année, selon les derniers chiffres de la Cnamts3, 50 000 accidents professionnels sont dus au risque routier, lequel constitue la première cause d’accident mortel au travail.

Pour autant, certaines entreprises n’ont pas attendu la nouvelle loi pour communiquer les noms des salariés contrevenants. C’est notamment le cas chez Airbus, Axa, La Poste, Total, XPO Logistics ou encore Michelin. Le géant du pneu multiplie les messages de sécurité, souligne Laurent Bador, délégué syndical central adjoint de la CFDT : « On nous répète, oralement et sur l’intranet, que nous ne devons pas prendre de risques, que nous devons privilégier la sécurité plutôt que le respect des horaires, bien prendre nos temps de repos, dormir à l’hôtel s’il le faut, etc. » Des messages qui insistent « sur les dangers du téléphone au volant, ajoute Jean-Christophe Laourde, délégué syndical central CFE-CGC chez Bibendum. Les commerciaux, notamment, sont incités à ne pas répondre tout de suite et à rappeler une fois leur véhicule arrêté. Sur le terrain, ces recommandations sont largement entrées dans les mœurs, même si le business peut parfois reprendre le dessus ».

Réticences.

Reste que, pour ses détracteurs, la « dénonciation » des conducteurs indélicats est parfois impraticable. « Avec un véhicule de location ou un véhicule de courtoisie, l’identification du contrevenant par le propriétaire est particulièrement compliquée, prévient Me Camille Delran, avocat à Nîmes. S’agit-il d’un employé de l’entreprise de location ou d’un client ? Comment tracer tous les mouvements et tous les conducteurs successifs, parfois plusieurs semaines après les faits ? » Jean-Lou Blachier, patron de PME et vice-président délégué de la CPME4, a vécu une situation compliquée à la mi-2016 : « J’ai reçu un PV pour un excès de vitesse commis avec la camionnette de mon entreprise. Deux salariés s’étaient relayés pour conduire et aucun ne reconnaissait être l’auteur de l’infraction. J’ai dû demander une photo, elle m’a permis de savoir qui conduisait. Mais que faire, demain, si la photo est floue ou si elle a été prise par l’arrière ? Ce sera ingérable, en plus d’être source de conflit au sein de l’entreprise. L’entreprise devra-t-elle payer ? » Pour assurer une traçabilité, la Sécurité routière préconise la mise en place de carnets de bord manuscrits ou numériques.

Autre reproche adressé à la nouvelle loi : elle ne tient pas compte de la spécificité de certains secteurs comme le transport routier. « Les chauffeurs qui parcourent 120 000 kilomètres par an sont davantage susceptibles de perdre des points, estime Nicolas Peyrot, secrétaire général de la CFTC à XPO Logistics (ex-Norbert Dentressangle). Ceux qui n’ont plus de point et qui ont dû restituer leur permis en préfecture peuvent choisir de ne pas le dire à l’employeur pour conserver leur travail. Avant, avec le DIF, ils pouvaient bénéficier d’une formation sans perte de salaire pour récupérer leurs points. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Cela nous a poussés à financer le coût de la formation pour nos adhérents. » Du côté des employeurs, la FNTR regrette que la loi se substitue au pouvoir de gestion du chef d’entreprise. « Nous ne nous opposons pas aux nouvelles règles, explique Erwan Poumeroulie, délégué aux affaires sociales et juridiques, mais nous souhaitons un permis à points spécifique pour les routiers ou des modalités de récupération de points plus rapides pour des infractions sans gravité et non réitérées. »

Pour éviter une conduite sans permis qui pourrait gêner leur activité et engager leur responsabilité pénale en cas d’accident, de nombreuses sociétés demandent une photocopie du permis. Sans que cela constitue une garantie à toute épreuve si la procédure n’est pas renouvelée régulièrement ou si l’original n’est pas vérifié. « Peut-être faudrait-il envisager de demander aux salariés de certifier qu’ils ont suffisamment de points pour conduire », s’interroge Patrick Liébus. Pour l’heure, le Code du travail l’interdit, même si certains acteurs du transport ont déjà évoqué cette éventualité avec les services de l’État. Mais les risques de contentieux pour les entreprises ne s’arrêtent pas là. Car les salariés qui paient désormais systématiquement leurs amendes depuis le 1er janvier et se voient retirer un ou plusieurs points pourraient se montrer plus exigeants envers leur employeur, tout comme les syndicats. Par exemple, le document unique d’évaluation des risques (Duer) mentionne-t-il le risque routier ? Établit-il un plan d’action avec des mesures de prévention précises ? Une obligation légale essentielle en cas d’accident… qui ne serait pourtant respectée que par 21 % des dirigeants de TPE-PME, seulement 17 % d’entre eux ayant mené au moins une action de prévention2.

Responsabilité.

« Au-delà du Duer, les entreprises ont tout intérêt à mettre en place des procédures rigoureuses, assure Erwan Poumeroulie. Le règlement intérieur ou une note de service peuvent préciser les comportements attendus sur la route et les sanctions prévues en cas de non-respect. Une charte de bonne conduite peut aussi être remise aux salariés utilisant un véhicule de l’entreprise. Et il peut également y avoir des sessions de sensibilisation. » La formation aux risques routiers est d’ailleurs l’un des sept engagements pris par 23 grandes entreprises en octobre 2016 (lire l’encadré). « Il serait intéressant que Michelin propose systématiquement des stages d’éco-conduite et de sécurité », suggère d’ailleurs Jean-Christophe Laourde. La société Würth (3 700 salariés), qui vend des matériels de fixation et d’assemblage aux professionnels, sensibilise les managers tous les mois grâce à 14 saynètes vidéo et l’installation dans ses véhicules de systèmes antisomnolence. L’entreprise de transports de marchandises Daniel et Demont (50 salariés) utilise un système sonore embarqué qui se déclenche dès que les conducteurs dépassent 92 km/h pendant plus de cinq secondes. Des actions de prévention encore peu répandues, en dépit de l’obligation de moyens renforcés en matière de sécurité et de santé au travail qui pèse sur les entreprises.

Cette obligation inclut aussi, bien sûr, la mesure de la charge de travail, un sujet sensible et souvent mal appréhendé. « Lorsque les chauffeurs de sociétés de transport sous-traitantes sont soumis à une forte pression de leurs managers pour livrer à temps des colis express, par exemple, ils sont parfois amenés à ne pas respecter les règles », affirme Nicolas Peyrot, de XPO Logistics. Là encore, en cas d’accident, la responsabilité de l’employeur peut être recherchée s’il n’a pas mis en œuvre les moyens appropriés pour mesurer et contrôler la charge de travail et sensibiliser les managers. Un défi de taille pour les entreprises, à la mesure des implications pénales et financières éventuelles.

Une nouvelle amende de 675 euros

Le projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, approuvé par les parlementaires en octobre 2016, crée une nouvelle infraction pénale de non-divulgation à l’encontre des entreprises qui refusent de mentionner les coordonnées des salariés auteurs d’infractions routières constatées par un système de contrôle automatique. « La sanction est une amende de 675 euros (450 euros en cas de paiement rapide et 1 875 euros au-delà de quarante-cinq jours) payable par la personne morale, explique Me Camille Delran. Et la note peut s’alourdir en cas de récidive. Les entreprises ne peuvent demander une exonération que dans des cas très limités, si elles justifient de l’existence d’un vol, d’une usurpation de plaque ou d’un événement de force majeure. »

Cette nouvelle infraction s’ajoute aux règles déjà en vigueur qui imposent au représentant légal, souvent le chef d’entreprise, de payer sur ses deniers personnels le PV (pour excès de vitesse par exemple) s’il ne désigne pas l’identité du contrevenant. Pour un dépassement de 10 km/h en ville, il doit acquitter lui-même une amende de 135 euros. Car légalement, la personne morale (donc l’entreprise) ne peut pas payer l’amende, sous peine d’être poursuivie pour abus de bien social. C’est pourtant le cas le plus répandu mais les poursuites sont très rares. « Les chefs d’entreprise doivent cependant être vigilants, insiste Me Delran. Il y a quelques mois, un tribunal de police est allé jusqu’à enlever des points sur le permis d’un patron de la région bordelaise, alors qu’il n’était pas l’auteur de l’infraction. » Une situation exceptionnelle, là encore, même si un arrêt du conseil d’État de 2006 justifie ce type de décision.

Enfin, certaines entreprises règlent l’amende à la place de leur salarié et prélèvent ensuite la somme correspondante sur leur paie mensuelle alors que cette pratique est interdite.

Chiffres clés

10 A 15 % des flashs de radars concernent les véhicules d’entreprise, selon l’association Promotion et suivi de la sécurité routière en entreprise.

483 personnes ont été tuées en 2015 dans un déplacement lié à l’activité professionnelle (Onisr).

4 520 personnes ont été hospitalisées en 2015 après un accident sur le trajet domicile-travail ou au cours d’une mission (Onisr).

13,15 millions de points ont été retirés sur les permis en 2015 (tous trajets confondus, personnels et professionnels), dont 7,6 millions pour excès de vitesse (Onisr).

69 060 permis ont été invalidés en 2015 (Onisr).

Sept engagements pour la sécurité routière au travail

En octobre 2016, le gouvernement a lancé un « appel national des entreprises en faveur de la sécurité routière au travail » avec sept engagements à la clé. Vingt-trois grandes entreprises (dont la Caisse des dépôts, Danone, Disneyland, Engie, PSA, Renault, Vinci…) y ont répondu. Elles s’engagent notamment à favoriser la formation à la sécurité routière et intégrer les temps de pause dans le calcul des temps de trajet. Par ailleurs, elles assurent ne pas accepter le dépassement des vitesses autorisées et prescrivent la sobriété sur la route.

1. Il s’agit notamment des infractions relatives aux vitesses maximales autorisées, au port de la ceinture, à l’usage du téléphone, au respect des distances de sécurité ou encore au franchissement de lignes continues. Les infractions de stationnement ne sont pas concernées.

2. Étude réalisée du 23 au 31 mars 2016 auprès d’un échantillon de 602 dirigeants d’entreprise, représentatifs des entreprises françaises de 1 à 49 salariés.

3. Rapport de gestion 2012 de la Cnamts.

4. La CPME avait demandé le retrait de la mesure, en septembre 2016, notamment pour ne pas « faire des PME un auxiliaire des forces de police routière ».

Auteur

  • Nicolas Lagrange