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Des labs en veux-tu en voilà

Décodages | publié le : 06.03.2017 | Chloé Joudrier

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Des labs en veux-tu en voilà

Crédit photo Chloé Joudrier

Quelle entreprise n’a pas encore son lab ? Ils sont partout, sans que personne ne sache vraiment les définir. Éclairage sur ces nouveaux outils d’innovation… peut-être pas si novateurs.

Open lab, living lab, learning lab, innovation lab… Depuis une dizaine d’années, c’est le concours Lépine des appellations! Le lab est devenu la nouvelle coqueluche des directions sans que l’on sache vraiment à quoi il sert. Ateliers de prototypage, espace d’incubation ou lieu d’expérimentation ? « Le mot lab est un préfixe qui justifie un regroupement autour d’un sujet commun », souligne Amadou Lo, enseignant-chercheur en management de l’innovation, à l’université Jean-Moulin de Lyon. « Il s’apparente à la forme associative. » Parfois auberge espagnole, il recouvre deux fonctions au gré des stratégies : s’il est interne, il permet de développer des compétences au sein de l’entreprise; s’il est externe, il renvoie généralement à l’intention de communiquer sur une marque. Deux objectifs distincts, mais une même volonté : innover.

Car dans un lab, on invente, on crée, on fait évoluer sa structure. À l’image de Pôle emploi, qui a conçu son propre lab en septembre 2014 à l’occasion de son plan stratégique 2015-2020 tourné vers l’innovation. Ou du Lab RH, une association de 250 start-up qui ambitionne d’accélérer la transformation digitale du secteur des ressources humaines. « Un lab ne peut marcher que si tout le monde défend et innove autour de la même cause », analyse Alexandre Stourbe, le coordinateur général.

Mixer interne et externe.

Le collectif est une vertu indispensable pour être estampillé lab. Autour de celui-ci doit se développer une communauté de travail animée d’un esprit collaboratif. Lieu de mise en relation, il réunit des acteurs d’un même secteur qui vont phosphorer ensemble. Parfois très ponctuellement, comme le Lab UPA6 organisé fin octobre au palais Brongniart, à Paris. À l’issue de deux jours de débats entre représentants de l’artisanat naissait un livre blanc. De quoi faire entendre la voix des artisans d’ici au 23 avril. Et pousser les candidats à l’élection présidentielle à affiner leurs programmes à travers 13 propositions les concernant.

Startupers, experts, demandeurs d’emploi, patrons, salariés… Le lab permet de regrouper des acteurs divers, aux avis parfois opposés. « Nous nous attachons autant que possible à mixer l’interne et l’externe. Si le vase est clos, le lab ne fonctionne pas », note Loïc Remaud, directeur du Lab Pôle emploi. De ces vastes agoras virtuelles peuvent naître des idées pour fédérer les équipes. Chez Pôle emploi, l’équipe encadrante a ainsi mis en place des séances d’icebreaking pour aider les salariés à mieux se connaître. Le principe : se lancer une petite balle à tour de rôle et exprimer une idée innovante à chaque fois. Très efficace… En quinze minutes, 150 projets peuvent ainsi émerger !

Collectif vs collaboratif.

Fonctionner avec une hiérarchie plate aide aussi ces structures à rester en vogue. Comme dans l’entreprise libérée, la plupart des labs mettent en avant l’ouverture d’esprit et l’écoute, quel que soit le grade. Chez Pôle emploi, témoigne Loïc Remaud, « cela permet de promouvoir l’intelligence collective. Chacun vient avec son prénom, mais sans son nom. On ne sait pas qui est qui ».

Dans un monde du travail de plus en plus individualisé, on idéalise facilement l’esprit communautaire. « Derrière cette logique du collaboratif, on en oublie souvent le collectif », prévient François Geuze, consultant expert en stratégies RH et maître de conférences au master MRH de Lille. « Si vous montez une start-up et que vous demandez de l’aide à des collègues de votre lab, c’est du collaboratif. En revanche, si un camarade met de côté un article qui vous aidera à monter votre start-up, on reste sur du collectif. Des ressources sont souvent mises à disposition dans ces lieux, mais cela débouche-t-il sur un collectif ? »

Une certitude, toute chose produite par un lab doit en sortir rapidement. Que ce soit une start-up, un nouvel outil ou même des propositions politiques, l’objectif ne change pas : il faut se confronter le plus vite possible au marché ou à l’opinion publique. Pour cela, les labs adoptent une logique de test and learn. « On ne sait jamais vraiment ce qui va marcher. C’est une façon de ne pas se traîner de faux projets pendant plusieurs années », admet François Geuze.

Gain de temps.

Cette modalité d’exécution peut se révéler très efficace. Le lab a une image dynamique de lieu où spontanéité et flexibilité vont de pair. « Nous avions besoin d’être en prise avec la réalité et d’évoluer très vite sur notre transformation digitale », justifie Loïc Remaud. Grâce à son lab, Pôle emploi a pu améliorer son offre de services à l’international en moins de neuf semaines. Deux fois moins de temps que lorsque les projets étaient confiés à la section recherche et développement. En revanche, le lab ne vise ni le rendement ni la production de masse. Caractérisé par sa souplesse et son agilité, il préfère miser sur le sur-mesure et voir, sans être contraint par des impératifs financiers, si le succès est au rendez-vous. Ou pas.

Avec un modèle proche des valeurs associatives, le lab s’apparente aussi parfois à un think tank. Quand il est pris en main par une marque, avec un discours bien rodé et un budget conséquent à la clé, il devient un redoutable outil d’influence. Même si ses créateurs le considèrent comme un simple « lieu ouvert, à l’état d’esprit transparent », l’OpenLab Nutella est certainement bien plus. Pour répondre à la polémique sur les méfaits sanitaires et écologiques de l’huile de palme, le géant de la pâte à tartiner a réuni durant une semaine, en octobre, scientifiques, journalistes, écologistes et autres spécialistes pour débattre en toute liberté. Si l’accent a été mis sur l’importance de développer une filière durable, nul doute que l’opération permettait également de redorer l’image de marque de Nutella. « Les labs sont souvent créés pour dire “regardez, nous sommes vivants, innovants et modernes!” », confirme Amadou Lo, de l’université Jean-Moulin de Lyon. Un aspect symbolique fort qui permet aussi de s’afficher comme tel aux yeux des clients… Et des concurrents.

Le caractère avant-gardiste de ces structures est néanmoins remis en question par certains. « Le partage de bureaux, de l’assistance, de services… Il n’y a rien de nouveau, tacle François Geuze. Les labs s’apparentent aux anciennes ruches d’entreprise. » Pas si révolutionnaire que ça.

Auteur

  • Chloé Joudrier