logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

À la une

Le PDG, rempart à l’isolement ?

À la une | publié le : 06.03.2017 | Alexia Eychenne

Image

Le PDG, rempart à l’isolement ?

Crédit photo Alexia Eychenne

Il arrive que les DRH trouvent un allié en la personne de leur président. Encore faut-il que les rôles de chaque membre du « binôme » soient bien répartis et les marges de manœuvre respectées.

Chaque mois de mars depuis treize ans, le cabinet de conseil RH&M décerne les trophées des meilleurs binômes formés par un président-directeur général et son directeur des ressources humaines. Le raout, appuyé par le ministère du Travail, se tient au Palais Brongniart. Quatre « couples » repartent avec une statuette. Parmi les derniers lauréats, Gérard Mestrallet et Henri Ducré, chez Engie, Philippe Wahl et Sylvie François, à La Poste, ou encore Fabrice Brégier et Thierry Baril, pour Airbus. L’objectif de l’opération ? Prouver qu’une entreprise ne peut se développer sans un tandem harmonieux au sommet, tant sur le volet économique que social. « Il faut une connivence entre les deux personnes pour qu’une société soit performante », soutient Edgard Added, l’instigateur du trophée.

Cette complicité peut-elle aussi servir de rempart à la solitude ? « Il y a effectivement besoin d’une cohérence forte entre les deux fonctions pour faire face au corps social », observe Gérard Taponat, DRH de Manpower depuis neuf ans et directeur du master de gestion des ressources humaines à l’université Paris-Dauphine. « On ne peut que souhaiter que ce binôme fonctionne bien, même s’il ne faut pas non plus exagérer ce qu’il devrait être. » Au cours de son parcours chez Disneyland Paris, SFR ou encore Kraft Food, il lui est arrivé d’éprouver une admiration réconfortante pour la manière d’être et de faire de ses supérieurs. Mais « l’osmose » tenait plus à une compatibilité de personnes que de fonctions, nuance-t-il. « D’expérience, les binômes qui fonctionnent le mieux sont ceux qui se sont déjà croisés dans leur vie professionnelle ou partagent certaines écoles de formation ou de pensée qui les rapprochent. »

Bien répartir les rôles.

Arnaud Lesaunier ne connaissait pas « sa » présidente Delphine Ernotte avant d’être promu, en août 2015, au poste de directeur général délégué aux ressources humaines et à l’organisation chez France Télévisions, après trois ans passés dans la maison. Un an et demi après sa nomination, il voit pourtant en elle « un soutien », avec qui il partage une même vision de la place des RH dans le groupe audiovisuel public. En plus de défendre sa spécialité au Comex, où « les RH ont tout loisir de prendre la parole », Arnaud Lesaunier rencontre la présidente en tête à tête une fois par semaine. Un rendez-vous qui leur permet de passer en revue les projets transverses. « Il s’agit d’un vrai échange, de réflexion de fond, pas d’un simple compte rendu, et je ne repars pas avec une to-do-list », assure-t-il. Selon lui, le tandem est d’autant plus important que la fonction RH sort de sa dimension administrative pour toucher à la transformation de l’entreprise, de ses métiers ou de son management. « Quand les responsabilités sont plus limitées, la proximité est peut-être moins forte », avance Arnaud Lesaunier. Pourtant, une bonne relation au sommet ne se décrète pas. Et la réalité de l’entreprise, faite de rapports de force et de liens de subordination, n’aide pas toujours à ce que les DRH trouvent dans leur PDG un partenaire. « La chance y est pour beaucoup », juge Alain, qui a passé près de trente ans à la tête des ressources humaines d’un fleuron de l’industrie française. Il s’estime heureux d’être tombé sur des dirigeants en phase avec l’idée qu’il se faisait de son travail. Autant d’appuis précieux dans les périodes à risque. L’ex-DRH a notamment été chargé de piloter l’expansion du groupe à l’international, aujourd’hui présent dans une soixantaine de pays. Son credo d’alors: plutôt que calquer une organisation monolithique dans chaque pays, l’entreprise doit s’adapter au contexte local. « Mon PDG m’a toujours fait confiance là-dessus et heureusement, car je considère que je n’aurais pas pu faire mon métier si ça n’avait pas été le cas », estime-t-il. À la même époque pourtant, le patron à la tête de son principal concurrent impose ses volontés aux forceps: son DRH n’a qu’à obtempérer, y compris quand il s’agit de faire partir les salariés jugés trop peu performants à son goût… « Je n’aurais pas assumé ce type de décisions », assure Alain.

Il n’est en effet pas rare que le « binôme » entre PDG et DRH soit malmené par la propension des premiers à empiéter sur les plates-bandes des seconds. « En particulier sur les dossiers qu’ils considèrent comme peu techniques », observe François Geuze, consultant, enseignant et ancien DRH. « Un PDG ne viendra jamais vous casser les pieds sur la gestion de la paie, » ironise-t-il. « Mais en matière de gestion sociale, ou de façon générale lorsqu’un sujet relève des soft skills, du relationnel, il se considère souvent légitime pour s’en emparer. » Un obstacle majeur à une relation harmonieuse…

Mettre en lumière l’importance d’un tandem entre les deux peut toutefois aider à clarifier les attributions de chacun, estime l’expert. Et à « faire reconnaître l’utilité d’une bonne articulation entre les deux fonctions ».

Des rôles bien répartis impliquent aussi que le DRH puisse s’opposer à son PDG, sans prendre le risque d’être sanctionné, et donc un peu plus marginalisé. Pas si simple… Là encore, tout est affaire de culture d’entreprise. Dans l’ancienne boîte d’Alain, « le principe de résistance du DRH était reconnu ». Un désaccord majeur est un jour apparu avec un patron de branche qui exigeait de licencier deux salariés avec lesquels il était en conflit. Refus du DRH, qui a plaidé pour une médiation. Le PDG a arbitré en sa faveur. « Il m’est arrivé de me faire engueuler parce que je m’étais opposé à une demande venue d’en haut », se souvient l’ancien DRH. « Mais je ne me suis jamais senti menacé pour autant. Le directeur n’attendait pas de moi que je sois un béni-oui-oui. Je n’étais pas sans cesse renvoyé à mes fiches de paie et à mes conventions collectives, comme c’est le cas dans certaines entreprises. »

Un binôme reconnu.

Quand le binôme entre PDG et DRH fonctionne bien, ce dernier est reconnu comme un membre à part entière de la direction, une voix à écouter au même titre que les autres têtes du groupe. Ni plus ni moins. Lui donner plus de poids, en revanche, ne serait pas lui rendre service. « Il ne faut pas laisser entendre que cette proximité exclut les autres partenaires », insiste Arnaud Lesaunier, de France Télévisions. Directeur de l’Executive Master ressources humaines de Sciences po, Olivier Lajous se dit aussi méfiant face à l’idée qu’une relation bilatérale puisse exister entre les deux fonctions. « Il serait dangereux de créer un lien spécial entre PDG et DRH, comme on a pu le faire, suivant les effets de mode, avec le directeur administratif et financier ou le directeur de la communication », assène cet ancien DRH de la marine nationale. Le DRH « starisé » ne s’en trouverait pas renforcé, mais au contraire jalousé, donc un peu plus isolé. Et impossible d’être performant de façon collective en privilégiant une fonction au détriment d’une autre, prévient Olivier Lajous. « Cela ne ferait qu’alimenter une compétition malsaine entre dirigeants, un rapport de force qui prévaut encore aujourd’hui dans beaucoup d’entreprises et conduit inévitablement à l’échec. »

Arnaud Lesaunier, directeur général délégué aux RH et à l’organisation de France télévisions

« Isolé, moi ? Jamais ! Je suis arrivé chez France Télévisions en 2012, un peu plus de deux ans après le big bang provoqué par une fusion mal préparée. Encore profondément chamboulée, l’entreprise se reconstruisait. Des accords ont été signés depuis et j’ai la chance de pouvoir rebâtir sur un nouveau socle social. Les questions les plus techniques ont été réglées. Je peux me concentrer sur les problématiques de développement : l’attractivité et la marque employeur du groupe, l’adaptation des métiers à l’éclatement de la consommation audiovisuelle sur différents supports, etc. Ces sujets dépassent de loin les RH et m’amènent à travailler dans une grande proximité avec les autres membres du Comex. »

Auteur

  • Alexia Eychenne