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Vie des entreprises

Do you speak le jargon managérial moderne ?

Vie des entreprises | DECRYPTAGE | publié le : 01.01.2001 | Sandrine Foulon

Charabia ou dialecte savant ? Entre les ultimes trouvailles des écoles de management nord-américaines, le franglais des nouvelles technologies et les appellations new-look des vieux métiers, le monde des RH s'est doté d'un langage totalement hermétique pour les profanes. Florilège…

Vous croyez travailler à l'usine ? Erreur, vous êtes « opérateur autonome intégré dans la supply chain d'une organisation matricielle ». Ouvrier, c'est totalement has been. « Ce changement marque une rupture idéologique, constate la sociologue Danielle Linhard, directrice de recherches au CNRS. L'ouvrier renvoie à la lutte des classes, l'opérateur à un système pacifié, consensuel, où le salarié est acteur et responsabilisé. » À l'instar de ces nouveaux opérateurs de production, toute une série de métiers ont pris du galon. À commencer par les chefs du personnel, élevés au rang de directeurs des ressources humaines dans les années 80. Et bientôt supplantés par les directeurs du capital immatériel ou du capital humain, titres que l'on voit éclore ici ou là, en particulier chez Arthur Andersen.

Ce nouveau langage reflète les bouleversements intervenus dans le fonctionnement des entreprises. Mais ces mots ronflants ne tiennent pas toujours leurs promesses. « Les salariés sont prêts à jouer le jeu. Ils se sentent portés par ces nouvelles appellations de poste. Ils ont envie d'être compétitifs, performants mais, bien souvent, dans la pratique, ils ne parviennent pas à se vivre en “gestionnaires”, en “téléconseillers”, tout simplement parce qu'ils sont soumis à des contraintes organisationnelles, des injonctions contradictoires, qui ne leur donnent pas les moyens d'accomplir ces nouvelles tâches, surtout dans les structures qui demeurent fortement tayloriennes », estime Danielle Linhard. Bref, entre le ramage et le plumage… Aux anciens métiers relookés s'ajoutent tous les nouveaux jobs aux noms barbares : hub manager pour le responsable de plates-formes logistiques et d'achats, ou « responsable affiliation » pour l'homme de marketing chargé d'accroître la visibilité d'une entreprise sur le Net… Lorsque les nouvelles technologies et les écoles de management nord-américaines s'en mêlent, le jargon des spécialistes RH ne connaît plus de limite.

« Il nous arrive de parler le “consultané”, reconnaît Philippe Mahaut, consultant chez Praxia et spécialiste de l'analyse du discours sémiologique dans les entreprises. Les grandes écoles de pensée du management sont essentiellement anglo-saxonnes, d'où des pratiques et des traductions parfois absconses. Cela étant, ce langage n'est pas destiné à l'ensemble des salariés. C'est à l'encadrement de traduire les messages dans le langage propre de l'entreprise. » Un charabia qui permet aussi d'entretenir un flou artistique. « Nous sommes dans la culture des comptes rendus lapidaires. On abuse de plus en plus des infinitifs, sans faire de phrases complètes », poursuit Philippe Mahaut. Quant aux prépositions, elles sont passées à la trappe. Pour être in, dites simplement « capital confiance » ou « satisfaction client ». Au royaume des ressources humaines, il est parfois nécessaire d'emporter son dictionnaire de franglais management. Morceaux choisis.

Apprenant

On s'en doutait un peu, mais maintenant on le sait : il existe des entreprises et des salariés apprenants. Définition : « Les organisations apprenantes se conçoivent comme un système d'apprentissage collectif qui crée, capitalise et diffuse des connaissances et des savoir-faire nouveaux et améliore les connaissances de ses membres », explique Jean Brilman, consultant en ressources humaines. Dont acte.

« Balanced scorecard » ou BSC

Un instrument de pilotage des performances de l'entreprise qui nous arrive tout droit des États-Unis. Cet outil de mesure globale qui réunit des indicateurs axés « clients, finances, process et apprentissage organisationnel » permet de décliner « la stratégie de l'entreprise en objectifs opérationnels ». La marque est déposée. Les fans se comptent déjà. Les grands du conseil, mais aussi La Poste !

« Downsizing »

Tout comme la musique, l'anglais adoucit les mœurs. Mieux vaut parler d'outsourcing que d'externalisation, de delayring plutôt que de suppression de niveaux hiérarchiques. Quant à downsizing, il remplace avantageusement les termes barbares de dégraissage, limogeage ou charrette. « Les anglicismes ne datent pas d'hier. Il a toujours été très chic de parsemer son vocabulaire de quelques mots d'origine britannique. Les romans de Proust en sont truffés. Cette attirance pour le vocabulaire anglais est renforcée par le pouvoir économique et la technologie américaines. Cela étant, ce ne sont que des modes. Un jour, le benchmarking sera totalement démodé », estime Bernard Cerquiglini, directeur de l'Institut national de la langue française. Pas de panique devant cette déferlente anglo-saxonne. Sachons être leader, enabler (« qui doit rendre l'autre capable ») et travailler au sein d'une task force ou d'un focus group, parler en one to one ou en face to face avec ses collaborateurs, afin de bien suivre les préceptes du reengineering (« remise en cause de l'ensemble des processus d'une entreprise »). Et pratiquons le scepticisme, à l'image de ce DRH qui « [se] question mark [s'interroge] » tous les jours.

E-mania

Les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC), à prononcer « hennetique », font des ravages dans l'univers RH. Un nouveau type de mandarinat est né. Comment résister aux consultants qui proposent une solution d'e-knowledge management efficace, déployée, multisite et multifonction. Les salariés travaillent en groupware (à la fois une méthode et des outils qui facilitent le travail en groupe). Et les start-up ouvrent la voie des néologismes. Brick and mortar, click and mortar, B to B et la vague du e-tout : e-learning, e-teaching, e-management

« Golden handcuffs »

Dans l'entreprise, il est vulgaire de parler argent, salaire, package, golden parachute, actionnariat salarié, rémunération périphérique, plan de stock-options, ces fameuses golden handcuffs (menottes dorées) qui hantent pourtant les jours et les nuits des cadres sup… Pour motiver leurs salariés, les directions préfèrent mettre en avant les valeurs, l'éthique, le projet d'entreprise et les « leviers organisationnels de la confiance ». Ça coûte beaucoup moins cher !

Hôtesse de caisse

Joli nom pour les caissières. Afin de redorer le blason de nombre de professions, les termes « assistant » et « conseiller » sont très prisés. Les employés chargés de renseigner le chaland par téléphone sont devenus téléopérateurs ou conseillers clientèle, les informaticiens chargés de secourir les néophytes en détresse sont désormais agents helpdesk. Bernard Cerquiglini trouve naturel ce penchant des entreprises à trouver sans cesse de nouvelles appellations. « L'entreprise appartient à la science et à la technique. C'est une grande productrice de langage spécialisé. Elle a besoin de tout dénoter très précisément. Vouloir remplacer le terme facteur, qui signifie celui qui fait, par préposé à la distribution du courrier n'est pas en soi choquant. Cette périphrase, boudée par le public, décrit néanmoins parfaitement l'activité. » En revanche, note le président de l'Inalf, « on n'empêche pas la connotation du langage ». « Avant on disait le personnel. Aujourd'hui, les hommes sont considérés comme des ressources, au même titre que les crédits ou la matière première. Mais le tout est que la connotation ne l'emporte pas sur la dénotation. » Appeler un chauffeur routier technicien de conduite ou agent de transit qualifié n'apporte rien de plus, sinon faciliter peut-être le travail des recruteurs qui s'échinent à trouver des candidats. Pour Bernard Cerquiglini, cela s'appelle de la « préciosité ».

Management déambulatoire

Issu du verbe français ménager, le mot management, qui a d'abord fait le voyage en Grande- Bretagne puis outre-Atlantique, est une source d'inspiration inépuisable pour les spécialistes du langage RH. On trouve, en vrac, le visioning management, « management par la vision », pour se démarquer des managers qui en manqueraient singulièrement, le knowledge management, ou « gestion des connaissances ou des savoirs », très à la mode ces dernières années, le customer relationship management (CRM) ou la « gestion de la relation client », l'employee resource management

Chez Hewlett-Packard, les salariés ont même vu débarquer le MBWA : management by wandering around, que leurs homologues français ont traduit par « management déambulatoire ». L'idée, somme toute pleine de bon sens, est d'encourager les salariés à aller à la rencontre les uns des autres : papotages autour de la machine à café, bavardages dans les couloirs et autres pots d'anniversaire sont valorisés au détriment des échanges par e-mail, nettement plus cliniques. Autant de rencontres informelles censées doper la culture d'entreprise. Dans la foulée, les managers sont invités à pratiquer l'open door policy, les portes de bureau fermées étant mal vues, et l'open mail policy ou l'incitation à envoyer des e-mails à l'ensemble des salariés, y compris et surtout au P-DG.

Offreur de compétences

Ne parlons plus du bagage, du background, qui eut son heure de gloire dans les années 80, ni de l'expérience professionnelle, grand classique du CV. Aujourd'hui, le salarié débarque avec son portefeuille de compétences. On recrute, développe, évalue, récompense les compétences. Toute direction des ressources humaines qui se respecte élabore son référentiel de compétences, pratique la GPEC (la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences et, pour les plus prévoyants, la GPPEC, la gestion prévisionnelle et préventive de l'emploi et des compétences) et opte pour une « logique de compétences », largement débattue par le Medef. Il fut un temps néandertalien où l'on se contentait de miser sur le « savoir-faire ».

Aujourd'hui, on n'oublie pas son corollaire le « savoir-être », le fameux comportemental si difficile à évaluer lors des EAE (comprendre entretien annuel d'évaluation, voire d'explicitation) ou pour certaines entreprises des EAA, (entretien annuel d'appréciation). Jusqu'à ce consultant d'un cabinet de recrutement qui recommande aux futurs embauchés d'employer un langage ad hoc : « Chômeur est à éviter. Demandeur d'emploi ne vaut guère mieux, cela confine à la mendicité. En revanche, offreur de compétences gagnerait à être connu. Le candidat inverse le rapport de force. »

Proactif

Il ne suffit plus d'être actif, ni même réactif, il faut être proactif en toutes saisons. Pour « se démarquer dans un contexte hautement concurrentiel et mondialisé », les entreprises, en quête d'excellence, optimisent, maximisent leur « process ». Le mouvement touche également les salariés, « acteurs de leur évolution de carrière ». Fini les battants, gagnants, golden boys et autres jeunes cadres dynamiques des années 80. Si nombre de recruteurs apprécient encore ces qualités, ce vocable est aussi démodé que les anciens attachés-cases rigides frappés aux initiales de ces cadres en devenir. Aujourd'hui, on recherche des supermen. Les job descriptions (comprendre « profils de poste ») sont ambitieux. Il est nécessaire d'être créatif, polyglotte, intrapreneur (concept d'origine suédoise tendant à susciter au sein de l'entreprise des vocations d'entrepreneurs et à leur donner les moyens de réaliser leur projet). Avec un peu de chance, le candidat sera détecté comme haut potentiel et élevé dans un vivier. Le bonheur, quoi.

« Team builder »

Il n'est plus de bon ton de diriger (voir « Enquête », page 14). Les responsables, les décideurs animent, pilotent, coachent et sont de véritables team builders. Des « constructeurs d'équipe » pour « développer l'employabilité de leurs collaborateurs ». Le manager ou manageur a définitivement éclipsé le chef, à connotation beaucoup trop martiale, pyramidale et autocratique. Le directeur est lui-même sérieusement en voie d'extinction. Déjà, le très péjoratif « sous » précédant le mot directeur a été jeté aux orties… Les organigrammes comptent désormais des directeurs adjoints, voire délégués. Une évolution logique dans des sociétés où l'empowerment (responsabilisation des salariés) a fait son œuvre. À soi tout seul, on est devenu un centre de profits qui travaille en business units, en réseau, ou par clusters (bouquets de structures opérationnelles). « Après le rachat de l'entreprise par des Japonais, on a vu débarquer le total quality management, explique un ancien chef d'atelier d'une usine de scooters. On nous a expliqué que, dorénavant, on allait décloisonner les services, travailler de manière transversale dans le cadre d'une organisation matricielle. En clair, ça voulait dire moins de contremaîtres et plus de boulot puisque chacun devait intégrer les nouvelles procédures de qualité. »

« Win win » ou gagnant-gagnant

« L'attitude win win, qui part d'un préjugé humaniste non nécessairement candide, postule qu'il est possible de conduire et de réussir des négociations en recherchant des avantages pour toutes les parties en présence. Cette démarche est, bien sûr, un gage de progrès », souligne Paul Ohana, auteur de l'ouvrage les 100 Mots clés du management des hommes (Dunod).

Zéro

Très pratique pour y accoler toutes sortes de concepts, le zéro, fort en vogue dans les années 80 avec le zéro délai, zéro papier, zéro défaut… ne démérite pas. En 2000, il revient avec zéro bug, voire, pour reprendre le titre de l'ouvrage d'Hervé Serieyx, le Zéro Mépris.

Auteur

  • Sandrine Foulon