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Repères

Un impératif pour le plein-emploi

Repères | publié le : 01.01.2001 | Denis Boissard

Le mois dernier, patronat et syndicats ont ouvert – dans le cadre de leur vaste round sur la « refondation sociale » – le chantier de la formation professionnelle. La France a collectivement intérêt à ce que cette négociation, cornaquée par Francis Mer (le P-DG d'Usinor) côté patronal, soit un succès. L'enjeu est considérable. L'efficacité de notre dispositif de formation permanente est en effet l'une des conditions sine qua non (avec la croissance et l'allégement du coût du travail peu qualifié) du retour de l'Hexagone au plein-emploi. Les partenaires sociaux doivent donc se fixer des objectifs ambitieux, ne pas se contenter d'un simple dépoussiérage de la loi de 1971, mais rebâtir un dispositif vraiment performant.

Car la loi Delors n'a, malheureusement, pas tenu ses promesses

Les entreprises ont certes doublé leur effort de formation depuis le milieu des années 70 : elles y consacrent en moyenne aujourd'hui 3,5 % de leur masse salariale. Mais le premier objectif que s'était fixé cette loi tout juste trentenaire – offrir une seconde chance à ceux qui sortent sans diplôme ou peu qualifiés du système scolaire – n'a jamais été atteint. Au contraire. La formation professionnelle va en priorité aux plus diplômés, c'est-à-dire à ceux qui ont tiré le meilleur parti de l'enseignement secondaire ou supérieur. Et un salarié a d'autant moins de chance d'accéder à un stage que son niveau de formation initiale est faible. Un cadre ou un technicien sur deux part chaque année en formation, contre moins d'un ouvrier non qualifié sur cinq. Cherchez l'erreur !

Deuxième anomalie : contrairement à ce qui se passe dans les pays anglo-saxons ou nordiques, l'effort de formation des entreprises françaises est plutôt concentré sur les jeunes générations (en moyenne beaucoup plus diplômées que leurs aînés), puis il baisse rapidement avec l'âge des salariés pour pratiquement disparaître au-delà de 50 ans. Autre paradoxe curieux : la mutualisation des fonds de formation au sein des organismes collecteurs profite davantage aux grandes et moyennes entreprises qu'aux petites. Résultat : le personnel de ces dernières part quatre à cinq fois moins en formation que celui des grosses entreprises. Dernier constat troublant : les entreprises privilégient manifestement les stages courts d'adaptation aux évolutions du poste de travail (la durée moyenne des formations est ainsi de quarante heures aujourd'hui, contre plus de soixante heures au milieu des années 70), au détriment des formations qualifiantes. En définitive, le dispositif aggrave les inégalités de départ devant la formation, au lieu de les corriger.

Ce faisant, on marche sur la tête. Contrairement à l'autosatisfaction de mise sur l'excellence de la main-d'œuvre française, la France est en réalité à la traîne des grands pays industrialisés que sont les États-Unis, l'Allemagne ou la Grande-Bretagne. Cela en raison d'une démocratisation tardive de l'enseignement secondaire dans notre pays. Si, depuis dix ans, le niveau de formation des jeunes qui sortent du système scolaire est désormais comparable à celui observé dans ces pays, la situation se dégrade en revanche nettement pour les générations plus âgées. Comme le souligne le récent rapport Gauron, la France se caractérise à la fois par l'importance de sa population active ayant terminé sa scolarité avant l'entrée dans le deuxième cycle du secondaire (35 %) et par la faiblesse de celle diplômée de l'enseignement supérieur (moins de 20 %).

Or, on le sait, le chômage touche en priorité les moins diplômés

Et les choses ne devraient pas s'arranger : la part de l'emploi non qualifié ne cesse de régresser et la diffusion des nouvelles technologies de l'information fait appel à des compétences qui exigent un niveau croissant de formation. Revenir au plein-emploi suppose donc un effort massif de requalification de la population active, salariée ou au chômage. D'autant que le vieillissement de la population va contraindre les entreprises à pallier un déficit de quelque 100 000 actifs par an à partir de 2005.

Les partenaires sociaux vont devoir innover : tenir compte de la mobilité croissante des salariés et de la diversification de leur parcours entre emploi, chômage, travail indépendant et jobs précaires, en garantissant à chacun un capital individuel de formation, transférable d'une entreprises ou statut à l'autre. Une sorte de droit de tirage qui irait de pair avec un coinvestissement du salarié dans les formations diplômantes, en mettant à profit le temps libéré par les 35 heures.

Autre réforme hautement souhaitable : accorder autant d'importance aux compétences développées dans le travail qu'aux diplômes, en mettant en place une validation des savoir-faire issus de l'expérience professionnelle. Dernière évolution, nécessaire à l'apprentissage des moins qualifiés : sortir d'une conception trop scolaire de la formation pour favoriser un renouvellement des pratiques pédagogiques. Bref, patronat et syndicats ont du pain sur la planche.

Auteur

  • Denis Boissard