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Politique sociale

SUD, le vilain petit syndicat qui monte, qui monte…

Politique sociale | ANALYSE | publié le : 01.01.2001 | Marc Landré

Le trublion SUD ne cesse de faire des petits en dehors de son bastion historique des PTT. Partisans d'un syndicalisme contestataire, ses militants, pour la plupart issus de l'extrême gauche, se posent en champions de la volonté des salariés. Un basisme qui permet de légitimer une défense très corporatiste d'intérêts catégoriels.

Bingo ! La rafale d'élections professionnelles qui ont eu lieu cet automne confirme ce que redoutaient un certain nombre de directions des ressources humaines du secteur public : SUD s'affirme comme la force montante dans le paysage syndical français. Le jeune syndicat, créé en 19818 par une poignée de dissidents de la CFDT PTT du Val-de-Marne, consolide tous ses bastions. À commencer, bien entendu, par La Poste. Avec 21 % des voix, SUD PTT est arrivé en deuxième position lors des élections du personnel le 24 octobre. À France Télécom, SUD – Solidaires, Unitaires, Démocratiques est la signification du sigle déposé en 1995 à l'Institut national de la propriété industrielle – a conservé sa deuxième place, avec 27,5 % des voix, à un cheveu de la CGT, qui recule de 4 points. Même dans les fiefs solidement verrouillés par les « vieilles » confédérations plane la menace SUD. C'est le cas à la SNCF, où SUD Rail totalise 11 % des voix au bout de quatre ans d'existence, ou encore dans les Douanes françaises, où SUD Douanes se maintient avec, globalement, un peu plus de 10 %. À EDF, là où le syndicat peut mesurer son audience, c'est-à-dire en région parisienne, à Mulhouse et à Montpellier, SUD Énergie atteint également 11 %.

Dans le privé, les scores sont moins flatteurs. SUD ne possède d'implantation significative que dans les magasins Fnac de Paris ou chez Inter Mutuelles Assistance (IMA). Mais les franchises SUD se développent chez Als tom, Aventis, Cegetel ou dans les banques. « La multiplication de petits SUD fait beaucoup de bruit mais ne représente pas grand-chose », tempère René Mouriaux, chercheur au Cevipof. Combien existe-t-il d'ailleurs de franchises ? Nul ne sait. « Nous ne contrôlons pas toutes les attributions de noms », explique Thierry Renard, l'un des cofondateurs de SUDPTT, aujourd'hui responsable juridique du syndicat. Mais ce flou volontairement entretenu ne laisse pas d'inquiéter les stratèges RH des grandes entreprises.

La parole à la base

« Laissez-nous le temps de nous implanter. On en reparlera dans dix ans », se contente de répondre Joëlle Charuel, militante de la première heure aujourd'hui secrétaire générale de SUD PTT. Seule certitude, le phénomène est loin d'être un feu de paille. Et la stratégie de grignotage des parts du marché syndical porte ses fruits. L'un des atouts de SUD, c'est justement de proposer une autre forme de combat syndical. « Ils ont voulu se démarquer des autres syndicats pour donner la priorité à la base », notent Jean-Pierre Basilien et Jean Dubois, experts de l'institut Entreprise et Personnel, dans leur enquête annuelle sur les relations sociales. « C'est ce qui leur a permis de collecter efficacement, sans opérer de discrimination ou de détournement, les revendications exprimées par les groupes de salariés et de s'en faire directement l'écho », ajoutent les deux consultants. Face aux élus des autres organisations, enfermés, même au niveau local, dans des jeux d'appareil et très soucieux de leur positionnement à l'égard des directions d'entreprise, les militants de SUD, toujours accessibles et très pragmatiques, se présentent comme les « défenseurs des oubliés ».Leur credo ? Un syndicalisme de proximité, à l'écoute des salariés, dont la finalité est de résoudre les problèmes des gens.

« Le syndicalisme ne sortira de sa crise qu'en redonnant la parole à la base », postule Christophe Aguiton, l'un des créateurs de SUDPTT, aujourd'hui fer de lance d'AC ! (Agir ensemble contre le chômage) et d'Attac (Association pour une taxation des transactions financières pour l'aide aux citoyens). Parfaite illustration à la Fnac Montparnasse, où la section SUD a obtenu près de 60 % des voix aux élections de décembre 1999. « Nos élus sont tous les jours dans leurs rayons, explique Gaëlle Créac'h, chef de file de SUD Fnac à Paris. Ils n'attendent pas dans le local syndical que quelqu'un pousse la porte. Être militant, c'est commencer par faire son boulot de salarié. »

Outre cette proximité affichée, les SUD ont compris, bien avant Internet, l'intérêt de la communication dans l'entreprise. Leitmotiv : donner toute l'information nécessaire au personnel pour qu'il se fasse son opinion et encourager l'expression collective. « Nous sommes les porte-parole de la volonté des salariés, assène Jean Chambrun, fondateur de Supper (Syndicat unitaire et pluraliste du personnel) au sein du groupe Thalès (ex-Thomson-CSF). Dès que nous avons une décision à prendre, nous les informons puis leur demandons leur avis. » Lors de la fusion avec Dassault Électronique en 1999, sur la question du regroupement de deux établissements de la région parisienne distants de 600 mètres, Jean Chambrun a ainsi organisé un référendum après avoir informé les salariés. La réponse fut positive à 70 % !

« SUD a une faculté d'information hors du commun », reconnaît un DRH de l'industrie métallurgique. Quitte à utiliser des moyens peu orthodoxes. « Les militants se doivent d'être toujours bien informés et n'hésitent pas, pour cela, à voler des documents confidentiels et à les mettre sur la place publique pour bloquer l'évolution de l'entreprise », indique un responsable RH d'une grande entreprise publique. Cas d'école : France Télécom, qui envisageait en 1998 de redéployer ses cabines téléphoniques sur le territoire, a été contrainte d'abandonner le projet, tombé entre les mains de SUD. Le syndicat s'était fait une joie de le diffuser et d'ouvrir un débat sur l'abandon du service public.

Autre explication du succès de SUD, ses militants sont rompus aux techniques de noyautage et d'entrisme de l'extrême gauche. Leur idéologie est fondée sur « la fusion paradoxale d'un corporatisme représentatif de métiers protégés et d'une ouverture aux problématiques sociales, et particulièrement aux formes modernes d'exclusion », observe le consultant Hubert Landier.

Anars et anciens trotskistes

Ses animateurs sont souvent des anarchistes, comme Thierry Renard, ou d'anciens militants de la Ligue communiste révolutionnaire, à l'image de Christophe Aguiton. « Derrière des gens intelligents, courtois, séduisants et même mondains se cachent de féroces idéologues, des post-soixante-huitards révolutionnaires prêts à sacrifier leur entreprise pour parvenir à leurs fins », lâche l'ancien directeur des ressources humaines d'un grand groupe public. Et son successeur reconnaît qu'il se méfie de ces « militants faussement modernistes qui défendent des thèses passéistes ».

À la CFDT non plus, on ne manque pas de noms d'oiseaux pour qualifier ce mouvement, créé par des dissidents de la maison. « C'est un syndicalisme populiste radicalo-radical, indique un proche de Nicole Notat. Une sorte de gauchisme relooké et de corporatisme New Age qui joue sur la peur et l'annonce que le pire reste à venir. »

Dans les entreprises, SUD fait prospérer son fonds de commerce protestataire avec encore plus de succès depuis que la CGT a amorcé son virage (voir encadré, page 30). « SUD a su capitaliser les mécontentements catégoriels de personnels qualifiés et de techniciens insuffisamment pris en compte par les autres syndicats », estime Jean-François Amadieu, professeur à l'université Panthéon-Sorbonne. Ses causes se veulent nobles : de la défense du statut des fonctionnaires, il passe à celle du service public, de la lutte des infirmières à la remise en cause de la politique de santé ou du mouvement des chômeurs à la critique du libéralisme. Il cible toutes les expressions de la mondialisation de l'économie – dérégulation des marchés, libéralisation des échanges, privatisation des entreprises publiques – en mettant en avant ses victimes : les exclus, les chômeurs… « Notre engagement est double, explique Christophe Aguiton. Nous nous battons pour la défense immédiate des intérêts des salariés, mais aussi pour modifier en profondeur la société. » Paré des vertus de ce syndicalisme de transformation sociale, SUD est présent dans une galaxie de mouvements contestataires fort médiatiques comme AC !, Attac ou la Confédération paysanne… Une proximité qui les a tous conduits à Seattle lors des négociations de l'OMC ou à Nice pour le Sommet européen.

Sur le terrain, SUD joue l'obstruction, avec le rapport de force comme arme principale et la lutte des classes comme grille d'analyse des relations sociales. Le combat est mené au quotidien « face à un patronat qui bafoue la loi en permanence », dixit Alain Martinez, de SUD Renault. « Nous sommes devenus le seul contre-pouvoir permanent », lâche Philippe Crottet, de SUDPTT. « Nous sommes des opposants et non des partenaires sociaux », complète Yann Cochin, de SUD Énergie. Pas question, donc, de rentrer dans une logique de négociation et de signature. « SUD est réfractaire à tout accord collectif, explique Jean-François Amadieu. Ce n'est pas un problème de contenu mais une position de principe. »

Ne pas cautionner le système

Il y a bien entendu des exceptions. « Nous ne sommes pas contre les accords, note Thierry Renard. Nous en signons peu, car la majorité de ceux qui sont négociés sont mauvais. » SUD a ainsi validé cette année 192 accords de RTT à La Poste (contre 797 à la CGT sur 6500), une convention sur les champs de courses et… un accord d'intéressement à la Fnac. « On ne cautionne pas le système, plaide Gaëlle Créac'h. Mais c'était ça ou rien. » Et il n'est pas impossible, selon la secrétaire du comité d'entreprise de la Fnac, que sa section signe l'accord 35 heures pour les enseignes de la capitale. « On a une responsabilité depuis qu'on est majoritaire. Mais on fera un référendum pour être certain que les salariés veulent bien de l'accord. »

SUD n'en est pas à un paradoxe près. Souhaitant accéder au rang (et au privilège) d'organisation représentative, le syndicat rechigne à se doter d'une structure centrale. « Nous voulons créer une nouvelle force interprofessionnelle », assure Thierry Renard. Surtout pas une confédération bureaucratique, modèle pourfendu par les militants, mais plutôt un pôle fort qui se caractériserait par la liberté de parole laissée à ses membres, par des mécanismes de décision consensuels, sur le mode « un syndicat, une voix ».Les structures en seraient légères et les règles de conduite calquées sur celles déjà en vigueur parmi les leaders du mouvement : non-cumul des mandats et rotation des élus. Les SUD sont tentés de confier ce rôle à l'Union syndicale G10 solidaires (regroupement d'une quarantaine de syndicats indépendants et catégoriels), où leur influence est très grande depuis dix ans.

Maître en guérilla juridique

La non-représentativité de SUD au niveau national interprofessionnel ne facilite pas son implantation. Chaque fois qu'une section se crée, elle est presque systématiquement attaquée en justice, tant par la direction qui n'a aucune envie de voir débarquer ces trublions chez elle, que par l'une des cinq organisations représentatives qui craignent la concurrence. « Nous n'avons rien contre eux, se justifie un DRH de l'industrie métallurgique. Nous avons besoin que quelqu'un d'impartial nous dise si ce syndicat est représentatif, et cet arbitre c'est le juge. » Résultat, chez SUD, on se remue les méninges pour éviter ce genre de recours, même si le fait de passer pour un syndicat « martyr » présente quelques avantages en termes de notoriété.

« Nous devons construire de véritables stratégies pour nous présenter aux élections, explique Thierry Renard. Prouver notre activité syndicale quand le quorum des votants risque d'être atteint au premier tour ou appeler au boycott des élections pour aller en candidat libre au second tour. » Parfois ça passe. Comme à IMA, où la section SUD, après avoir été jugée non représentative par deux fois et appelée au boycott, a obtenu plus de 35 % des voix au second tour. « Nous avions aussi fait dans nos professions de foi des propositions qui ont plu », souligne l'ex-cédétiste Florence Debowski, à l'origine de la section SUD de la société d'assistance.

À force de déposer des recours, SUD est passé maître dans l'art de la guérilla juridique. « Ce syndicat possède une ténacité contentieuse hors du commun », soupire Pascal Rigaud, adjoint au DRH des Douanes. Certains militants, comme Jacques Dechoz, de SUD Travail, en usent et en abusent. « L'État n'a pas à s'exempter des règles de droit », proclame ce contrôleur du travail qui a obtenu l'annulation partielle d'un décret d'application de la première loi Aubry sur les 35 heures. Sa prochaine cible ? Le Pare, dont il compte bien faire annuler l'agrément devant le Conseil d'État !

La CGT débordée sur sa gauche

6,5 points en moins à la SNCF, 5 à La Poste, 4 à France Télécom : les élections de l'année 2000 ont été sévères pour la CGT dans quelques-uns de ses bastions publics. Des revers qui profitent en partie à SUD. « Les orientations du bureau national de la CGT lors de son dernier congrès ont désappointé les militants sur le terrain, explique Joëlle Charuel, chef de file de SUDPTT. Il y a un antagonisme entre la volonté de la direction de pratiquer un syndicalisme d'accompagnement et la demande de la base de rester un mouvement contestataire. » Dans leur dernier opus sur les relations sociales, Jean-Pierre Basilien et Jean Dubois confirment l'analyse : « Les SUD ne se contentent plus de recruter, comme au départ, parmi les dissidents de la CFDT, ils séduisent maintenant des adhérents de la CGT, déçus par le virage réformiste de leur organisation. »

À la Fédération CGT des PTT, on ne partage évidemment pas cette vision des choses. Chiffres à l'appui. « Nous totalisons 35000 adhérents dont 3700 en plus pour l'année 2000 », se défend Alain Gautheron, son secrétaire général, qui rappelle que la CGT a réalisé, aux dernières élections, le même score qu'en 1995, « alors que SUDPTT ne se présentait pas au plan national ». Pour lui, le léger recul de la CGT à La Poste et à France Télécom s'explique davantage par les modifications du corps social des deux entreprises que par l'attraction de SUD. Pour René Mouriaux, « la CGT, trop sectaire, refermée sur elle-même et éloignée de sa base, nie la réalité ». Quant à Jean-François Amadieu, il considère que la CGT va dans le mur. Soit elle évolue vers la CFDT et se trouve alors débordée sur sa gauche par SUD, soit elle se recentre sur un discours contestataire et s'exclut du champ de la négociation. Et, dans les deux cas, « elle est encore loin d'avoir vu le bout des départs de ses militants ».

Auteur

  • Marc Landré