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Dossier

Cohabitation difficile

Dossier | publié le : 01.01.2001 | J.-Ph. D.

Entre agences de communication en recrutement et job boards, ce n'est pas le grand amour. Les deux acteurs ont pourtant tout intérêt à travailler main dans la main. Mais, dans la réalité, c'est plutôt le règne du chacun pour soi.

C'était il y a quelques mois, lors d'un tournoi de football organisé entre des sites d'emploi. Dans les gradins, un commercial d'une agence de communication en recrutement qui travaille régulièrement avec l'une des deux équipes se tourne vers un collègue et lance : « Si notre équipe perd, pas de budget pendant douze mois pour les vainqueurs ! » Si le dirigeant d'un site d'emploi présent dans les gradins rapporte aujourd'hui l'anecdote, c'est pour mieux décrire les relations très particulières entre les sites d'emploi et les agences de communication en recrutement. À première vue, les deux acteurs ont tout pour s'entendre : une vraie complémentarité sur le marché du recrutement et des intérêts financiers convergents. Il n'empêche, lorsque les Careermosaïc, Emailjob et autres Jobpilot ont fait leur apparition, les agences de communication en recrutement les ont accueillis plutôt froidement.

« Certaines agences ont, pendant longtemps, ignoré Internet. Dans leurs recommandations, elles me disaient que cela ne servait à rien d'investir dans ce média », se souvient Franck Albisson, responsable du recrutement chez Siris. Derrière ce scepticisme affiché, c'est bien entendu la crainte de voir diminuer leur part de marché qui domine. « Les revenus générés par les annonces de presse pour les agences sont tellement confortables qu'elles ont tout fait pour limiter l'achat d'espaces dans les sites d'emploi, beaucoup moins lucratifs », constate Pierre-Yves Frelaux, directeur général adjoint de BDDP Corporate, l'une des grandes agences du marché.

Dix fois moins cher qu'une petite annonce

Les agences touchent une commission de 15 à 20 % par annonce. Comme une offre d'emploi en ligne coûte dix fois moins cher qu'une petite annonce, leur cœur balance naturellement vers la presse. Sans compter que les régies publicitaires des journaux les courtisent assidûment. « Pour être sûres de remplir leurs pages, certaines régies ont conclu des ententes commerciales avec des agences. Ces dernières préconisent systématiquement leurs titres à leurs clients et, en échange, touchent une commission de 40 %, voire de 60 % », explique Nicole Grundlinger, directrice de la conception média-new médias à l'agence Média System. Un système de rémunération d'autant plus accessible que l'achat d'espaces dans la communication de recrutement n'est pas soumis, à l'inverse de la publicité, aux règles de transparence imposées par la loi Sapin. Résultat : « 80 à 85 % du chiffre d'affaires des agences du secteur sont générés par l'achat d'espaces », constate Bertrand Jousset, directeur associé d'Évidence, l'un des rares prestataires à demeurer indépendant. Ce volume s'explique d'autant mieux que quatre des six plus grandes agences françaises de communication en recrutement ont des liens capitalistiques avec des groupes de presse. ORC, le leader du marché, appartient à Publiprint, la régie publicitaire du Figaro. Média System et Guillaume-Tell sont des filiales de Publicis, qui détient 50 % de la régie du Monde. Et Euro RSCG Futurs fait partie de l'empire Vivendi, propriétaire de l'Express, de l'Usine nouvelle et de beaucoup d'autres titres de presse professionnelle.

Pas étonnant que les agences de communication en recrutement n'aient pas vu d'un très bon œil l'essor des sites d'emploi. D'autant que les nouveaux venus n'hésitent pas à ruer dans les brancards. « Les créateurs de ces sites ne sont pas, pour la plupart, issus du secteur du recrutement, note Didier Pitelet, P-DG de Guillaume-Tell. Ne connaissant pas les règles du jeu, certains d'entre eux ont cru pouvoir se passer des agences. Mais ils ont oublié qu'avaient l'oreille des annonceurs. » En clair, les job boards qui démarchent directement les entreprises s'exposent au risque d'être écartés des plans médias préconisés par les agences. Une erreur qui peut s'avérer fatale pour un petit site. « La majorité des grands comptes travaillent avec des agences, constate Alistair Shrimpton, directeur général de Jobline. Avec seulement 20 % des annonceurs, elles réalisent ainsi 80 % du chiffre d'affaires du secteur. Un job board comme le nôtre est donc obligé de collaborer avec elles. Sous peine de mettre la clé sous la porte. »

Même lorsqu'ils traitent avec des entreprises, les responsables des sites de recrutement sont souvent obligés de passer par les agences. « Quand un job board les contacte, la majorité de nos clients se retournent vers nous pour nous demander notre avis », confirme Xavier Bergès, directeur commercial de la communication RH à PubliCorp (ex-Publipanel). L'agence TMP va jusqu'à faire signer à ses clients un contrat par lequel ils s'engagent à la prévenir s'ils diffusent une annonce sur un site. Ce dernier devra alors lui verser une commission. Des pratiques qui ont poussé StepStone à ménager la chèvre et le chou. « Nous avançons main dans la main avec les agences, jure le directeur marketing, Christian Lechère. En revanche, nous démarchons sans elles les PME qui, compte tenu de leurs faibles budgets, ne font de toute façon pas appel à ces prestataires. »

Les sites d'emploi contre-attaquent

Mais cette entente forcée risque de voler en éclats dans les mois prochains. D'abord parce que les DRH commencent à vouloir traiter en direct avec les sites d'emploi. Ensuite parce que ces derniers ne veulent pas se contenter des parts de marché laissées par les agences. Du coup, ils ne respectent pas les règles du jeu édictées par les agences. « Des sites avec lesquels nous travaillons n'hésitent pas à contacter nos clients et à leur proposer des services dont nous ignorons même l'existence. L'entreprise a de quoi se poser des questions et douter de nos compétences », s'insurge Antoine Jeandet, P-DG de l'agence Bernard Hodes Advertising. « Pour tirer son épingle du jeu dans un marché ultraconcurrentiel comme celui des job boards, il faut être capable d'investir sans cesse des sommes considérables en publicité, confirme Didier Ryckelynck, fondateur d'Emailjob. Sans compter que j'ai 70 salariés à faire vivre. Mon chiffre d'affaires doit donc être en constante augmentation. Je ne vais pas empêcher mes commerciaux de démarcher les grands comptes et mettre ainsi en péril l'existence de mon entreprise pour faire plaisir aux agences. »

Auteur

  • J.-Ph. D.