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Débat

Faut-il croire à la refondation sociale ?

Débat | publié le : 01.01.2001 |

Refondation, acte II : après avoir évité un échec sur l'assurance chômage, le round de négociations engagé entre le Medef et les syndicats aborde d'autres sujets tout aussi explosifs, comme l'avenir des retraites complémentaires ou les rapports entre la loi et l'accord collectif. Ce reengineering de notre système social peut-il aboutir sans que l'État y soit associé ? Réponse d'un expert et de deux acteurs de premier plan.

« La refondation va redonner à la démocratie sociale une légitimité pleine et entière. »

DENIS GAUTIER-SAUVAGNAC Vice-président délégué général de l'UIMM.

L'objectif de la refondation sociale est de permettre aux partenaires sociaux, patronat et syndicats, de se réapproprier l'espace social et de l'organiser à partir d'une négociation collective, plutôt que de s'en remettre à l'intervention permanente de l'État, de ses lois et de ses règlements.

Il nous faut donc instaurer une nouvelle culture de négociation. Culture assez nouvelle pour nous, Français, mais essentielle pour un pays qui ne fait pas grand cas de la société civile. Cette culture, nous l'avons encouragée afin d'éviter une régulation imposée par l'État. Les organisations syndicales s'y montrèrent attentives, conscientes sans doute, elles aussi, qu'il fallait décoloniser la société civile pour donner au dialogue social sa pleine vigueur.

Parmi les chantiers de la refondation sociale, certains ont déjà donné lieu à des réflexions approfondies. Mais l'un d'entre eux, de façon assez naturelle, a mûri plus vite que les autres : c'est celui de l'assurance chômage. Le 14 juin 2000 fut donc conclu un accord novateur fondé sur la logique du retour à l'emploi. Ce texte, signé par le Medef, la CGPME, l'UPA, d'une part ; la CFDT, la CFTC et la CGC, d'autre part, est un texte fondateur. C'est pourquoi il dérange tant. Pourtant, à y regarder de près, il constitue un pas décisif vers une démocratie sociale apaisée.

Fondé sur une logique de contrat, il repose sur un équilibre entre, d'une part, les droits des chômeurs, leurs devoirs et leurs engagements, et, d'autre part, les obligations du régime à leur égard. Il ne suffit pas de cotiser pour être indemnisé, il faut aussi que le chômeur s'engage à rechercher activement un emploi et le montre par ses démarches.

Le Pare (plan d'aide au retour à l'emploi) et le PAP (projet d'action personnalisé) instituent, pour la première fois, un suivi personnalisé. Des prestations de formation « qualifiante, diplômante » et une aide à la mobilité géographique pourront être proposées aux chômeurs.

Cette réforme profite d'abord aux demandeurs d'emploi, dont les indemnités sont relevées de 20 à 30 % par la suppression de la dégressivité, et est tout entière au service de l'emploi. Par la baisse de cotisations, les salariés verront leur pouvoir d'achat progresser, et les entreprises bénéficieront d'un allégement de charges. Bref, c'est un accord qui garantit des droits collectifs et apporte de nouveaux services aux chômeurs pour accroître leurs chances de retrouver un emploi.

La refondation sociale n'est donc pas un mythe. Elle est devenue une réalité palpable. La société civile, voilà bien le fait important, prouve ainsi sa capacité d'initiative. Pour autant, la refondation reste fragile : il faudra continuer à expliquer notre démarche, qu'il s'agisse des retraites, de la santé au travail ou de la formation professionnelle.

Nous avons fait une partie du chemin en convainquant pouvoirs publics et organisations syndicales du bien-fondé de notre approche. Une approche reconnue par le traité de Maastricht et confirmée par celui d'Amsterdam. Elle nous permettra, dans le respect de l'ordre public social et des prérogatives du législateur, de redonner à la démocratie sociale une légitimité pleine et entière. Revitaliser, partout où cela s'avère possible, le dialogue au plus près du terrain, c'est-à-dire dans l'entreprise et les branches professionnelles.

« À cette offensive, il faut opposer une démarche associant l'ensemble des partenaires sociaux. »

GAËTAN GORCE Député de la Nièvre.

Le compromis social élaboré à la Libération a volé en éclats sous l'effet du chômage et de l'évolution des modes de production. La question est aujourd'hui de reconstruire un socle de garanties collectives s'appuyant sur une nouvelle articulation de l'intervention de l'État et des partenaires sociaux.

Le Medef propose de substituer à un système de droits garantis par la négociation collective et la loi un dispositif se fondant sur le contrat, c'est-à-dire une relation individuelle entre le salarié et l'employeur. Compte tenu du rapport des forces sociales dans l'entreprise, cela équivaut à une déréglementation in acceptable, car elle ne correspond pas à notre culture sociale. Enfin, la méthode élaborée manifeste une volonté de passage en force plus que la recherche d'un consensus. L'enjeu est plutôt d'inventer un nouveau compromis tripartite permettant de définir clairement les relations entre la loi et la négociation. La loi, dans ce cadre, doit surtout viser à fixer les principes et orientations autour desquels le politique souhaite voir s'organiser la cohésion sociale.

La négociation interprofessionnelle et de branche doit permettre de décliner librement ces principes. À deux conditions. D'abord, que la représentativité et la légitimité des signataires soient revues en profondeur. Il est frappant de constater qu'à aucun moment le Medef ne pose la question de l'accord majoritaire, c'est-à-dire de la représentativité des signataires syndicaux et patronaux. Si cette question centrale n'est pas résolue, tout le processus sera bloqué. Ensuite, il est indispensable d'inventer de nouveaux espaces de concertation entre l'État et les partenaires sociaux. Ceux qui existent aujourd'hui sont trop informels ou ont perdu de leur pertinence.

Enfin, les vrais sujets ne sont pas complètement abordés. Deux paraissent s'imposer : il faut recréer un droit à la promotion sociale, passant par une plus forte mobilité. Non pas synonyme de flexibilité mais permettant à chacun d'accéder à l'emploi qu'il souhaite. Les vingt-cinq années de crise ont favorisé un déclassement des salariés, amenés à accepter des emplois inférieurs à leur niveau de qualification. Une réforme en profondeur du système de formation et d'assurance chômage devrait permettre de faciliter leur retour vers des emplois correspondant mieux à leurs capacités ou à leurs demandes.

Parallèlement, un travail en profondeur doit être fait sur la précarité en accordant des garanties nouvelles aux salariés. La segmentation du marché du travail se traduit par des écarts de droit et de garanties selon les statuts de travail qui ne sont plus acceptables. La formule de droits transitionnels à l'étude va dans le bon sens. À aucun moment elle n'a été abordée dans la refondation sociale. Celle-ci s'apparente plus à une démarche idéologique visant à conquérir les esprits pour faire accepter ensuite des propositions concrètes. À cette offensive, ne serait-il pas urgent d'opposer une démarche aussi cohérente, d'inspiration différente, mobilisant l'ensemble des partenaires sociaux ?

« Un nouveau compromis sociétal doit associer l'État, le patronat et les syndicats. »

PIERRE-ÉRIC TIXIER Professeur des universités à Sciences po.

Depuis le conflit de 1995, les organisations syndicales et patronales ont fait le constat de l'épuisement du modèle de relations professionnelles et sociales français. L'État et le Medef ont essayé de sortir de cette situation avec les lois Aubry pour l'un et la refondation sociale pour l'autre. Paradoxalement, ces deux tentatives reproduisent les modes de relations qui sont à l'origine de l'affaiblissement considérable du modèle social français : elles cherchent à faire des syndicats de salariés les otages de la négociation. En imposant en une journée les 35 heures au CNPF, sans lui laisser de marges de manœuvre significatives, l'État a entraîné une bronca patronale. Après avoir hésité à sortir des organismes paritaires, le nouveau Medef lance la refondation sociale, une sorte de réponse du berger à la bergère. Face à l'immobilisme de l'État, le patronat propose aux syndicats de négocier en dehors des pouvoirs publics.

Un an après, qu'en est-il ? La négociation a effectivement abouti, mais non pas en suivant le schéma proposé initialement. C'est en négociant avec le politique que l'accord a finalement été signé ! Cette compulsion de répétition de la part des acteurs a démontré que la stratégie du déni n'est plus jouable. Que se passerait-il en effet si la société française devait gérer une crise sociale avec des mécanismes d'intermédiations aussi faiblement construits qu'aujourd'hui ?

Derrière la dramaturgie du débat, la négociation de l'Unedic a constitué un véritable processus d'apprentissage dont on peut tirer un ensemble de principes : une négociation demande du temps et il est dangereux de se donner une butée. On risque de manger son chapeau ou d'être forcé de prendre des décisions que l'on ne souhaite pas. En effet, la limitation du temps surmédiatise les événements et laisse ainsi une large place aux acteurs externes à la négociation, médias, intellectuels ou politiques qui pèsent alors trop sur les débats.

Les partenaires sociaux sont faiblement représentatifs en France. Un accord signé par une partie insuffisante d'entre eux perd de ce fait en légitimité. Et il a de faibles chances de s'appliquer tel qu'il a été conçu. Cette observation faite fréquemment dans les entreprises est encore plus vraie lorsqu'une négociation porte sur des enjeux sociétaux. Refonder le modèle social français implique de fédérer les acteurs et de limiter la possibilité de la stratégie du passager clandestin, donc de supprimer la prime à l'absence de risque. Cela implique de modifier les règles du jeu. La CGT et la CFDT ont proposé qu'un accord ne puisse être valable que s'il est signé par des syndicats qui représentent au moins 50 % des salariés. Bonne idée !

Le contenu très technique des négociations à venir suppose de disposer des ressources de l'État. Les relations professionnelles reposent en France sur un triangle : syndicats de salariés, organisations patronales et État. Une nouvelle fondation du compromis sociétal suppose que ces trois partenaires y soient associés, même si leurs rôles sont différents. Il faut au minimum demander à l'État qu'il valide les choix des acteurs ou qu'il définisse a priori leurs marges de jeu. C'est par la clarification des fondements de la démocratie politique et de la démocratie sociale qu'un nouveau compromis sociétal doit émerger.