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Fallait-il supprimer la visite médicale d’embauche ?

Idées | Débat | publié le : 01.02.2017 |

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Fallait-il supprimer la visite médicale d’embauche ?

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Moyen de désengorger les services de médecine du travail et de faire face à la pénurie de professionnels, la fin de l’automaticité de la visite d’embauche suscite bien des questions. En matière de qualité du suivi des salariés ou encore d’obligation de reclassement de l’employeur.

Patrick Maddalone sous-directeur des conditions de travail, de la santé et de la sécurité au travail à la DGT.

Avec les nouvelles dispositions applicables depuis le 1er janvier 2017 en matière de médecine du travail, le médecin est placé au centre du dispositif. En supprimant le caractère systématique de l’examen médical d’aptitude, elles permettent de libérer du temps pour les médecins, qui pourront ainsi consacrer l’essentiel de leur attention aux salariés qui en ont le plus besoin. La majorité sera suivie dans le cadre des visites d’information et de prévention. Le médecin déterminera les modalités du suivi médical au travers du protocole infirmier, en fonction de sa connaissance de l’entreprise, des postes occupés et des salariés. Il définira le déroulé des visites et les éléments qui devront permettre une orientation par le personnel infirmier vers un médecin du travail afin de permettre un éventuel examen clinique. Ce dispositif permet ainsi d’adapter le suivi aux besoins des salariés en resserrant la fréquence des visites chaque fois que nécessaire. À l’inverse, les salariés sans problème particulier seront vus moins souvent. Tous les cinq ans ou tous les trois ans pour les travailleurs handicapés, les jeunes de moins de dix-huit ans ou les travailleurs de nuit. Adapter le suivi aux besoins du salarié permettra de mobiliser les services de médecine du travail dans des cas identifiés et d’intervenir plus efficacement en matière de prévention. Ainsi, un salarié exposé à des risques psychosociaux pourra faire l’objet de visites d’information et de prévention plus rapprochées. Le texte prévoit qu’une visite médicale puisse être réalisée par un médecin du travail à la demande d’un salarié, d’un employeur ou sur initiative du médecin lui-même si, dans un même atelier, les visites d’information et de prévention font apparaître des situations semblables pouvant générer un risque pour la santé des salariés. Les examens médicaux d’aptitude sont désormais effectués systématiquement pour les seuls postes à risque définis par le Code du travail. Nous passons ainsi d’un suivi généralisé et indifférencié à un suivi sur mesure plus efficace, car adapté aux besoins des salariés. Ces dispositions s’inscrivent pleinement dans celles de l’article 1 de la loi du 11 octobre 1946, qui a instauré les services médicaux du travail.

Jean-Michel Sterdyniak Secrétaire général du Syndicat national des personnels de santé au travail.

La médecine du travail a une mission d’ordre public et vise à la protection des travailleurs face aux risques du travail. Une véritable modernisation de la santé au travail consisterait à donner aux équipes médicales pluridisciplinaires un cadre et des moyens permettant d’assurer au mieux cette mission. Quand bien même la loi travail, et son article 102 visant à la modernisation de la santé au travail, amènerait une certaine décongestion, quel serait le bénéfice pour la santé au travail ? La loi n’apporte rien en matière de prévention primaire. La détermination de l’aptitude maintenue et renforcée pour certains postes fait même l’inverse. Le travail en équipe et la pluridisciplinarité ne sont pas évoqués. L’efficacité du suivi médical des salariés risque de se dégrader. La nouvelle loi est directement issue des mesures de simplification présentées par le ministère de l’Économie en octobre 2014. La médecine du travail se voyait reprocher « la formalité impossible » des visites obligatoires, ce qui plaçait les employeurs dans une forte insécurité juridique. Il était aussi reproché aux médecins d’empêcher les employeurs de « remplacer » les salariés ayant des restrictions d’aptitude. La loi travail est dans cette logique et vise non à décongestionner la médecine du travail, mais bien à sécuriser juridiquement les employeurs et les directions des services de santé au travail. Elle allège les obligations de reclassement des employeurs, facilite les licenciements pour raisons médicales et rend plus difficile les recours des salariés. Au demeurant, la visite d’embauche par un médecin n’est pas supprimée puisqu’elle est maintenue pour les salariés occupant des postes à risque. Pour les salariés « sans risque », une première visite obligatoire dans les trois mois de l’embauche est maintenue. Seule différence avec la visite d’embauche, elle peut être effectuée par un infirmier ou une infirmière en santé au travail. La « décongestion » risque donc d’être modérée. Et rapidement compromise par la décroissance du nombre de médecins et d’infirmiers et par la persistance des contrats précaires. Par ailleurs, les postes à risque seront définis, in fine, par les employeurs, et donc extensifs. Pour toutes ces raisons, je ne vois pas ce que cette loi apporte comme solution.

Jean-Michel Pottier Vice-président de la CPME, chargé des affaires sociales et de la formation.

Au cours de la discussion de la loi El Khomri, la CPME (alors CGPME) avait fait part de ses réticences sur certaines innovations annoncées concernant la médecine du travail. Elle s’inquiétait de la volonté gouvernementale de supprimer la visite d’embauche et l’avis d’aptitude délivré à cette occasion. Elle redoutait aussi l’allongement des délais entre les visites médicales de suivi des salariés aboutissant elles aussi à la délivrance d’un avis d’aptitude. Si sa lourdeur était parfois critiquée, le dispositif en vigueur jusqu’au 1er janvier présentait deux avantages majeurs. Il apportait une sécurisation à l’employeur et permettait de détecter d’éventuels problèmes de santé. L’article 102 de la loi intègre ces innovations en apportant quelques bémols. Une visite d’information et de prévention est maintenue dans un délai qui n’excède pas trois mois à compter de la prise effective du poste de travail. Elle peut être effectuée par un interne en médecine du travail, un infirmier ou une infirmière. Par ailleurs, à l’issue de cette visite, le professionnel de santé délivre une attestation de suivi au travailleur et à l’employeur. Enfin, le salarié bénéficie d’un suivi prenant en compte les conditions de travail, l’état de santé, l’âge ainsi que les risques auxquels il est exposé. Force est de constater que ce texte ne répond pas à nos attentes. Aucune précision concrète n’est apportée sur la valeur juridique de l’attestation délivrée au travailleur et à l’employeur. La sécurisation de l’employeur est donc imparfaite. En outre, le décret n’apporte qu’une précision minimale sur le suivi à long terme du salarié. Le délai concernant les visites de suivi s’exerce selon une périodicité qui ne peut excéder cinq ans. Dans la réalité, elle sera fixée par le médecin du travail. Nous risquons une sorte de balkanisation de la périodicité des visites. Selon sa vision des choses, le médecin du travail pourra fixer une périodicité de trois, quatre ou cinq ans. Enfin, sachant qu’une visite assurée par un infirmier coûte à peu près 80 euros, les TPE/PME pourront se poser la question de savoir si une visite tous les cinq ans assurée par un infirmier vaut 400 euros. La CPME souhaite que des aménagements soient apportés lors de la prochaine législature.

Ce qu’il faut retenir

// Depuis le 1er janvier 2017, les salariés nouvellement recrutés ne passent plus de visite médicale à l’embauche, mais une simple visite d’information et de prévention. Seuls les salariés affectés à des postes à risques particuliers continuent à bénéficier de la visite « classique ».

// Cette mesure est prévue à l’article 102 de la loi travail du 8 août 2016 destiné à moderniser la médecine du travail. Certains passages de ce texte ont pour objectif de limiter les effets de la pénurie de médecins du travail.

// Les « collaborateurs médecins » et les « internes en médecine du travail » sont désormais partie intégrante de l’équipe pluridisciplinaire de santé au travail.

// L’employeur qui ne peut proposer un reclassement à un salarié « inapte » peut rompre son contrat en se fondant sur l’avis du médecin du travail indiquant que le maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.

En chiffres

5 524

c’est le nombre de médecins du travail en activité en France en 2016. Ils exercent principalement en service autonome ou interentreprise.

8,3

c’est le nombre de médecins du travail pour 100 000 habitants en 2016.

55 ANS

c’est l’âge moyen des médecins du travail.

Source : ministère des Affaires sociales et de la Santé