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Quelles réformes pour améliorer le système ?

À la une | publié le : 01.02.2017 | Emmanuelle Souffi

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Quelles réformes pour améliorer le système ?

Crédit photo Emmanuelle Souffi

Tous deux experts avertis du dialogue social, Jean-Charles Simon et Jean-Paul Guillot livrent leurs pistes* pour redonner au paritarisme toutes ses lettres de noblesse.

Le paritarisme est-il une exception française ?

Jean-Charles Simon : Il n’existe aucune définition précise et consensuelle du paritarisme, terme popularisé par André Bergeron en 1961. Il recouvre trois champs : celui de la négociation, celui de la représentation et celui de la gestion. Ça n’est pas le principe du paritarisme qui est exceptionnel, mais son ampleur. Depuis la loi Larcher, les partenaires sociaux ont une forme de droit de priorité sur l’élaboration de la norme dans les domaines qui les concernent. C’est assez singulier par rapport aux grandes démocraties européennes. Et même très étonnant au regard de notre culture jacobine. Ainsi, 6 à 7 % du PIB, soit 135 milliards d’euros, sont entre ses mains ! Compte tenu de leur force et de leur vitalité, ces organisations possèdent-elles la légitimité pour remplir le rôle qu’on leur donne ? J’en doute.

Jean-Paul Guillot : Le paritarisme va dans le sens de l’histoire. Le projet de socle social européen part de cette idée de responsabilisation du monde patronal et syndical. En Allemagne, quand un chancelier entre en fonction, il rencontre les partenaires sociaux. Par le passé, cette volonté de rassembler les deux blocs a joué un rôle majeur face à la montée du communisme après la guerre. Le paritarisme a aboli les frontières entre patronat et syndicats. Construire une solution sans y associer les personnes les plus en prise avec le terrain et donc les plus impactées risque d’engendrer incompréhension et inadéquation, voire pire, le rejet, comme on l’a vu sur la loi travail. Leur seule légitimité, c’est d’œuvrer dans l’intérêt de leurs adhérents.

Est-il « plus un problème qu’une solution », comme le pointe Jean-Charles Simon ?

J.-P. G. : Les provocations actuelles sont bénéfiques, car elles interpellent le débat sur l’utilité des partenaires sociaux. Aujourd’hui, ils ont pris conscience de leur devoir d’efficience. Les lois de 2008 et 2010 y ont contribué. Pour être crédibles, ils savent qu’il faut être à l’écoute des adhérents plutôt que d’une ligne politique. C’est aussi une question de survie. À eux de réfléchir à de nouvelles ingénieries. À ce titre, le renforcement de la formation est indispensable.

J.-C. S. : Aujourd’hui, le sentiment d’impuissance des partenaires sociaux, leurs difficultés à mener des réformes de structure impliquant des ruptures, croît au profit de la démocratie politique. Qui a la légitimité pour mener une évolution forte ? C’est le pouvoir politique, estiment les dirigeants de parti. Ceux-là mêmes qui vantaient l’importance du dialogue social, comme Jacques Chirac en 2002, disent désormais le contraire. On assiste à un mouvement de balancier favorisé par la crise qui creuse les déficits des organismes sociaux. Si on veut transformer un pays, l’idée actuelle c’est que l’État doit jouer son rôle faute d’avoir des acteurs en capacité de le faire du fait de leur émiettement et de leur faible représentativité.

Paritarisme rime-t-il avec conservatisme ?

J.-C. S. : Oui pour deux raisons : avec huit organisations, il est difficile de dégager de vraies réformes. Regardez l’incapacité du patronat à se mettre d’accord sur une modulation du taux de cotisation Assedic en fonction du recours aux contrats courts, comme c’est le cas aux États-Unis ! Ensuite, il y a une forme de corps de permanents syndicaux et patronaux déconnectés de l’entreprise (tribunaux de commerce, CCI…) qui font la pluie et le beau temps tout en préservant l’existant.

J.-P. G. : Ce que vous dites est juste en ce qui concerne les représentants patronaux qui parlent de l’entreprise sans y être ! Mais ça n’est pas un argument suffisant pour les écarter. Le paritarisme est né de la volonté des partenaires sociaux d’agir, pas de celle de l’État ! Mais de fil en aiguille, on a empilé les dispositifs. Mieux vaudrait en garder moins et être plus pro sur les autres en travaillant sur les compétences clés. Le dialogue social n’est pas une fin en soi !

J.-C. S. : Est-il normal de confier la gestion d’Action logement au patronat vu les conflits d’intérêts que cela pointe ? Tout a été fait pour préserver les mandats au lieu de raisonner en efficience.

Comment le réformer ?

J.-C. S. : Je préconise de renvoyer certaines structures à l’État, au privé ou à la cogestion. Il faut envisager un reflux des prérogatives des partenaires sociaux. Ça n’est pas une pénalisation mais un moyen de revenir à l’essentiel. Éviter que l’Unedic tombe aux mains de l’État l’emporte sur la logique de gestion. Aujourd’hui, avec la croissance des ruptures conventionnelles, le régime n’a plus rien d’assurantiel car le caractère involontaire de la perte d’emploi qui justifiait l’indemnisation disparaît. L’État est le mieux placé pour articuler ces allocations chômage avec les aides sociales. Enfin, qui trop embrasse mal étreint ! On a massifié la protection sociale et c’est un facteur perdant dans la mondialisation actuelle. Pourquoi ne pas imaginer un dispositif plus solidaire, confié aux pouvoirs publics, avec la garantie d’un taux de remplacement et des cotisations variant en fonction du salaire ? Mais en France, on a horreur de l’inégalitaire.

J.-P. G. : L’histoire des relations entre partenaires sociaux et État repose sur la défiance. Il faut sortir de cette posture. Fondamentalement, avant de dire « je signe ou pas », il faut prendre le temps du diagnostic partagé, des études d’impact réalisées par des experts indépendants. Négocier ne doit pas être une figure imposée. Cette étape étant rarissime, on traîne des blocages sur des textes, voire sur leur mise en œuvre. Chaque acteur aurait intérêt à réfléchir à cette ingénierie de négociation.

Et limiter le nombre de mandats comme dans la sphère politique ?

J.-P. G. : La capacité à dégager du temps pour militer devient complexe avec la crise. L’ANI prévoyait de compenser la perte économique liée à l’engagement d’un dirigeant. L’essentiel, plus que la réduction du nombre de mandats, c’est la formation. Et il n’y a rien d’illogique à ce que ce soit l’État qui la finance en partie.

J.-C. S. : Je suis d’accord avec vous sur l’exigence de formation, car les questions traitées sont complexes. Mais je trouve inadmissible qu’une taxe ait été créée à cet effet et pour financer le dialogue social ! Il serait plus légitime que les cotisations versées aux organisations syndicales soutiennent ce dernier !

Faut-il ouvrir le premier tour des élections professionnelles à tout syndicat ?

J.-C. S. : Initialement, le verrou avait été posé pour éviter l’entrisme politique. Aujourd’hui, il vise aussi les organisations confessionnelles ou identitaires. Ce sont des risques à prendre au sérieux. Néanmoins, avec un contrôle a priori de l’administration, il est possible d’ouvrir les candidatures, notamment parce que l’affiliation à un syndicat est parfois vécue comme très engageante.

J.-P. G. : Environ 1 million de Français sont titulaires d’un mandat syndical ou patronal, public et privé confondus. La difficulté réside dans la relève à trouver. Combien de salariés aimeraient participer aux instances mais en sont empêchés par peur des discriminations ?

* Jean-Charles Simon, « Faut-il en finir avec le paritarisme ? », Institut de l’entreprise, 2016. Jean-Paul Guillot, En finir avec les idées fausses sur les syndicats et le dialogue social, Les Éditions de l’atelier, 2015.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi

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