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Candidates, candidats unissez-vous !

Décodages | publié le : 02.01.2017 | Éric Béal

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Candidates, candidats unissez-vous !

Crédit photo Éric Béal

Les listes aux élections professionnelles doivent désormais être à l’image de la proportion d’hommes et de femmes dans l’entreprise. Histoire de booster la parité dans les instances. Pas si simple !

L’égalité salariale entre les femmes et les hommes est encore loin d’être effective dans les entreprises. Mais, depuis le 1er janvier, la parité a gagné une bataille sur le front des institutions représentatives du personnel (IRP). La loi relative au dialogue social et à l’emploi, dite « Rebsamen », adoptée en août 2015, impose que les listes électorales soient composées d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la part des femmes et des hommes présents dans l’entreprise. Par exemple, dans une clinique où les salariées constituent les trois quarts du personnel, les listes électorales devront impérativement être composées de trois quarts de candidates, au premier comme au second tour. Et ce n’est pas tout, les articles L. 2314-1 et L. 2324-22 du Code du travail imposent à chaque liste d’être « composée alternativement d’un candidat de chaque sexe jusqu’à épuisement des candidats d’un des sexes ». Des listes « chabadabada » en somme, avec alternativement un homme, une femme, ou une femme, un homme, etc. L’attribution des sièges se faisant toujours à la proportionnelle, les candidats en tête de liste seront les heureux élus.

De quoi pousser hors du comité d’entreprise un certain nombre d’anciens qui devront faire place à l’autre sexe. La nouveauté est d’ailleurs plus ou moins bien accueillie dans les organisations syndicales. À la CGT, Sophie Binet s’occupe de l’égalité professionnelle. Elle est favorable à une meilleure représentation des femmes au sein des IRP, mais estime que la loi Rebsamen ne correspond pas exactement à ce que demandait son organisation. « Nous ne voulions pas de loi couperet. Dans une PME avec très peu de places à pourvoir au CE, elle peut aboutir à l’impossibilité d’élire une femme si plus de 80 % du personnel est masculin. Nous aurions préféré un système de bonus-malus. Par exemple, des heures associées aux mandats en moins pour les listes n’ayant pas le bon rapport hommes-femmes. Et nous avons réclamé les mêmes obligations pour la partie patronale. En vain », regrette-t-elle.

À l’inverse, Patricia Blancard, secrétaire générale adjointe de la CFDT Cadres, estime que la loi est intelligente. « Elle oblige les IRP à avoir une composition femmes-hommes proportionnée à la réalité de l’entreprise. C’est important, car certains sujets ne sont pas toujours revendiqués de la même façon, suivant le genre des représentants du personnel. Comme l’équilibre vie pro-vie perso par exemple. » La syndicaliste admet cependant que ces nouvelles obligations engendrent parfois une situation « pas évidente » à gérer pour les responsables de section syndicale.

Vraie-fausse parité.

Pour Gilles Lecuelle, secrétaire national au dialogue social, restructuration des branches et représentativité à la CFE-CGC, « les situations sont contrastées suivant les branches. Dans la banque, les femmes sont nombreuses dans l’encadrement. Mais dans l’industrie, il y en a très peu. Et lorsque les entreprises embauchent des jeunes diplômées pour rééquilibrer, cela ne résout pas le problème car le militantisme n’est pas une priorité en début de carrière ». Président du syndicat CFE-CGC d’Orange, Sébastien Crozier pointe un autre écueil. « Contrairement aux intentions du législateur, cette règle n’atteint pas son objectif. Les listes sont présentées avec une alternance homme-femme dès le début. Si les hommes sont plus nombreux, il y aura un surnombre à la fin. Or les derniers de la liste ne sont jamais élus. Donc nous aurons une parité 50 %/50 % chez les élus qui ne respectera pas la proportionnalité entre hommes et femmes dans l’entreprise. » Et de réclamer le calcul de la proportionnalité au niveau de l’entreprise globale dans le cas d’un groupe multisite, et non pas au niveau de chaque établissement.

Chez FO, Marie-Alice Medeuf-Andrieu, secrétaire confédérale à la représentativité, met aussi en avant les problèmes posés par cette évolution législative « féministe ». « Ce texte pourrait se révéler destructeur de listes syndicales. En 2017, il pourrait y avoir des listes annulées pour cause de non-conformité avec la législation. Sans compter que si les syndicats n’arrivent pas à attirer des femmes ou des hommes en nombre suffisant pour respecter la loi, certains d’entre eux pourraient voir une partie de leurs représentants élus éliminée. Par exemple, tous les hommes en excédent, y compris des militants aguerris. » Pour la responsable syndicale, il est déjà difficile de trouver des volontaires prêts à s’engager dans les IRP ; ajouter l’obligation de respecter la proportionnalité entre hommes et femmes dans l’entreprise complique singulièrement les choses. « Plutôt que des mesures coercitives ciblées sur les listes, il aurait fallu mettre en place des mesures incitatives, comme un bonus sur les résultats. De manière à tendre vers une réelle parité », ajoute-t-elle.

Sombres prédictions.

Secrétaire général de FO Métaux, Frédéric Homez prédit le chaos. « Toutes les organisations syndicales vont se mettre à chercher des femmes pour remplir les listes. Dans la métallurgie, elles ne sont pas légion et il est fort probable que nous ne trouvions pas de volontaires en nombre suffisant. Les syndicats qui présenteront des listes déséquilibrées verront leurs représentants contestés par la direction. Le résultat va être un affaiblissement du fait syndical. » Sans nier la difficulté, Olivier Guivarch, secrétaire général de la Fédération CFDT des services, n’adhère pas à ces sombres prédictions. « Nous sommes conscients de la contrainte supplémentaire, mais je ne crois pas trop aux militants expérimentés qui seront écartés. Il y a toujours moyen de jouer un rôle ailleurs. De toute façon, un investissement accru des femmes dans le syndicalisme va dans le sens de l’histoire. Et c’est le meilleur moyen de régler les problèmes d’inégalité entre les sexes. » Son organisation va pousser ses représentants à respecter les formes : une section déséquilibrée présentera une liste incomplète, à l’image de la réalité de l’entreprise, aux futures élections.

Plus optimiste, Marie-Andrée Seguin, secrétaire nationale à la parité et à la modernisation du dialogue social de la CFDT, rappelle que les prédictions de certains sur ces difficultés ne se sont pas réalisées. « Sur les 172 personnes que nous avons présentées pour siéger aux commissions paritaires régionales interprofessionnelles, 58 % sont des femmes, se félicite-t-elle. Mais nous avions anticipé avec un plan d’action mixité début 2013. »

Pour être dans les clous de la loi, les organisations ont mis le paquet. Des guides, des livrets explicatifs et des articles ont été publiés sous toutes les couleurs syndicales. Objectif, aider les sections d’entreprise à préparer les prochaines échéances électorales. La CFDT Services a même développé une application pour smartphone appelée « Services élections ». Elle permet de préparer une liste en respectant la mixité des candidats et d’enregistrer les résultats pour calculer l’audience du syndicat et le poids de sa signature. Finalement, le défi de la féminisation rejoint celui de la syndicalisation. Et là, il n’y a qu’une seule solution : occuper le terrain.

Auteur

  • Éric Béal