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Mutuelles d’entreprise : faut-il laisser le libre choix ?

Idées | Débat | publié le : 05.12.2016 |

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Mutuelles d’entreprise : faut-il laisser le libre choix ?

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La foire d’empoigne règne sur le créneau de la protection sociale, pour s’emparer d’une partie du marché résultant de l’obligation faite aux entreprises de souscrire une complémentaire santé pour leurs salariés. Certains candidats à la primaire de droite ont proposé de revenir sur la généralisation.

Dominique Drouet Secrétaire confédérale de la CFDT, chargée de la protection sociale.

La mise en place d’une complémentaire santé collective et obligatoire pour les salariés est une affaire de justice sociale. Si la CFDT a défendu en 2013 la généralisation de la complémentaire, c’est pour plus d’égalité dans l’accès et le financement, avec un bon rapport qualité-prix, et plus de solidarité, l’objectif étant une couverture par la mutualisation au sein de chaque branche.

Rappelons la situation avant l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013. Les complémentaires étaient mises en place à 61 % par décision unilatérale de l’employeur, à 28 % par accord de branche et à 11 % par accord d’entreprise. Dans les branches, les accords étaient très peu négociés, souvent facultatifs et au seul bénéfice des cadres. L’accès à la complémentaire était disparate selon les sociétés et les secteurs d’activité : 90 % des entreprises de plus de 1 500 salariés proposaient une complémentaire santé, contre 46 % des PME ; 89 % des sociétés de cokéfaction et de raffinage la proposaient contre 26 % des employeurs dans l’administration publique, l’enseignement ou la santé. Seule constante, les contrats collectifs étaient toujours de meilleure qualité que les contrats individuels.

Les avantages de cette généralisation sont clairs. Dans la majorité des cas, le salarié bénéficie d’une meilleure couverture pour un coût moindre. L’entreprise en tire aussi avantage : ses salariés sont plus enclins à se soigner dès les premiers symptômes. Cela diminue le nombre d’absences et améliore la productivité.

Si, demain, l’obligation disparaît, les conséquences seront graves en termes de hausse des inégalités. Le salarié verra supprimée la prise en charge d’au moins 50 % de la cotisation de l’employeur et augmenter sa cotisation à un contrat individuel. Une partie des 35,2 milliards d’euros de cotisations ne sera plus prise en charge par les employeurs, sans pour autant que ceux-ci en fassent profiter les salariés. Les branches pourront faire moins de prévention. Un nombre important de salariés renoncera aux soins en raison d’une couverture de moindre qualité. Cette perspective ne correspond pas à l’originalité de notre modèle social.

Éric Verhaeghe Ex-directeur des relations sociales de la FFSA, fondateur du cabinet Parménide.

La question du libre choix pour les entreprises ne devrait même pas se poser. La liberté contractuelle est un principe de valeur constitutionnelle. Refuser aux entreprises la liberté de choisir leur contractant dans le domaine de la complémentaire santé, comme dans d’autres, n’est rien d’autre qu’une violation de nos droits fondamentaux. C’est pour cette raison que le Conseil constitutionnel a interdit les clauses de désignation le 13 juin 2013, dans une décision retentissante qui continue de sidérer les partenaires sociaux.

Ce faisant, il a remis en cause un mauvais penchant de ces partenaires : conférer un monopole à un ou deux assureurs paritaires dans la branche en échange de gratifications. Combien de congrès, de voyages d’études et bien d’autres choses ont pu être financés par des organismes reconnaissants aux syndicats (de salariés comme de patrons) d’avoir été désignés dans des conditions avantageuses ? Ce « je te tiens, tu me tiens par la barbichette », caractéristique de la démocratie sociale à la française, a fait de la désignation en protection sociale une clé de voûte extrêmement malsaine et archaïsante.

Parallèlement, les groupes paritaires de protection sociale ont pris l’habitude de mener grand train avec l’argent des cotisants. Songeons aux équipes de cyclisme, aux bateaux, aux événements sponsorisés par ces groupes, c’est-à-dire in fine par des salariés qui se voient refuser des augmentations de salaire. Quand on songe que ce petit business est organisé au nom de la solidarité, on prend la mesure du risque de réputation auquel les partenaires sociaux exposent la fameuse démocratie sociale.

La décision du Conseil constitutionnel a mis des groupes paritaires endormis en concurrence frontale avec des professionnels de la conquête commerciale comme les courtiers. Le choc est rude et les marges de solvabilité s’effondrent. Certains groupes sentent le regard du régulateur s’attarder sur leur bas de bilan. Ne cherchons pas ailleurs l’actuelle campagne de dénigrement sur la liberté de choix.

Pierre Burban Secrétaire général de l’U2P (ex-UPA), Union des entreprises de proximité.

L’U2P n’est pas demandeuse d’un retour sur le caractère obligatoire de la complémentaire santé, généralisée aux salariés du secteur privé grâce à l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, repris ensuite par la loi du 14 juin 2013. Proposer une telle couverture contribue à l’attractivité de l’artisanat et des commerces. La majorité des branches n’avait pas attendu 2013 pour négocier volontairement des régimes, à caractère facultatif ou obligatoire, comme dans la boulangerie-pâtisserie et la coiffure. L’état de santé des salariés est un sujet primordial dans les TPE. Au sein d’une équipe réduite, tout arrêt de travail impacte considérablement la production. Un autre intérêt de la généralisation est le coût limité attendu d’une telle mesure, par l’effet de la mutualisation des risques, du financement et de la gestion au niveau de la branche.

Ce qu’une loi a fait peut être défait par une autre loi. Mais les conséquences ne seront pas immédiates. La complémentaire santé obligatoire est mise en œuvre dans le cadre d’un ANI, décliné par accords de branche ou d’entreprise. Revenir sur son caractère obligatoire suppose que les partenaires sociaux dénoncent les accords. L’U2P y est opposée.

Les modifications à apporter doivent plutôt concerner les modalités de mise en œuvre. En 2013, le Conseil constitutionnel a interdit les clauses de désignation puis les clauses de recommandation assorties d’un avantage fiscal, et remis en cause trente ans de politique conventionnelle. Si les accords existants conclus pour cinq ans n’ont pas été rendus caducs, ces décisions amputent la capacité de négociation des branches et empêchent la mutualisation du dispositif au niveau de la branche, garantie d’une réduction des coûts de 20 à 25 % pour les entreprises. Ces décisions mettent en difficulté les TPE qui n’ont pas le temps de lancer des appels d’offres auprès des opérateurs. L’U2P soutient un amendement, déposé dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2017, qui autorise la mise en place d’un système de codésignation. Il permettra de soustraire les TPE aux pressions des acteurs de l’assurance.

Ce qu’il faut retenir

// Depuis le 1er janvier 2016, toute entreprise du secteur privé doit proposer à ses salariés une complémentaire santé, qu’elle finance à 50 %. Le panier de soins négocié est basique.

// Cette mesure issue de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 a été négociée par les syndicats comme une contrepartie à l’assouplissement du contrat de travail. Après l’abrogation des clauses de désignation par le Conseil constitutionnel, mi-2013, les branches n’ont plus le droit d’imposer un seul assureur aux entreprises qu’elles regroupent. Mais elles n’ont pas dit leur dernier mot, beaucoup muant la désignation en recommandation. La généralisation du contrat collectif attise la concurrence entre les 481 mutuelles, les 28 instituts de prévoyance et les 96 sociétés d’assurance.

// Certains candidats à la primaire de la droite ont proposé de revenir sur cette généralisation. Pour eux, la complémentaire santé relève d’un choix individuel.

En chiffres

67 %

des TPE de moins de 10 salariés n’offraient pas de couverture santé en 2009.

400 000

salariés étaient sans complémentaire santé avant 2016, faute d’être couverts par un contrat collectif d’entreprise ou individuel.

33,9

millions d’euros, c’est le montant des cotisations collectées en complémentaire santé en 2014.

Sources : Drees, Fonds CMU.