logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Espaces de travail : consulter les salariés, c’est tendance

Décodages | publié le : 05.12.2016 | Éric Béal

Image

Espaces de travail : consulter les salariés, c’est tendance

Crédit photo Éric Béal

Avant d’emménager dans de nouveaux locaux, nombre d’entreprises demandent leur avis aux salariés. Un moyen de faire accepter des changements concernant autant l’organisation et le management que l’environnement de travail. Tour d’horizon.

Investir dans des locaux, réaménager des bureaux sont des décisions stratégiques lourdes financièrement pour les entreprises. Jusqu’à ces dernières années, les directions se contentaient de consulter le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, de soigner leur communication pour calmer les inquiétudes du personnel, voire de présenter les nouveaux meubles dans un showroom joliment agencé. Une méthode qui semble désormais bien insuffisante, dans les grands groupes du moins. À la Société générale, le projet de déménagement d’une partie du personnel dans l’ensemble appelé Les Dunes a commencé début 2015. Ces trois bâtiments reliés par un patio en entresol ont été érigés près de Val-de-Fontenay, une station sur la ligne A du RER, dans l’Est parisien. Quelque 5 000 collaborateurs ont intégré ces nouveaux locaux entre septembre et novembre dernier. « Ce qui n’était qu’un programme de relocalisation stricto sensu a évolué vers un projet d’entreprise pour réinventer le travail en commun dans une structure très différente de nos locaux habituels », affirme Valérie Migrenne, la directrice de la gestion des talents stratégiques et des cadres dirigeants du groupe Société générale.

La direction y a mis les moyens : réunions hebdomadaires à destination des managers, présentations et questions-réponses pour 80 collaborateurs volontaires chargés de relayer l’information à leurs collègues, mise à disposition des informations sur l’intranet et showroom pour présenter le nouveau mobilier. Plus original, des locaux existants ont été aménagés en configuration « Dunes » au siège de l’entreprise à la Défense. Cinq cents personnes s’y sont installées début 2016 pour essuyer les plâtres. « Cela a permis de peaufiner l’accompagnement du changement et d’anticiper les problèmes de connexion de postes de travail », précise Dominique Barbier, directeur des relations sociales et responsable du déménagement.

À partir de septembre, un forum ouvert sur l’intranet s’est fait l’écho de différents points irritants rencontrés par les premiers locataires : problèmes de connexion informatique, mauvaise utilisation du système de réservation de poste ou de salle, par exemple. « Nous allons continuer les rencontres avec les équipes, ajoute la DRH. Il y aura des ajustements en fonction des problèmes rencontrés. Les salariés relais sont toujours en fonction et nous avons organisé des groupes de travail avec des volontaires sur des sujets comme la restauration collective, le mobilier ou l’aménagement de l’entresol, là où se trouvent tous les services annexes. »

Objectif management.

Professeur de sociologie à Paris-Est Marne-la-Vallée et chercheur au Laboratoire techniques territoires et sociétés (Latts), Pascal Ughetto (voir encadré page 36) estime que cette tendance à interroger les salariés est une conséquence de la réflexion entamée par les grands patrons français après la découverte du monde des start-up. « En améliorant l’agencement des lieux selon les besoins de leur personnel, les grandes entreprises espèrent modifier les comportements de chacun, décloisonner les services, assouplir le management des équipes et aboutir à des innovations ou à une réactivité impossibles à obtenir dans un environnement classique », estime-t-il.

De son côté, Gérard Pinot, patron de Génie des lieux, une société de conseil spécialisée dans les nouveaux environnements de travail, rencontre un nombre croissant d’opérations de cocréation d’espaces de travail. « Les directions sont proactives dans les grandes ruptures et impliquent les salariés dans la création de nouveaux espaces de travail. » Il cite Michelin, dont la direction a récemment invité les ingénieurs du centre de technologie, basé à Ladoux, près de Clermont-Ferrand, à réfléchir sur les aménagements de leur bureau dans le cadre d’ateliers de cocréation.

Le centre de recherche de Schneider Electric, à Grenoble, ou encore le groupe Havas ont connu des opérations similaires, qui ne se contentent pas de présenter les projets aux salariés. « Les entreprises qui veulent améliorer l’environnement de travail impliquent jusqu’à 10 % de l’effectif dans la réflexion. Elles créent des groupes de travail par métier avec des collaborateurs volontaires et effectuent des tests. L’idée est de leur permettre de vivre une expérience grandeur nature », précise Han Paeman, directrice-conseil workplace chez Colliers International, une société de conseil immobilier.

En matière d’expérience, les salariés de Deloitte ont été servis. Avant d’investir complètement 19 étages de la tour Majunga, sur l’esplanade de la Défense, la société internationale d’audit et de conseil a ouvert un laboratoire grandeur nature sur cinq étages – le lab en langage interne – pour permettre à un millier de salariés de tester cinq types d’organisation du travail. Des open spaces traditionnels auxquels ils sont habitués aux configurations les plus innovantes, avec box collaboratifs, espaces calmes, coins de stand-up meetings ou encore cabines téléphoniques sans téléphone, pour s’isoler avec son portable afin de ne pas gêner ses collègues.

Expérimentation.

« Nous accompagnons nos clients lorsqu’ils déménagent, indique Yannick Bigot, le directeur du capital humain. Aujourd’hui, il n’y a pas un projet qui n’associe pas les salariés. Mais là, nous avons voulu aller plus loin. Nous avons proposé à nos collaborateurs d’expérimenter le mobilier et d’adopter de nouvelles pratiques de travail pendant plusieurs mois. » Dans quelques semaines, un bilan des retours d’expérience sera établi. Ne seront retenus pour l’aménagement des autres étages que les espaces qui ont donné satisfaction.

Chez Gecina, une société d’investissement immobilier, on expérimente aussi, mais en utilisant l’imagination des salariés. Vingt-trois d’entre eux, issus des services RH-RSE, communication-marketing et gestion d’immeuble ont d’abord été invités à décrire leurs habitudes de travail, puis les locaux leur paraissant les mieux adaptés. Ils ont ensuite imaginé l’organisation des 350 mètres carrés qui leur étaient réservés. Le cahier des charges qui en a découlé a été confié à un space planner et les salariés ont pris possession de leurs nouveaux locaux en mai dernier. Une fois que les enseignements sur le bien-être et les performances des salariés seront tirés, d’autres départements pourraient suivre la même démarche. « Au final, les salariés ont retenu une organisation dans laquelle les bureaux ne sont pas attribués à quelqu’un. Les membres du comité exécutif eux-mêmes n’ont pas de bureau personnel. Ce fut une surprise », constate Brigitte Cachon, directrice marketing et innovation.

Lounges et petits salons.

En réalité, la surprise n’est pas si grande, selon Gérard Pinot. Car la mode est à l’imitation des espaces de coworking qui poussent comme des champignons dans le centre des métropoles et mélangent les codes design du bureau et de la maison. « Les salariés apprécient ce genre d’ambiance reprenant les codes start-up. Et les entreprises adoptent ce style pour mieux s’adapter aux transformations qu’elles souhaitent mener, comme le flex office, la digitalisation du poste de travail, les outils de travail nomade ou le zéro papier. Ces espaces sont pensés pour inspirer un management collaboratif », expose le consultant. Danone, qui vient de réaménager son siège du boulevard Haussmann, à Paris, dispose maintenant de locaux dans lesquels bureaux partagés côtoient petits salons, lounges ou salles dédiées à la créativité. Même la SNCF, qui a déménagé son siège à Saint-Denis en 2013, s’est mise au diapason. En 2012, lorsqu’elle entame une réflexion pour quitter son siège parisien trop exigu de la rue du Commandant-René-Mouchotte, dans le 14e arrondissement de Paris, et rassembler ses services centraux en un seul lieu, elle a un objectif plus large que simplement mieux s’organiser. « Nous voulions passer un cap, indique Agnès Hua, la directrice de projet à l’époque. L’enjeu était autant managérial qu’immobilier. Notre objectif était de faire passer les salariés dans la modernité, le travail collaboratif et le 2.0. En changeant totalement nos méthodes de travail, nous espérions également améliorer la créativité des équipes et la qualité de vie au travail. »

Dessein similaire depuis six mois au Crédit agricole CIB, la banque de financement et d’investissement du groupe bancaire. En rassemblant 4 000 personnes à Montrouge, la direction cherchait aussi à développer le travail en mode participatif. « Elle souhaitait plus d’open spaces et une transformation des pratiques de travail, avec l’introduction du télétravail et de la visioconférence », témoigne Éric Bazin, le responsable des relations sociales. Bien sûr, le fabricant de yaourts, le transporteur national et la banque ont tous les trois pris le temps, à des degrés divers, d’associer leur personnel.

Managers réactifs.

Reste à savoir si ces locaux, une fois adoptés par les équipes, jouent le rôle espéré par les directions. Pour les managers, les changements sont notables, estime Valérie Migrenne, de la Société générale. « Quand on travaille au milieu de ses collaborateurs, on est plus sollicité. C’est positif car cela améliore la relation avec l’équipe. Mais cela oblige aussi à repenser la gestion du travail personnel. J’ai fini par adopter le télétravail lorsque je suis absorbée par un dossier important. » Brigitte Cachon, la directrice marketing et innovation de Gecina, constate aussi que le rapport des salariés à leur manager devient plus informel. Mais sans forcément rendre son travail personnel plus compliqué. « Quand je suis assise, je ne suis pas dérangée. Mais si je me lève et que je parcours le plateau, je suis souvent interpellée. Cela demande au manager d’être plus réactif et plus pertinent. » Quant à l’adoption de nouvelles façons de travailler, les entreprises assurent que c’est efficace. À la SNCF, Agnès Hua parle même d’un « saut quantique » effectué grâce à la disposition des nouveaux locaux. De quoi élargir la consultation des salariés à d’autres sujets ?

Pascal Ughetto Professeur de sociologie à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée.
“La souplesse des start-up fascine les grands groupes”

Qu’est-ce qui pousse les entreprises à modifier les espaces de travail ?

Les directions veulent optimiser les mètres carrés depuis un moment, mais, bousculées par Google et autres Gafa, les grandes entreprises cherchent à faire évoluer leurs méthodes de travail. Il s’agit de donner plus de place à la coopération entre métiers, ce qui conduit à la remise en cause des espaces de travail classiques.

Elles cherchent à copier le management de type start-up…

La souplesse et la capacité de réaction des start-up les fascinent. Et la digitalisation accélère la réflexion sur le sujet. Elles adoptent des lieux inventés par les entreprises de la Net économie – tisanerie, salle réservée à la sieste, salle destinée à faciliter la créativité… – pour pousser les gens à coopérer et obtenir une accélération de l’innovation.

Pensez-vous que cette transposition de méthode est réaliste ?

J’attends de voir si les grandes entreprises sont capables de faire une croix sur leurs process. Un grand nombre de personnes dans les directions transversales sont chargées de surveiller la bonne application des process. Verront-elles d’un bon œil le désordre issu des initiatives de microcollectifs de travail ?

Vous semblez sceptique…

Les innovations développées par les collectifs de travail peuvent être rapidement rabotées par les fonctions support ici et là. Mais, d’un autre côté, les entreprises se sont largement rendu compte que les process ont un effet carcan qui empêche les salariés de travailler. Il n’est pas impossible que les directions admettent la nécessité d’assouplir leur fonctionnement.

Propos recueillis par E. B.

Auteur

  • Éric Béal