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Catherine Coupet cultive l’esprit coopératif chez Up

Décodages | publié le : 05.12.2016 | Emmanuelle Souffi

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Catherine Coupet cultive l’esprit coopératif chez Up

Crédit photo Emmanuelle Souffi

La présidente de l’ex-Groupe Chèque Déjeuner reste fidèle aux fondamentaux qui ont fait le succès de la Scop depuis cinquante ans. Audace et bon sens guident ses pas pour négocier le virage du digital et continuer à prouver qu’un autre modèle est possible.

Dans la zone des Louvresses, à Gennevilliers (Hauts-de-Seine), le carré orange se repère de loin. Up, deux lettres qui ont encore du mal à entrer dans la tête des travailleurs, pourtant habitués à régler leur casse-croûte de midi avec ces fameux rectangles de papier. Mais qui correspondent bien au bond en avant de l’ancien Groupe Chèque Déjeuner. Créée en 1964 par Georges Rino qui voulait révolutionner le principe de la « gamelle », la Scop s’est profondément transformée depuis que Catherine Coupet en a pris les rênes en 2014. Avec 21,3 millions de bénéficiaires dans le monde, Up ne ressemble plus guère à la coopérative franco-française de ses débuts ; 58 % de l’activité est réalisée à l’étranger. Mais l’esprit de partage insufflé par le père fondateur survit.

Le monde d’Up a quelque chose de douillet. En surface tout au moins. Car la Scop a beau associer les salariés aux résultats financiers et aux choix stratégiques, elle se doit aussi d’être rentable. Mais dans le respect collectif. Celle qui a commencé comme commerciale de terrain voilà vingt-huit ans se fait un devoir de maintenir cette culture de la cohésion. Formée par Jacques Landriot, patron durant vingt-six ans, Catherine Coupet connaît tous les métiers de la maison et ses nouveaux enjeux. À elle de la convertir au digital. Objectif ? Dématérialiser 75 % des offres à l’horizon 2018.

Tenter l’open innovation

Le bon vieux carnet de chèques à souche est en fin de vie. Les puces l’ont rendu obsolète. Pour damer le pion à ses concurrents (Edenred, Sodexo, Natixis), Up doit se réinventer. Plutôt que de réfléchir en vase clos, la « vieille » start-up préfère s’ouvrir à ceux qui imaginent les solutions de demain. « Le monde va tellement vite que l’on ne peut plus innover seul. Cela ne correspond plus au temps du marché », justifie Sylvie Nourry, directrice de la stratégie et du développement. Pour soutenir des idées prometteuses, le groupe a investi 10 millions d’euros dans le fonds Idinvest Digital II. Avec l’Institut Open Innovation, la Scop parraine cinq pépites.

Up associe également salariés et clients pour penser les futures offres. Cette année, durant deux jours, des DRH d’autres sociétés, des syndicalistes, des sociétaires ont planché sur un sujet stratégique pour le groupe en allant à la rencontre d’entreprises qui ont conduit les mêmes projets de façon plus ou moins heureuse. « On rejoint l’histoire du groupe qui s’est coconstruit avec les syndicats, précise Sylvie Nourry. Les clients se sont sentis écoutés. » Tous les deux mois, « les jeudis de l’innovation » invitent à midi dans l’atrium de Gennevilliers un grand témoin pour parler numérique. Lancé en mars, le « défi innovation » a cartonné ! Près de 38 projets ont été déposés par des équipes de trois à six salariés ; 65 % des Up ont voté pour deux dossiers qui leur tenaient à cœur ; un jury interne en a retenu quatre autres. Après quarante-huit heures en mode « piscine » comme les « vraies » start-up, les candidats ont pitché leur argumentaire devant le codir et leurs collègues. L’équipe gagnante verra son idée développée en 2017.

Du collaboratif partout

Une Scop, c’est une société pas comme les autres. Le pouvoir est partagé, ainsi que les richesses produites. Les salariés en sont sociétaires, quel que soit leur niveau hiérarchique, et possèdent le même nombre de parts sociales. Sur le principe d’« une personne, une voix », ils élisent en leur sein le conseil d’administration qui choisit son président. Up a élargi le périmètre de la Scop en 2015. Les 394 salariés sociétaires ont voté à 88 % la fusion de Chèque Cadhoc, Chèque Domicile et Rev & Sens. Résultat : ils sont aujourd’hui 710 à avoir voix au chapitre. Comme Laurine qui, durant plus d’un an, a été épaulée par un parrain chargé de la former à son nouveau rôle.

Données comptables, statuts, finances… Pour que chacun donne un avis éclairé, trois jours de formation ont été mis en place. Chaque nouvel entrant doit être adoubé par les autres lors de l’assemblée générale. « Quand on travail le dans une entreprise classique, on se contente de faire ce pour quoi on est payé, explique Laurine. Là, on se transforme en quasi-gestionnaire. On est actif, il y a une liberté de parole. Au quotidien, on a toujours cette casquette de sociétaire. » Une responsabilisation qui dope aussi la motivation. « J’aurais beaucoup de mal à aller vers un autre univers, on construit sur le long terme ici, le modèle est pérenne », pense Romain, qui commence sa carrière ici. Un modèle que la direction souhaite appliquer aux filiales à l’étranger et aux activités de services qui comptent 2 000 salariés.

En attendant, dès début 2017, le bénéfice du comité d’entreprise (CE) va lui aussi être étendu à tous les salariés français, et pas seulement à ceux de la maison mère. Avec un budget de 3 % de la masse salariale – près de 1 million d’euros par an –, il est plus que généreux ! Au-delà des chèques-cadeaux, de séances d’ostéopathie deux fois par semaine, d’une opération livre à 2 euros l’été et d’un grand concert à Noël, la douzaine d’élus entend « mettre du sens dans ce qu[’elle] fait », comme le dit Thomas Delpech, secrétaire du CE (FO). Un pour cent de la dotation sociale est reversé à des associations. Dans le cadre d’une convention de partenariat avec Emmaüs Solidarité, les places de spectacle, les tickets de cinéma invendus sont donnés à ceux qui sont hébergés dans des centres de jour et des foyers pour migrants. Et, pour aider les parents salariés, un service d’orientation scolaire avec découverte des métiers du groupe pourrait être lancé.

Être responsable

Georges Rino voulait créer une entreprise humaine et soucieuse des autres. Un pour cent du chiffre d’affaires réalisé finance ainsi tous les ans la Fondation Up, placée sous l’égide de la Fondation de France. À l’origine dédiée à la lutte contre l’illettrisme, elle soutient aujourd’hui près de 70 projets par an en direction des populations vulnérables, la citoyenneté, la culture et l’éducation. De 1999 à 2015, 3,3 millions d’euros ont été distribués à 743 structures, pour une aide moyenne de 5 000 euros. « Notre objectif est de redonner du pouvoir d’agir à ces invisibles qui sont le pendant des actifs que l’on touche à travers nos produits », explique Thomas Delpech, également délégué général de la Fondation. Dans le monde, 42 salariés bénévoles se mobilisent pour sélectionner les dossiers, accompagner les associations… La direction a également signé un accord sur le don de congés pour aider ceux et celles qui ont besoin de temps pour s’occuper d’un proche. Elle offre aussi une journée par an à des fins de solidarité. Depuis septembre 2015, 45 % des salariés du groupe pratiquent l’arrondi sur salaire, qui permet de reverser les centimes du bulletin de paie à trois associations et à la Fondation Up. En un an, près de 10 000 euros ont ainsi été collectés.

L’esprit responsable se décline de même au niveau environnemental. « La politique RSE, c’est un volet de notre stratégie pour 2018, clame Catherine Candella, directrice de la RSE. Nous voulions éviter l’effet mille-feuille, c’est-à-dire un empilement de mesures sans vision globale. » Avant même d’y être soumis, Up établissait un reporting extrafinancier pour mesurer son empreinte écologique. Au-delà des six ruches installées sur le toit végétalisé du siège de Gennevilliers, des bilans carbone sont effectués régulièrement, y compris à l’étranger alors que la législation ne les rend pas obligatoires.

Réduction de la consommation de papier – 33 % en moins en France ! – et d’électricité, achats responsables, écoconduite… Alors que 60 % des salariés viennent en voiture travailler, la direction les encourage à se passer des énergies fossiles. Des bornes de recharge ont été installées sur le parking et la flotte automobile compte désormais des véhicules hybrides et électriques. « Nous sommes militants, nous voulons être précurseurs dans de nombreux domaines, plaide la directrice de la RSE. Ici, à Gennevilliers, il est difficile de promouvoir le transport modal car nous sommes dans une zone excentrée. »

Dialoguer en paix

Avec la dématérialisation, Up a vu sa place de leader grignotée par de nouveaux concurrents (banques, téléphonie…). La facturation, les commandes ont été bousculées. Mais comme la philosophie du groupe n’est pas d’attendre que le couperet tombe, dès 2010 un accord de GPEC a été signé avec les syndicats. « Nous aimons la coconstruction, pointe Thomas Delpech, de FO. Il y a une volonté d’être à l’écoute. » Les outils ont été pensés de façon participative. « Les transformations auxquelles nous faisons face ne doivent pas se traduire par des suppressions d’emplois, pense Florence Quentier, la DRH. Notre responsabilité est de faire en sorte que les salariés acquièrent de nouvelles compétences. »

Formation sur mesure, découverte d’autres postes en interne… Grâce aux plans de développement individuels, la casse sociale à l’œuvre ailleurs n’a pas eu lieu ici. Et pourtant, avec la fusion de quatre filiales en 2015, 340 personnes à faire bouger et des doublons inévitables à devoir gérer, ce n’était pas gagné… Pour coller à la réalité des marchés, des observateurs de métiers veillent à l’évolution des référentiels. Un accord sur les classifications a été signé en 2015 afin d’encourager la mobilité, et 89 métiers ont été répertoriés. Toutes les filiales de plus de 50 salariés, même étrangères, doivent se livrer à l’exercice !

Côté rémunération, pas question de pratiquer l’individualisation. Les augmentations sont générales, les primes et bonus interdits – P-DG comprise ! –, sauf pour les commerciaux. Et le plus haut salaire ne peut être plus de quinze fois supérieur au plus bas. « Quand on a réussi, on le voit à travers la participation qui est répartie de façon égalitaire, décrit la DRH. Les résultats collectifs ne sont pas la somme de performances individuelles. » Iconoclaste mais diablement efficace ! Économiquement et socialement.

Avec 45 % de salariés syndiqués à la maison mère, Up n’a jamais connu un jour de grève ! Le militantisme est dans les gènes du groupe. C’est même un devoir inscrit dans la convention collective de l’entreprise, écrite en partie par la CGT, la CFDT et FO. Apaisées, les relations entre centrales le sont aussi. De poids équivalents, elles fonctionnent en intersyndicale et se répartissent les sièges dans les différentes instances, y compris au conseil d’administration, à raison d’un tiers à chaque fois. « On a conscience de la force du collectif. Ensemble, on va plus vite et plus loin », relève Thomas Delpech, secrétaire du CE. En 2014, pour créer un véritable dialogue à l’international, un comité d’entreprise européen a vu le jour. Il se réunit deux fois par an autour de sujets stratégiques et binationaux.

Fidèle à son esprit pionnier, Up a signé en octobre un accord innovant qui fusionne les instances représentatives du personnel en un comité économique et social unique. Composé de 30 membres et de six sections, il va bien au-delà des exigences de la loi Rebsamen de 2015. « La multiplicité des organes de consultation nuit à l’efficacité, il fallait toujours se répéter, observe Florence Quentier. Là, les élus vont pouvoir se spécialiser dans un domaine. » Du bon sens au service de l’innovation sociale…

En chiffres

347,4

MILLIONS D’EUROS de chiffre d’affaires.

2 685

salariés dans le monde.

21,3

MILLIONS de bénéficiaires.

40 % des membres du comité exécutif sont des femmes.

Source : Up, 2015.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi