Travailler pour rien… À rebours des débats sur le coût du travail, une enquête sur le salariat low cost.
La vie d’un pilote de l’air chez Ryanair ? Pas glamour du tout. Celui-ci doit payer sa formation, son costume, ses allers-retours entre la base aérienne et son domicile. À la lecture, le descriptif que fait Valérie Segond de ce métier pourtant prestigieux fait même froid dans le dos. Une façon pour l’auteure, ancienne éditorialiste au quotidien la Tribune, de mieux dénoncer l’absurdité d’un monde où, pour accéder à l’emploi, il ne faut plus seulement se vendre. Mais parfois se brader. « Sommes-nous condamnés à être tous ryanisés ? L’Irlande en France, c’est tous les jours », assure-t-elle.
Au prix d’une longue enquête, la journaliste démêle les ficelles utilisées par les entreprises pour payer le moins possible ceux et celles qui vont leur permettre de s’enrichir. Car le mal est là. Entre dérégulation et mondialisation, le chômage est un terreau fertile pour s’adonner au chantage salarial ou statutaire. À l’exemple des jeunes, diplômés ou non, prêts à payer leurs conventions de stage pour pouvoir ajouter une ligne à leur CV déjà bien rempli. Et acquérir ces compétences que les directions ne sont plus prêtes à financer. Une sorte de droit d’entrée pour accéder au « vrai » marché du travail. Autres exemples, ces commerciaux siglés Century 21 mais qui bossent sous statut d’autoentrepreneur et ces VRP stagiaires qui vendent des Wonderbox. Sans oublier ces intermittents à vie qui font les frais des petites combines des producteurs ou ces dizaines de milliers de travailleurs détachés exploités sur les chantiers de construction. Une délocalisation de savoir-faire qui met le travailleur français hors compétition. « La sous-traitance apparaît comme le nouveau visage de la féodalité », assène Valérie Segond. Et celle-ci de régler ses comptes avec l’autoentrepreneuriat, qualifié d’« opération discount sur le travail comme jamais dans l’histoire ».
Multipliant chiffres et témoignages, l’auteure décrypte cette précarité généralisée qu’entretient même l’État à coups d’emplois aidés. L’exemple des docteurs en recherche est édifiant. Ultrasubventionnées, leurs embauches concourent finalement à les éloigner de leurs labos. Avec le dispositif des conventions industrielles de formation par la recherche, « la France a inventé le chercheur quasi gratuit pendant trois ans », observe la journaliste. À écouter les débats agitant la campagne présidentielle, pas sûr que l’homme – ou la femme – providentiel espéré par Valérie Segond pour rappeler les principes fondateurs de notre République se manifeste d’ici au printemps.
Va-t-on payer pour travailler ?, Valérie Segond. Éd. Stock. 304 pages, 19 euros.