S’ouvrir à l’éthique et à la RSE, gérer les carrières, faire aimer le travail… Autant de pistes pour relégitimer les métiers RH.
Mes travaux de recherche portent depuis deux décennies sur l’institutionnalisation de l’éthique et de la responsabilité sociale dans la gouvernance des organisations. Je souhaite partager ici quelques réflexions sur la nécessaire évolution de la fonction ressources humaines en lien avec cette thématique.Relativement récente, cette fonction peine à s’imposer et à faire taire ses détracteurs. Régulièrement, des tribunes assassines viennent jeter de l’huile sur le feu appelant à la détestation, voire à la suppression, de cette fonction. Les reproches formulés ? Les services RH sont jugés trop peu stratégiques et bien trop administratifs, surtout préoccupés par la gestion des coûts et le court-termisme, décourageant toute initiative personnelle et peu attractifs professionnellement (les meilleurs éléments privilégiant des carrières en finance ou en marketing). Certains, comme le consultant Ram Charan, proposent même de supprimer le poste de DRH pour réattribuer ses missions à d’autres directions. S’intéressant aux aspects liés à la rémunération, la partie administration serait renvoyée vers la finance. Focalisée sur l’amélioration des compétences des salariés, la partie leadership & organization serait, elle, rattachée directement au principal dirigeant.
Pourtant, la typologie proposée par Dave Ulrich en 1996, qui fait du DRH à la fois un expert administratif, un champion des salariés, un acteur du changement mais aussi un partenaire stratégique, semblait montrer la voie. Si l’aspect administratif et, dans une moindre mesure, la gestion du changement mobilisent les ressources de la fonction, les deux autres dimensions restent trop peu explorées. Tout aussi inquiétant est le constat que la discipline semble reculer, voire disparaître des programmes de base dans certaines écoles de management. Dans Human Capital Challenge, l’excellent exercice de simulation de gestion mis au point pour HEC Paris, la performance passe pourtant par l’investissement durable et significatif dans le capital humain.
Alors, pourquoi cette crise de légitimité ? Si les arguments hostiles à la fonction RH sont outranciers et parfois empreints de mauvaise foi, la critique fait mouche car elle comporte bel et bien sa part de vérité. Le réenchantement de la fonction RH est une nécessité, éthique et valeurs y jouant un rôle essentiel. Il convient ainsi de repenser la gestion des ressources humaines (appréhendée comme la régulation des relations de travail). Personne ne méprise les spécialistes RH travaillant au sein des People Operations chez Google. Leur contribution à la valeur créée par l’entreprise est manifeste. Les données relatives à la performance sociale font l’objet d’une mesure rigoureuse et sont finement exploitées pour améliorer les pratiques. À l’image de la créativité développée par les spécialistes du marketing pour créer des univers de consommation, il convient d’introduire plus d’innovation sociale dans les entreprises pour générer des univers dans lesquels les collaborateurs sont susceptibles de s’épanouir.
Voici quatre pistes visant à (re)construire la légitimité de la fonction ressources humaines. Les professionnels RH doivent absolument contribuer à la clarification du contrat psychologique noué entre l’entreprise et ses collaborateurs. L’éthique revêt une importance capitale pour cela. L’évolution nécessaire de ce contrat a conduit à une plus grande flexibilité pour l’entreprise. S’adapter aux nouvelles exigences des collaborateurs (jeunes générations notamment) est indispensable : créer du sens, promouvoir la convivialité, le respect, l’équité…
Les professionnels RH doivent se donner de nouveaux objectifs liant entreprise et société (le contrat social doit être repensé) et élargir l’horizon tracé par Dave Ulrich pour devenir des experts de la conformité (compliance), les champions des parties prenantes (stakeholders), les acteurs majeurs du changement sociétal et, enfin, des experts de la performance globale. Ils doivent être les acteurs majeurs des démarches de RSE, trop souvent réduites à des opérations superficielles de communication.
Les professionnels RH doivent aussi être les véritables gestionnaires du portefeuille de compétences de leurs collaborateurs. Ainsi, la gestion des carrières est stratégique, il s’agit de faire en sorte, à travers la mobilité, que les individus suivent les mouvements de l’activité de l’organisation. Celle-ci pourra motiver et fidéliser les collaborateurs détenant des compétences essentielles pour son fonctionnement, amener les individus à une attitude proactive de carrière et à mieux anticiper les événements futurs.
Les professionnels RH doivent enfin, à l’heure où le thème du bonheur est très en vogue, faire aimer le travail. Tout comme Google, qui ne distribue pas les bienfaits uniquement par pure sympathie pour ses collaborateurs, il convient de noter que l’objectif ultime est bien d’assurer un retour sur investissement dans une logique mutuellement bénéfique. Aux DRH de jouer leur propre partition. Il s’agit pour eux de réconcilier les demandes en provenance des différentes parties prenantes, tout en maintenant la cohésion collective dans l’organisation, à l’image des tensions permanentes que gère un orchestre de jazz. Leur rôle ? Être créatifs et improviser à l’intérieur d’organisations inscrites dans des environnements équivoques.