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La QVT, vrai enjeu de dialogue social

Dossier | publié le : 04.11.2016 | Nicolas Lagrange

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La QVT, vrai enjeu de dialogue social

Crédit photo Nicolas Lagrange

La qualité de vie au travail devient un axe fort de négociation. Objectif : accroître performance économique et bien-être des salariés. Ce qui implique que les acteurs changent de posture et abordent les sujets sensibles.

Qualité de vie au travail (ou QVT). Devenu tendance, le sigle a remplacé celui, connoté négativement, de RPS (risques psychosociaux). Consacré par l’accord national interprofessionnel de juin 2013, le terme imprègne désormais largement les discours des entreprises et les politiques RH. Mais pour quels résultats ? « Hélas ! le bilan n’est pas reluisant, estime Martin Richer, fondateur du cabinet Management & RSE. La dernière enquête Conditions de travail de la Dares révèle une stagnation, voire une régression, en matière d’autonomie au travail ou de stress. Et l’enquête européenne Esener montre que la France est à la traîne sur l’activation des politiques de prévention. »

Un constat sévère, mais largement partagé par les experts. Notamment par Jean-Claude Delgenès, fondateur et directeur général de Technologia. « Sur les plans théorique et scientifique, nous avons rattrapé notre retard et nous sommes même en pointe, assure-t-il. Mais sur le plan opérationnel, on peut parler de balbutiements, malgré vingt ans d’inflation réglementaire. » À l’issue des négociations, les accords signés s’avèrent le plus souvent peu consistants, énonçant de grands engagements de principe sans portée pratique ou comportant des mesures partielles et peu structurantes, sans impact réel. « C’est le syndrome “pommes-carottes-vélo” de dispositifs qui se contentent de jouer sur les habitudes de vie, tels une nutrition saine et du sport, résume Jean-Pierre Brun, fondateur associé du cabinet Empreinte humaine. Alors que les salariés sont avant tout préoccupés par le sens de leur travail, la charge à assumer, l’organisation dans laquelle ils évoluent. »

Ces mesures cosmétiques sont alimentées et encouragées par une floraison d’approches commerciales, le plus souvent segmentées, qui nourrissent un marché du bien-être au travail en pleine expansion. Où le farfelu côtoie l’inepte. Et tant pis si les promesses de bonheur au travail qu’affichent ces prestataires en tout genre sont jugées mensongères et hors d’atteinte par la plupart des préventeurs !

Pourtant, de premiers signes permettent de penser que la donne pourrait changer. « Pour l’heure, la QVT n’a pas tenu ses promesses, mais plusieurs accords intéressants viennent d’être signés, comme celui d’Orange sur la régulation de la charge de travail au quotidien ou en cas de crise ou de transformation, souligne Hervé Lanouzière, directeur général de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Et les discussions se multiplient sur la contribution des salariés au projet d’entreprise, l’autonomie, la responsabilisation… Autant de dimensions qui fondent l’engagement des salariés. » De fait, directions et organisations syndicales ont tout à gagner à se saisir du sujet. Car la QVT peut ne pas coûter cher mais conduire à de réelles avancées.

Le salut pourrait donc venir du dialogue social. Ou, plus exactement, d’un autre dialogue social… Qui s’inscrit dans le nouveau cadre réglementaire défini par la loi Rebsamen d’août 2015. Celle-ci permet en effet le regroupement de plusieurs thèmes de négociations obligatoires dans un accord QVT : l’articulation entre vie personnelle et vie professionnelle, le droit d’expression collective et individuelle des salariés, l’usage des nouvelles technologies, la formation des managers.

Dialogue moins formel

« C’est une chance à saisir pour aborder les problématiques de manière transversale, ne plus penser en silos, argumente Hervé Garnier, secrétaire national à la CFDT. Il faut casser les codes établis, sans pour autant vouloir tout changer. Mieux vaut une approche progressive, avec quelques thèmes prioritaires, pour être en capacité d’appliquer réellement l’accord sur le terrain avec les moyens nécessaires. » Autre conseil, prodigué par Martin Richer, favoriser un dialogue social moins formel. « Les DRH se placent trop souvent dans une logique d’information-consultation, pas de diagnostic partagé et de coconstruction, ce qui diminue considérablement l’impact des accords, explique le consultant. Il ne faut pas avoir peur de mettre en débat l’organisation et la qualité du travail, d’entendre des choses désagréables sur les changements trop fréquents, l’absence de visibilité, le manque d’écoute ou de reconnaissance. »

Le risque ? Passer à côté de l’essentiel, en échouant à trouver des leviers consensuels de bien-être pour les salariés et de performance économique pour les entreprises. Fondé par EDF en 2009, le club QVT, qui regroupe aujourd’hui une douzaine de grandes entreprises, le formule à sa façon dans ses recommandations : « La qualité de vie au travail s’intéresse au travail, c’est-à-dire qu’elle doit améliorer le quotidien de travail des salariés (l’organisation et les processus de travail, les routines). »

Ce qui implique d’évoquer les dysfonctionnements et leurs causes profondes. Et donc de faire de la prévention primaire (agir à la source), et pas seulement de la prévention secondaire (accompagner, aider) ou tertiaire (corriger). Un vilain défaut que nombre d’entreprises ont adopté depuis dix ans, à l’époque pour lutter contre les risques psychosociaux. « Les politiques de lutte contre les RPS se résument souvent à une plate-forme d’écoute psychologique, déplore Martine Keryer, secrétaire nationale de la CFE-CGC et médecin du travail. C’est un pis-aller, externalisé, qui échappe au regard des acteurs de l’entreprise et ne permet pas d’affronter les vrais problèmes. Comme le syndrome d’épuisement professionnel, pour lequel le déni reste fort du côté des entreprises. »

Des numéros verts à utiliser à bon escient, selon les experts. « Ils sont pertinents en complément mais ne doivent pas se substituer à une démarche de questionnements autour du travail, abonde Jean-Claude Delgenès. Idem pour les formations des managers aux RPS. Elles sont utiles sous certaines conditions, mais pas suffisantes. » Pourtant, 63 % des entreprises ont mis en place ce type de sensibilisation, dont une majorité qui en font l’axe majeur de leur politique de QVT, selon une étude de Gerep Prévention Santé. « Les formations ne peuvent être efficaces si elles sont théoriques, étalées dans le temps et réservées à une partie des managers, analyse Jean-Pierre Brun. Elles doivent au contraire être massives et accompagner le déploiement d’un projet. Récemment, nous avons formé pendant six mois 250 managers d’une compagnie d’assurances sur la reconnaissance au travail. La satisfaction au travail a augmenté de 15 points. »

Rares espaces d’expression

Pour faire progresser réellement la QVT, il est essentiel, aussi, de mettre en discussion le rôle et les attendus du management. Par exemple via un travail sur les chartes et les référentiels managériaux et une refonte des principes d’évaluation de la performance. « Il faut aussi développer un dialogue professionnel autour du travail en impliquant tous les salariés, ce qui est nettement moins répandu », complète Martin Richer. Malgré plusieurs expérimentations emblématiques, comme à l’usine Flins de Renault, les espaces d’expression ou les moments d’échange autour du travail restent rares. Au grand dam de la CFDT, qui rappelle régulièrement que l’obligation de négocier sur le sujet remonte… aux lois Auroux de 1982.

« La discussion sur le travail, au plus près du terrain, permet de faire émerger des solutions concrètes, justifie Hervé Garnier. Car un copier-coller de bonnes pratiques ne sert à rien. Il faut s’emparer des enjeux dans chaque entreprise pour identifier les meilleures pistes d’action. » Ce que concède bien volontiers l’ANDRH, qui a fait du développement de l’expression des collectifs de travail l’une de ses préconisations en matière de QVT.

Reste à convaincre les directions générales de faire de la qualité de vie au travail un axe prioritaire, plutôt qu’une cerise sur le gâteau à n’envisager qu’en cas de bonne santé économique. Ce qui nécessite de disposer d’un bon diagnostic préalable et d’indicateurs pertinents, éventuellement économiques. Avec, ensuite, un défi de taille pour les entreprises : déployer, suivre, évaluer et ajuster les dispositifs. Histoire d’éviter que les accords relatifs à la QVT ne rejoignent la longue liste des textes signés mais mort-nés.

“La bonne démarche ? Privilégier l’apprentissage partagé”

Une bonne démarche QVT peut-elle se passer du dialogue social ?

Non, tous les acteurs du travail – managers, salariés, préventeurs, partenaires sociaux – doivent être impliqués. C’est une des clés de la réussite. Mais dans le cadre d’un dialogue social ou professionnel (entre managers et managés) renouvelé. Si l’employeur impose un projet de transformation ficelé, prescriptif, il se prive des améliorations que les salariés peuvent proposer et n’obtiendra que des blocages, notamment syndicaux. Mieux vaut privilégier une logique d’apprentissage partagé, d’expérimentation, afin de tester et ajuster en temps réel. Dans un tel cadre, les syndicats sont garants de la qualité du processus de concertation, du déploiement et de l’évaluation, sans que cela passe par une logique de marchandage de droits.

Vous préconisez à la fois l’expérimentation et une approche systémique…

L’approche systémique ne revient pas à dire qu’il faut travailler sur des accords globaux, comprenant des engagements déconnectés du travail réel. Il s’agit, dans le cadre d’un projet précis, de ne pas appréhender séparément ni hiérarchiser les dimensions économiques et sociales. Il faut expérimenter des organisations dans lesquelles les conditions de réalisation du travail comptent autant que les exigences d’efficacité productive. La dimension systémique réside dans le fait que la qualité du travail est un paramètre déterminant qui influe sur la performance.

Comment mobiliser les managers sur la QVT ?

En développant leur capacité à analyser le travail et ses contraintes. La plupart des managers sont aujourd’hui des gestionnaires, chargés d’appliquer des standards. Il faut organiser leur montée en compétences pour intégrer le travail dans leurs processus de décision. Ce qui suppose de la méthode, acquise dans un contexte de formation-action et un accompagnement sur la durée. Et non des formations académiques assorties de préconisations globales, difficiles à déployer.

Propos recueillis par N. L.

Hervé Lanouzière Directeur général de l’Anact.

Auteur

  • Nicolas Lagrange