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Le service civique, tremplin pour l’emploi des jeunes ?

Décodages | publié le : 04.11.2016 | Nathalie Tissot

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Le service civique, tremplin pour l’emploi des jeunes ?

Crédit photo Nathalie Tissot

Ils sont de plus en plus à s’engager dans ces missions d’intérêt général. Avec des bénéfices variables. Sur un CV, cette expérience est un plus, mais rien ne permet, pour l’heure, d’évaluer l’insertion des ex-volontaires.

Floriane Herubel est en pleine préparation de la campagne de communication Octobre rose, qui promeut la lutte contre le cancer du sein. Attachée de santé publique, elle vient de décrocher un CDI à l’association ADK 92, qui gère les dépistages de ces cancers dans les Hauts-de-Seine. Une victoire pour la jeune femme de 25 ans. À sa sortie de master en santé publique, elle a connu un an de chômage avant de postuler, en 2015, à une offre de service civique à la Ligue contre le cancer du Val-d’Oise. « Je me suis dit, au point où j’en suis… » Après dix mois au service prévention, Floriane a gagné en assurance et en expérience, ce qui lui faisait défaut jusqu’ici. Elle a aussi peaufiné son CV et sa lettre de motivation avec sa tutrice. « J’ai vu la différence. Aux entretiens, les employeurs étaient plus réceptifs, j’avais des exemples précis à leur donner. » Une de ses anciennes camarades, volontaire elle aussi, a été embauchée en CDI à peine trois mois après la fin de la mission.

Le service civique serait-il pour les jeunes un tremplin vers l’emploi ? Une chose est sûre, cet outil de formation citoyenne attire de plus en plus les 16-25 ans. Actuellement, le ratio serait d’une mission pour quatre demandes. Mais l’offre devrait augmenter après l’annonce de François Hollande, début 2016, de la généralisation du dispositif. D’ici à 2020, près de 350 000 jeunes auront accompli une mission, d’après les prévisions gouvernementales. Pour atteindre cet objectif, les associations, fédérations, ONG, collectivités, hôpitaux, préfectures et autres administrations publiques agréées pour recevoir des volontaires sont de plus en plus nombreux : plus de 6 300 contre 700 à la création du dispositif en 2010. Pour les moins de 25 ans, les plus touchés par le chômage, cet engagement, indemnisé au minimum 576 euros par mois, devient une nouvelle voie d’entrée sur le marché du travail. L’année dernière, deux bénéficiaires sur trois se déclaraient chômeurs ou inactifs à leur entrée en service civique.

Risque de substitution.

Ce succès a un revers : la distinction entre mission et « vrai » emploi n’est pas toujours évidente du point de vue des organismes d’accueil. Dès février 2014, la Cour des comptes pointait du doigt cette confusion : « Deux missions quasiment identiques sont parfois proposées, pour l’une, sous la forme d’un emploi d’avenir, et, pour l’autre, sous la forme d’un engagement de service civique. » Selon Génération précaire, le risque de substitution à l’emploi est inquiétant et les contrôles insuffisants. « Son coût faible en fait le contrat précaire le plus compétitif du marché, il est cinq fois moins cher qu’un stage », déplore le collectif. Certaines structures d’accueil, souffrant de baisses de subventions, n’hésiteraient pas à en profiter. L’Agence du service civique affirme cependant mettre un point d’honneur à renforcer les évaluations. « L’année dernière, un organisme sur dix a été contrôlé », selon la directrice générale.

Le risque inverse ? Que la mission se révèle sans intérêt. Car s’il ne doit pas remplacer un salarié, quel rôle donner au volontaire ? « Cela demande pas mal d’innovation », reconnaît Hélène Paoletti, directrice générale de l’Agence du service civique. Malgré l’effort d’information auprès des structures d’accueil, il leur faut du temps pour apprivoiser le dispositif. Et les résultats sont inégaux. « Certains ne font que de l’accueil et n’apprennent rien », déplore David Ouzilou, 24 ans, président de l’association La Voix des volontaires en service civique, qui évoque des « alertes » reçues de jeunes en difficulté. Lui, affirme avoir « beaucoup appris » de ses six mois passés à La Ligue de l’enseignement, mais note des offres « très variables ». « Pour qu’une mission soit réussie, il faut qu’elle génère un sentiment d’utilité », confirme la présidente d’Unis-Cité, Marie Trellu-Kane, pour qui le défi est aussi dans l’encadrement. La dirigeante parle d’expérience : son association a été lancée dès 1995 par trois étudiantes, pour favoriser l’engagement de la jeunesse dans des missions d’intérêt général. Depuis, Unis-Cité a vu passer pas moins de 15 000 volontaires.

Mixité sociale.

Sans surprise, ce sont les jeunes peu qualifiés, n’ayant pas le bac, qu’il est le plus difficile d’intégrer dans le dispositif. « Ceux-là candidatent tout autant que les autres, mais il y a un vrai challenge pour leur trouver des missions », confie Marie Trellu-Kane. En la matière, la politique de recrutement des organismes d’accueil compte beaucoup. Au sein de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, « on a un formulaire de recrutement fondé sur la motivation, on ne s’occupe absolument pas des diplômes, assure Sophie Bentegeat, responsable de la direction des patients, des usagers et des associations. On part du principe qu’ils n’ont pas tous vocation à être médecin ! ».

Résultat, parmi les volontaires engagés dans les hôpitaux de Paris, 56 % ont un niveau bac, 30 % un niveau inférieur. Les uns accompagnent des enfants ou des personnes âgées hospitalisés, d’autres animent des ateliers ou participent aux différents dispositifs d’accueil. « Cette population, qui correspond à celle des missions locales, est un vrai facteur de mixité sociale et de mélange intergénérationnel au sein de l’hôpital. Grâce à leur présence rassurante, il y a une baisse des tensions évidente dans les salles d’attente », affirme la directrice. À l’issue, quelques-uns obtiennent des remplacements de congés annuels ou sont embauchés en emploi d’avenir.

Au sein de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, qui dépend du ministère de l’Intérieur, les recrues aident à l’accueil des usagers, à l’accompagnement des demandeurs d’asile, mais aussi à la promotion des aides au retour et à la réinsertion des migrants. « Qu’un jeune s’intéresse à ces sujets peut lui donner une ouverture d’esprit. Et, pourquoi pas, lui permettre de revenir travailler à l’Office après », confie Fabrice Blanchard, le DRH. Pour les encadrer, l’organisme public fait appel à des tuteurs, nécessairement volontaires. « Pour eux, c’est aussi valorisant, poursuit le dirigeant. Surtout dans le contexte actuel où la pression liée à notre charge de travail est importante. » Depuis un an, six anciens du service civique ont été embauchés en CDD au sein des différentes directions territoriales.

Jérôme Laverny a lui aussi recruté cinq anciens dans le Réseau national des missions emploi, dont il est le directeur. « On peut éviter l’emploi dissimulé en laissant aux jeunes une grande part de liberté, assure-t-il. Plutôt que de les laisser s’engoncer dans des postes, il faut qu’ils se dirigent d’eux-mêmes vers un service ou un autre, en renfort des équipes. » Dans ces structures, les demandeurs d’emploi sont reçus et aidés dans leurs démarches. Le dirigeant accompagne aussi d’anciens « services civiques » dans leurs recherches d’emploi au sein de l’Institut de l’engagement, dont il est partenaire (voir encadré). Dans ce cadre, il a rencontré beaucoup de ces 16-25 ans « qui ont des parcours très différents mais un point commun : la fibre sociale ». Un atout, selon lui, car ce savoir-être se révèle être « un des premiers critères de recrutement pour les employeurs ».

L’entreprise Accenture compte ainsi dans ses troupes cinq anciens volontaires. « Leur plus-value, c’est clairement une très forte motivation, des projets plein la tête, témoigne Angélina Lamy, déléguée générale de la Fondation Accenture France. Ce sont des jeunes qui ont des parcours très différents, qui sont débrouillards. » Un moyen pour la société de conseil de diversifier ses sources de recrutement. Ce que confirme Oumou Barry, 27 ans, originaire de Guinée, qui travaille à la Défense. « Avoir effectué un service civique, ça intéresse les entreprises parce qu’on a un profil différent, on apporte une autre façon de penser, d’agir », confirme la jeune femme, qui a œuvré, en 2013, dans une association toulousaine pour mettre en relation des élèves en difficulté et des étudiants.

Autre exemple, celui de Claire Loiseau, qui a bénéficié du réseau de l’Institut de l’engagement après son service civique. Cette jeune femme de 26 ans, diplômée d’un master 2, dit avoir bénéficié d’un « piston » grâce à cette association qui accompagne quelques centaines de volontaires par an. En 2015, 91 % des lauréats de la filière « parcours professionnel » ont ainsi décroché un CDI ou un CDD de plus de six mois après leur volontariat. Et 92 % de ceux de la filière « formation » ont validé leur année.

Pas d’évaluation.

Pour tous les autres, il n’existe pas de réel suivi. Et aucun indicateur ne permet d’évaluer l’insertion professionnelle des ex-volontaires dans le secteur public, le monde associatif ou les entreprises. L’enjeu est pourtant de taille, en particulier pour les jeunes peu diplômés. En 2015, 25 % des volontaires avaient au mieux le niveau bac, sans avoir décroché le sésame… Seule certitude, cette ligne supplémentaire sur le curriculum vitae ne peut être que bénéfique. « En voyant cette expérience, le recruteur aura un préjugé positif. C’est une preuve que le candidat est capable de travailler en équipe, de prendre du recul, qu’il a un sens de la solidarité, qu’il est prêt à s’engager », affirme ainsi Jean-Christophe Sciberras, DRH France du chimiste Solvay et ancien président de l’ANDRH.

Compte tenu du succès de la formule, les dirigeants pourraient regretter qu’elle ne soit pas étendue au secteur privé. D’autant plus que les entreprises cherchent à s’afficher citoyennes et à déployer des politiques de responsabilité sociale. Le projet de loi égalité et citoyenneté, qui doit être adopté en fin d’année, prévoit certes l’ouverture du dispositif aux offices HLM et aux entreprises publiques. Mais l’extension du service civique – financé à hauteur de 80 % par l’État – n’est pas à l’ordre du jour dans le secteur marchand, selon Hélène Paoletti, directrice générale de l’Agence du service civique. La raison invoquée ? « Des questions de concurrence. » Une sage décision pour éviter que cette main-d’œuvre excessivement bon marché ne complique encore l’insertion professionnelle des jeunes.

Une association en soutien des jeunes

Deux fois par an, l’Institut de l’engagement désigne des lauréats pour bénéficier d’une aide dans leur projet professionnel, de formation ou de création d’activité. Créée en 2012, l’association s’adresse à des jeunes qui se sont impliqués dans un service civique, un service volontaire européen ou un volontariat de solidarité internationale. Au printemps 2016, 1 500 candidats ont ainsi été déclarés admissibles sur dossier, avant que 500 ne soient finalement sélectionnés après un entretien oral.

Une fois admis à l’Institut, ces jeunes sont accompagnés dans leurs projets et peuvent profiter du réseau de l’association, qui compte de nombreux partenaires. Notamment des entreprises, tels Adecco, BNP Paribas, Accor, Suez ou L’Oréal. Mais aussi des grandes écoles et des collectivités territoriales. « Notre rôle est double. On fait du mécénat de compétence, en réalisant gratuitement des missions de conseil pour l’Institut. Dans le cadre de notre politique de recrutement « diversité », on intègre aussi dans notre structure des jeunes lauréats », illustre Angélina Lamy, déléguée générale de la Fondation Accenture France.

Des recruteurs entraînent, aussi, les anciens volontaires du service civique à l’exercice de l’entretien d’embauche. De quoi leur donner les codes pour réussir ce grand oral. Des établissements d’enseignement supérieur, comme EM Lyon, ouvrent également leurs portes aux lauréats pour leur permettre de parfaire leur formation à l’issue de leur période d’engagement.

Auteur

  • Nathalie Tissot