Des instances régionales réunissent à parité artisans et syndicats. Un laboratoire du dialogue social qui va s’étendre après les élections concernant les TPE. Pour l’instant, les résultats sont inégaux.
Qu’il peut être long le temps de la montée en charge du dialogue social… Pour les commissions paritaires régionales interprofessionnelles de l’artisanat, les CPRIA, cela fait près de quinze ans. Une longue gestation entre la signature, en décembre 2001, de l’accord national sur le développement du dialogue social chez les artisans et la naissance effective de ces toutes premières instances de proximité. Leurs missions : informer entreprises et salariés sur les dispositions légales et conventionnelles, apporter un avis concernant l’emploi, la formation ou la santé au travail, et développer l’accès aux œuvres sociales et culturelles. « Les difficultés rencontrées étaient surtout d’ordre externe, rappelle Pierre Burban, secrétaire général de l’UPA. L’opposition du Medef et de la CGPME a été farouche, et il a fallu attendre 2008 pour que l’accord puisse être étendu. »
De fait, au tournant des années 2000, donner une place aux syndicats de salariés dans le giron des TPE, c’est inviter le loup dans la bergerie, selon la formule consacrée. Un loup qui s’est avéré bien moins féroce qu’imaginé par les organisations patronales opposées au texte. Mieux, « la bataille du Medef et de la CGPME contre les commissions a certainement solidifié leur construction », assure Philippe Antoine, conseiller confédéral CGT chargé de l’artisanat.
Chaque CPRIA se compose de trente membres : trois représentants pour chaque syndicat représentatif au niveau national – pour l’immense majorité, issus des unions territoriales –, et quinze pour l’UPA. Selon ceux qui y siègent, ces commissions sont tout sauf des lieux de tension. Mais bien des instances atypiques dans le paysage paritaire français, habitué aux éclats de voix et aux postures dogmatiques lorsque l’on parle emploi et conditions de travail. À ceci près, remarque Fabrice Marion, secrétaire confédéral CFDT chargé de l’artisanat et des TPE, que « les CPRIA fonctionnent beaucoup selon le bon vouloir des acteurs locaux. La situation est donc assez disparate selon les régions. » Il n’empêche, il est rare de rencontrer une telle unanimité lorsque l’on parle dialogue social, qui plus est dans les TPE, ces miniforteresses qui rechignent à s’ouvrir aux syndicats.
Pas d’angélisme cependant. Les réalisations demeurent très modestes, alors même que les fonds générés par le dispositif (0,08 % de la masse salariale) ne sont pas négligeables. « Il a fallu d’abord du temps pour apprendre à se connaître », explique Marina Barbier, secrétaire générale de l’UPA Bretagne. Et celle-ci d’évoquer des représentants des salariés peu au fait des réalités d’une entreprise artisanale et qu’il faut acculturer. « Les CPRIA permettent aux syndicalistes de connaître autre chose que la fonction publique ou les grandes entreprises », abonde ainsi Bertrand Fayet, secrétaire général de l’UPA Rhône-Alpes. De leur côté, les syndicats pointent du doigt des petits patrons ne maîtrisant pas les codes du paritarisme…
De fait, chaque camp doit nourrir l’autre au rythme de seulement cinq réunions par an. Et tout est à inventer dans la manière de mener des actions concrètes. Premier chantier : les œuvres sociales, culturelles et sportives, avec la mise en place d’une sorte de super-CE qui offre réductions et facilités d’accès aux salariés et artisans. Un thème précurseur car consensuel. « Même si ce n’est pas un sujet spontanément exprimé dans les TPE artisanales, cela correspond à un besoin », assure Brendan Yvet, de la CFDT Bretagne. Las ! dans sa région, sur plus de 100 000 salariés de l’artisanat, le dispositif nommé Viv’Arti n’a profité qu’à 1 000 personnes fin 2015… L’explication du syndicaliste ? La difficulté de communiquer auprès des entreprises, isolées et éparpillées sur un large territoire.
Au fil des ans, une myriade d’expérimentations a fleuri dans d’autres domaines : prévention des addictions en Pays de la Loire, site Internet dédié aux métiers de l’artisanat en Basse-Normandie, module de sensibilisation pour les structures d’orientation en Rhône-Alpes. Autre initiative notable, en Bretagne : des binômes patrons-salariés issus d’univers différents chargés de créer des outils pour améliorer les conditions de travail. S’en sont par exemple saisis une entreprise du bâtiment, qui a mis au point une check-list pour mieux préparer les chantiers, ou un ambulancier qui a revu son organisation du travail et embauché un CDD. « Aujourd’hui, la question, c’est comment exploiter ces expériences auprès des autres entreprises », confie Marina Barbier.
Dans les prochains mois, les attributions de ces instances vont s’étendre. Conformément à la loi Rebsamen, elles vont remplir, dès 2017, une nouvelle mission : « contribuer à la prévention des conflits ». Un sujet délicat : trouver le bon équilibre entre non-ingérence dans l’entreprise et conseil appuyé au salarié ou au patron s’annonce ardu. « La ligne est ténue, note Michel Beaugas, de la CGT-FO. Il va falloir éviter les tensions, ne pas devenir un tribunal bis. » À chaque commission de trouver sa voie au sein d’un cadre commun encore en discussion : avant la fin 2016, l’UPA et les syndicats doivent doter les CPRIA d’un règlement intérieur qui dressera les contours de cette mission. Un texte qui ne résoudra cependant pas la question du temps que peuvent y consacrer certains syndicalistes issus des TPE qui siégeront obligatoirement dès juin 2017 : cinq heures par mois ! Dérisoire au regard de l’étendue géographique, sectorielle et thématique couverte par ces commissions.
Ce qui vaut aujourd’hui pour l’artisanat va, dès janvier 2017, concerner l’ensemble du champ interprofessionnel. À cette date, la loi Rebsamen instaure les commissions paritaires régionales interprofessionnelles (CPRI), sur un modèle similaire. Vingt membres y siégeront – dix pour les syndicats représentatifs dans les petites entreprises à l’issue du scrutin de novembre 2016, dix pour le Medef et la CGPME. Ils auront pour mission d’informer salariés et patrons de TPE sur l’emploi, la formation, le travail, de prévenir les conflits individuels ou collectifs et de mettre en place un accès privilégié à des activités sociales et culturelles. Reste au patronat à jouer le jeu, lui qui a été vent debout lors de la discussion de la loi à l’été 2015.