Résultats du 25e Observatoire du travail BPI-OpinionWay- Liaisons sociales magazine
Confrontés au chômage de masse depuis quarante ans, les salariés français ont un rapport au travail à la fois anxiogène et paradoxal. Ils ont beau savoir que, sous l’effet conjugué de la mondialisation et de la numérisation, le monde économique est en pleine mutation, ils ont le plus grand mal à tenir compte de cette nouvelle donne. Mon poste est-il menacé à court terme ? Oui, affirment 38 % des 2 526 salariés français interrogés par OpinionWay pour la 25e édition de l’Observatoire du travail BPI-Liaisons sociales magazine. Et que faites-vous pour vous y préparer ? Pas grand-chose, répondent les mêmes en chœur. Les travailleurs hexagonaux se soucient modérément de leur employabilité. Mais leurs entreprises ne les y aident guère. Si l’on en croit l’enquête, beaucoup reste à faire en matière de formation, d’entretien individuel ou de VAE. Un constat inquiétant.
Les salariés français ont pleinement intégré le manque de fluidité du marché du travail hexagonal. En cas de licenciement, ils sont ainsi 63 % à considérer qu’ils auront du mal à retrouver un emploi au moins équivalent. Sans surprise, les quinquagénaires sont les plus défaitistes (80 %) et les 18-29 ans les plus optimistes. Mais même chez ces derniers, près d’un sur deux (46 %) juge qu’il ne lui sera pas simple de rebondir. Inquiétant.
Les Français ont une conscience très aigüe de la fragilité de leur situation professionnelle. Ils sont ainsi 38 % à se sentir exposés à un risque de perte d’emploi dans les deux ou trois ans à venir. Près de quatre sur dix ! Un taux très élevé qui atteint des sommets dans certaines sous-catégories. Ainsi, ceux qui travaillent dans une TPE (moins de 10 salariés) sont 49 % à se dire menacés. Ceux qui exercent dan les secteurs du bâtiment (46 %) et des services aux particuliers (50 %) craignent tout autant pour leur poste. Dans les banques, l’assurance et l’immobilier, en revanche, l’optimisme l’emporte puisque 77 % des sondés s’y sentent en sécurité. Ces derniers ont-ils bien conscience des mutations qui attendent le secteur financier ? Visiblement pas. Le réveil pourrait n’en être que plus brutal.
En moyenne, les salariés tricolores s’accordent une note de 6,5 sur 10 en matière d’employabilité. Passable, mais pas grandiose. Mais seuls 10 % ne se donnent pas la moyenne. On remarque que les évaluations diminuent légèrement avec l’âge (6,8 pour les juniors contre 6,2 pour les seniors) et en fonction des catégories socioprofessionnelles (6,8 pour les cadres contre 6,3 pour les ouvriers). Le secteur d’activité, lui, joue peu.
En matière d’employabilité, les salariés français voient leur personnalité comme un atout. Ils citent ainsi en priorité leur capacité d’adaptation (à 60 %) et leur motivation (à 48 %). Mais nettement moins les réalisations tangibles pendant leur parcours : formations régulières (33 %), niveau de diplôme initial (30 %), forte mobilité professionnelle et montée en compétences (28 %). Le réseau professionnel, lui, n’est cité que par 15 % des sondés, alors même qu’il constitue un élément primordial de réussite pour changer de poste ou retrouver un emploi.
À force d’entendre que leur employabilité est aussi leur affaire, et pas seulement celle de leur patron, les salariés ont fini par bien retenir la leçon. Ils ne sont ainsi plus que 18 % à considérer que le maintien et le développement de leurs compétences relèvent « plutôt » de l’entreprise que d’eux-mêmes. Un taux qui monte à 24 % chez les ouvriers, et descend à 14 % chez les cadres. La proportion de ceux qui considèrent que l’employabilité est « plutôt » de leur ressort est à peine plus élevée (22 %). On les rencontre d’abord chez les 18-29 ans et les cadres (29 %).
Une bonne majorité des personnes interrogées plaide donc pour une coresponsabilité de l’entreprise et du salarié sur les questions d’employabilité. Logique ? Oui. Mais, à en croire les sondés, les entreprises prennent très peu d’initiatives. Ils ne sont ainsi qu’entre 11 et 15 % à déclarer que leur manager ou leur DRH leur a « récemment proposé » une formation d’adaptation, une mobilité interne, un bilan de compétences ou une formation visant un diplôme ou une certification. Des taux bien faibles…
Quand il s’agit de parler de leurs points faibles, les salariés tricolores préfèrent ne pas se regarder dans le miroir. Ils invoquent d’abord le manque d’opportunités offertes par leur employeur et l’atonie du marché de l’emploi. Viennent ensuite des contraintes, certes personnelles – l’incapacité d’être mobile et la situation familiale –, mais sur lesquelles ils jugent ne pas avoir prise. Ce qui relève du parcours professionnel (diplômes, formation tout au long de la vie, faible évolution de carrière) s’avère, en revanche, très peu cité. Alors même que ces éléments sont primordiaux pour les recruteurs !
Les questions d’employabilité n’animent ni les repas de famille ni les discussions de bureau. Ainsi, 47 % des salariés n’en parlent jamais avec leurs proches et 51 % jamais avec leurs collègues. Les managers et les responsables RH seraient-ils plus sollicités ? Que nenni ! Deux tiers des personnes interrogées n’en ont jamais parlé avec leur supérieur hiérarchique, trois quarts ne l’ont jamais évoqué avec les services RH. De mauvais scores que l’instauration de l’« entretien professionnel » obligatoire (loi du 5 mars 2014) pourrait améliorer. Pour l’instant, seuls 44 % affirment en avoir eu un. Et parmi eux, 58 % ont jugé l’exercice… inutile.
Sondage réalisé en ligne, du 23 août au 2 septembre 2016, auprès d’un échantillon représentatif de 2 526 salariés