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Une loi sans garde-fou pour la négo collective

Idées | Juridique | publié le : 04.10.2016 | Pascal Lokiec

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Une loi sans garde-fou pour la négo collective

Crédit photo Pascal Lokiec

Quoi de plus légitime qu’une norme définie par ceux-là mêmes à qui elle a vocation à s’appliquer, ou par leurs représentants ? L’accord collectif a, depuis de nombreuses années, le vent en poupe, et l’aura plus encore si l’on suit l’article premier de la loi travail. Celui-ci annonce la création d’une commission d’experts et de praticiens des relations sociales dont la mission est la refondation du Code du travail. Avec pour objectif premier d’« attribuer une place centrale à la négociation collective ».

Place renforcée

Même si, en France, l’accord collectif n’a de place que celle que le législateur veut bien lui accorder (il n’existe pas à proprement parler d’autonomie collective), la négociation est tout sauf moribonde en France avec, chaque année, environ 35 000 accords d’entreprise ! La loi travail entend renforcer la tendance en initiant, sous l’inspiration du rapport Combrexelle, une nouvelle architecture du Code. Rappelons que celle-ci se compose de trois strates : ordre public, champ de la négociation collective, dispositions supplétives. Inéluctablement, cette architecture conduira à renforcer le poids de l’accord collectif, comme l’a déjà illustré l’article 30 de l’avant-projet de loi travail qui permettait à un accord de branche de définir le nombre de trimestres requis pour caractériser l’existence de difficultés économiques.

Verra-t-on, par exemple, l’accord collectif devenir la norme de référence en matière de santé et sécurité ? Même si Jean-Denis Combrexelle lui-même s’y est dit hostile (dans un entretien à Santé et travail de janvier 2016), la vigilance devra être de mise si le processus de réécriture touche cette partie-là du Code du travail, tout entière marquée par le sceau de l’ordre public.

Légitimité accrue

Fort heureusement, le poids accru de la négociation collective va de pair avec un renforcement de la légitimité des accords. Une nouvelle règle majoritaire est adoptée par la loi travail, en vertu de laquelle l’accord, pour être valablement conclu, devra l’être par des syndicats représentant au moins 50 % des suffrages.

Cette règle s’applique dès la publication de la loi pour les accords de préservation ou de développement de l’emploi ; le 1er janvier 2017 pour ceux portant sur la durée du travail, les repos et les congés ; à compter du 1er septembre 2019 pour les autres accords, à l’exception de ceux de maintien de l’emploi qui sont déjà soumis à cette majorité (voir le numéro spécial sur la loi travail, Lexbase Hebdo, éd. sociale, n° 666). Certes, la décision paraît sage : faire autrement eut rendu très difficile la conclusion d’accords collectifs dans les entreprises. Mais la portée de la règle majoritaire est néanmoins diminuée du fait que les 50 % ne sont pas appréciés par rapport à la totalité des suffrages exprimés, mais par rapport à ceux exprimés en faveur de syndicats représentatifs. Quant à la possibilité de passer outre par référendum, il est permis d’émettre des réserves.

D’abord, sur la philosophie générale qui sous-tend cette nouveauté ! Le taux d’adhésion syndicale en France étant d’environ 7 %, le vote direct des salariés doit primer, entend-on à l’envi ! C’est oublier que, depuis 2008, la légitimité des syndicats ne se mesure pas à l’adhésion mais principalement à leur audience électorale. Ensuite, est-il pleinement convaincant de voir des personnes n’ayant pas participé à la négociation d’une convention la valider ou l’invalider ?

Limites insuffisantes

Il n’y aurait rien à dire si ce mouvement de promotion de la négociation collective était entouré des verrous nécessaires. Ce qui n’est malheureusement pas le cas ! D’abord, on avait cru comprendre que la condition sine qua non de l’allégement de l’ordre public et, partant, de la promotion de la négociation collective était que cette dernière soit encadrée par des principes ! Si le Code du travail est bien réformé et la négociation collective bien promue, les principes énoncés par la commission Badinter n’y sont plus. Il y a là un beau paradoxe ! Si on veut rester cohérent, soit on refonde le droit du travail – et on le fait sur la base de principes, comme annoncé –, soit on y renonce et on se contente de corriger les défauts du Code actuel sans tout remettre à plat.

Ensuite, le principe de faveur, principal garde-fou face à une promotion débridée de la négociation collective et véritable âme du droit du travail (il est l’une des principales contreparties de la subordination), poursuit son déclin. Certes, la loi travail allonge la liste des matières sur lesquelles un accord d’entreprise ne peut pas déroger à l’accord de branche : aux salaires minima, classifications, garanties collectives complémentaires et mutualisation des fonds de la formation professionnelle s’ajoutent désormais la prévention de la pénibilité et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Mais, globalement, c’est bien d’un recul du principe de faveur qu’il s’agit, comme l’a bien montré le débat ô combien tendu sur l’article 2 du projet. La liste des matières pour lesquelles un accord d’entreprise peut déroger en défaveur des salariés sans que l’accord de branche puisse s’y opposer s’allonge, incluant en particulier la majoration des heures supplémentaires. Sujet pour le moins central puisqu’il est au carrefour du temps de travail et de la rémunération.

Enfin, n’oublions pas le rôle du contrat individuel, dont la force obligatoire permet au salarié de s’opposer à un accord collectif qui modifie les conditions initiales de son engagement (son salaire, sa durée du travail, etc.). Le contre-argument est connu, à savoir qu’il ne faut pas que les salariés puissent, égoïstement, priver d’efficacité un accord conclu dans l’intérêt collectif, voire l’intérêt général, par exemple un accord diminuant les rémunérations au nom de l’emploi.

Malgré la force de l’argument, à une époque où il est particulièrement difficile de déterminer où se situe l’intérêt collectif des salariés (on le voit parfaitement dans le débat sur le travail du dimanche), la moindre des choses ne serait-elle pas de permettre au salarié, pris en tant qu’individu, de dire non à un changement qui heurte les attentes qui ont été les siennes lors de la conclusion de son propre contrat ? Fallait-il annoncer un nouveau droit du travail sans en définir au préalable les garde-fous ? Sans les verrous suffisants, l’objectif d’accorder une place centrale à la négociation collective n’augure rien de bon. Rien du tout.

Pascal Lokiec

Professeur à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, où il codirige le master 2 Droit social et relations professionnelles. Il a publié Il faut sauver le droit du travail chez Odile Jacob (février 2015).

Auteur

  • Pascal Lokiec