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Retenue de l’impôt à la source : le jeu en vaut-il la chandelle ?

Idées | Débat | publié le : 04.10.2016 |

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Retenue de l’impôt à la source : le jeu en vaut-il la chandelle ?

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Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, qui doit permettre d’ajuster en temps réel l’impôt aux revenus perçus, reste très critiqué. Le patronat y voit une source de complexité et une charge supplémentaire pour les entreprises. Les syndicats pointent des problèmes de confidentialité.

Jean-Christophe Sciberras DRH France de Solvay et ex-président de l’ANDRH.

Le projet d’instituer le prélèvement de l’impôt sur le revenu à la source sur le bulletin de paie des salariés pourrait être regardé comme une mesure de simplification bienvenue. Qui aurait figuré au « tableau de chasse » d’un gouvernement mettant à son actif une série impressionnante de réalisations en matière de simplification administrative. Les entreprises, habituées à opérer de multiples prélèvements sur la paie de leurs salariés, auraient alors apporté sans difficulté leur contribution, par un ajustement des logiciels de paie et une ligne supplémentaire au bulletin de paie. Pourtant, ce scénario idéal n’est sans doute pas celui qui va se produire. Côté salariés, il existe une crainte réelle du regard porté par l’entreprise sur leur vie privée. Au-delà de la découverte d’autres sources de revenu, il y a chez eux une profonde méfiance à l’égard de l’immixtion de l’employeur dans leur vie privée, sans doute plus forte que dans d’autres pays, qui illustre la distance entretenue avec l’entreprise capitaliste. Côté entreprises, les réticences sont encore plus nombreuses. Passons sur celles aisément surmontables, comme la mise en œuvre de ce nouveau prélèvement sur le bulletin de paie. Plus grave est le reproche qui sera fait par le salarié à son manager ou à son DRH à la lecture de son bulletin de paie lorsqu’il constatera qu’entre le brut et le net on passe du double au simple. Il n’est jamais facile pour un manager de devoir justifier une telle différence alors qu’il n’y est pour rien. Et ce d’autant plus que la France est un pays où le recouvrement de l’impôt sur le revenu compte parmi les meilleurs au monde. Reste, certes, le cas des salariés qui connaissent une brutale chute de salaire d’une année à l’autre, lesquels seront désormais protégés contre leur imprévoyance par la simultanéité du prélèvement de l’impôt. Mais même dans ce cas, on sait qu’il est facile d’obtenir du fisc un étalement. Au total, donc, le jeu en vaut-il la chandelle ? Pas sûr. Le gouvernement n’a plus que quelques semaines pour apporter la preuve du contraire. Il y a urgence.

Pascal Pavageau Secrétaire confédéral FO chargé de l’économie.

Force ouvrière est opposée au prélèvement à la source. Grâce aux efforts de modernisation de l’administration, le mode de collecte actuel fonctionne bien et à moindre coût – rappelons que la déclaration préremplie est généralisée, que la mensualisation concerne 70 % des contribuables et que le taux de recours aux paiements dématérialisés atteint 90 %. En réalité, la valeur ajoutée de cette réforme pour le contribuable est quasi nulle car il aura toujours des démarches déclaratives et de régularisation à effectuer.

Le gouvernement a fait le choix de l’employeur comme tiers collecteur. FO y était opposée au vu des conséquences que peut avoir sur les relations salariale et sociale la connaissance par l’employeur d’autres sources de revenu du salarié, et plus globalement la connaissance de tout ce qui caractérise le foyer fiscal de celui-ci. Quoi qu’en dise le gouvernement, le taux de prélèvement dit déjà quelque chose des autres revenus du foyer, surtout s’ils sont importants au regard du seul salaire connu de l’employeur – en cas, par exemple, de revenus très inégaux dans le couple ou de revenus du patrimoine élevés –, ou s’ils sont au contraire plutôt faibles grâce aux dépenses fiscales. Si une partie des employeurs ne fera aucun cas de ce qu’il est possible de supposer à partir du taux de prélèvement, d’autres pourront s’en servir dans un contexte de négociation salariale toujours plus tendu et individualisé. Et l’option d’un taux « neutre » soulève plus d’interrogations qu’elle n’offre de solutions. Le choix de l’employeur (et de sa trésorerie) soulève aussi un risque majeur de perte de recettes fiscales. Sans même évoquer la possibilité de fraude (celle à la TVA coûte autour de 15 milliards), des erreurs dans la transmission ou l’application du taux sont à prévoir. Comment l’administration va-t-elle gérer l’instabilité de l’emploi, c’est-à-dire le fait de changer souvent d’employeur ou d’en cumuler ? Qu’est-il prévu en cas d’insolvabilité de l’entreprise, de dépôt de bilan ? Quelles sont les responsabilités juridiques de chacun ? Pour FO, cette réforme, dangereuse socialement, est une erreur qui coûtera cher au budget de l’État.

François Asselin Président de la CGPME.

Le dispositif de retenue à la source, qui doit être mis en place le 1er janvier 2018, continue de susciter de graves inquiétudes. Elles sont à la fois politiques (obligation faite au chef d’entreprise de jouer un rôle de collecteur d’impôts qui ne peut être le sien), techniques (système de taux mensuel susceptible de varier du fait d’une modification salariale ou d’un changement de situation personnelle comme le mariage ou le divorce ; problème de confidentialité à propos duquel le mécanisme de « taux neutre » annoncé suscite le doute) et financières (surcoûts inévitables engendrés par la modification des logiciels). À cette somme d’éléments négatifs incontestables risquent de s’ajouter d’autres problèmes liés aux conséquences sur les relations du travail de la retenue à la source. Malgré les déclarations « rassurantes » du ministre de l’Économie et des Finances, le chef d’entreprise prélevant l’impôt sur le revenu chaque mois sera considéré par nombre de salariés comme le véritable « interlocuteur fiscal » auprès duquel ils formuleront leurs récriminations. En effet, les salariés verront leur salaire net diminué par rapport au système antérieur. Beaucoup d’entre eux seront donc tentés de se retourner contre cet interlocuteur fiscal que sera devenu le dirigeant d’entreprise (ou son représentant). Cela pourrait engendrer des demandes d’augmentation de salaire plus fréquentes afin d’aboutir à une compensation et, dans les entreprises importantes, rendre plus difficiles les négociations salariales. Les dirigeants d’entreprise seront donc les « boucliers de l’administration fiscale ». De plus, si ces demandes d’augmentation sont refusées, le climat social pourra se détériorer.

Par ailleurs, surtout dans les TPE-PME, si le chef d’entreprise n’est pas à même d’assumer la complexité accrue liée à cette retenue à la source, le salarié aura tendance, puisque le chef d’entreprise sera l’interlocuteur fiscal, à se retourner, là encore, vers lui. Le gouvernement doit reconsidérer l’idée même de prélèvement à la source et, à tout le moins, procéder à des expérimentations et à une étude d’impact comme la CGPME le lui avait demandé.

Ce qu’il faut retenir

// Serpent de mer depuis quarante ans, le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu doit être mis en place dès le 1er janvier 2018. Il transforme l’entreprise en tiers collecteur, qui appliquera un taux moyen d’imposition fourni par le fisc et calculé en fonction des revenus de l’année précédente.

// Le taux d’imposition donnera à l’employeur une connaissance assez précise de l’ensemble des revenus de son personnel. Au risque, craignent certains syndicats (FO en tête), qu’il en tienne compte dans sa politique salariale, voire d’emploi.

// L’entreprise est soumise au secret professionnel sur ce taux. Sinon, elle est passible d’une peine de prison de cinq ans et de 300 000 euros d’amende.

// Face au problème de confidentialité, le ministère de l’Économie et des Finances propose au contribuable d’opter pour un taux de prélèvement neutre calculé sur le seul montant de son salaire.

En chiffres

30 à 40 % des contribuables voient chaque année leurs revenus chuter en raison d’un changement professionnel ou familial. Actuellement, ils attendent un an avant que leur impôt ne baisse.

97 % C’est le taux de recouvrement de l’impôt sur le revenu en 2015.

Sources : rapport du Conseil des prélèvements obligatoires en 2012 ; DGFIP.