logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Le guide qui chiffonne les profs de RH

Décodages | publié le : 04.10.2016 | Lou-Ève Popper

Image

Le guide qui chiffonne les profs de RH

Crédit photo Lou-Ève Popper

Critiqué pour son opacité et sa méthodologie, le classement des masters publié par Eduniversal embarrasse. Car les cursus qui ne coopèrent pas à son élaboration se retrouvent mal classés… Revue de détail d’une évaluation qui n’a rien d’académique.

Impossible de les rater. Partout dans les couloirs des facs et des grandes écoles s’amoncellent des piles du volumineux « Guide du classement Eduniversal des meilleurs masters, mastères spécialisés & MBA ». Près de 800 formations y sont classées dans 65 spécialités. Dans tous les secteurs d’activité, y compris la gestion des ressources humaines. À l’heure de la rentrée universitaire, les futurs professionnels des RH ne découvrent pas le classement, très bien référencé sur Internet : ils l’ont tous épluché voilà quelques mois, pour se repérer dans le maquis des formations avant de poser leur candidature.

Un passage obligé, si l’on en croit l’éditeur, le groupe Eduniversal (ex-SMBG), qui affirme sur son site Web que le guide, édité depuis 2003, est consulté « par 650 000 étudiants français ». Faut-il se réjouir de ce succès ? Et féliciter ses auteurs pour cet énorme travail de référencement ? Pas sûr. Dans le domaine des RH, tout au moins, nombre de responsables de master pointent du doigt l’opacité du classement. Et dénoncent les ambitions lucratives de l’entreprise, qui vend aussi des espaces publicitaires aux établissements. De quoi faire douter les responsables de programme de l’impartialité de cette bible…

Surprise, ceux-là même qui critiquent ce palmarès, jugé commercial, sont malgré tout contraints d’y figurer. Et ils ont même tout intérêt à participer activement à son élaboration. Car l’ouvrage se veut exhaustif. L’édition 2016 recense ainsi l’ensemble des formations RH en France, soit quelque 70 programmes, en excluant ceux portant sur le droit social, la psychologie ou la RSE. Vous refusez de répondre ? Pas grave, vous serez malgré tout classé. Et plutôt moins bien. Car la méthodologie d’Eduniversal est construite de façon à favoriser ceux qui participent et à pénaliser les autres.

Pour bien comprendre le classement, une plongée en coulisses s’impose. Premier critère de sélection d’Eduniversal : la notoriété de la formation, évaluée par les entreprises. Pour ce faire, l’éditeur a constitué un panel d’un millier de directeurs de ressources humaines et de campus managers auxquels il demande, chaque année, de sélectionner les trois meilleures formations dans chaque spécialité. Des « non-spécialistes » qui ont tendance à choisir les établissements les plus réputés. Aussi, pour favoriser les cursus moins visibles mais néanmoins reconnus dans leur domaine, Eduniversal demande également l’avis de recruteurs plus pointus.

Précieuses adresses

Depuis 2015, les écoles et les universités peuvent ainsi fournir une liste de 30 entreprises qu’elles jugent incontournables dans leur secteur. Interrogées, ces dernières pourront à leur tour voter. Hormis les universités prestigieuses et les très grandes écoles, tout le monde a donc intérêt à fournir une liste complémentaire, à même de les favoriser. D’autant plus que chaque voix coûte cher : dans la catégorie GRH, seuls 8,16 % des 4 681 personnes sondées ont répondu.

Deuxième critère, le salaire de sortie des étudiants. Il revient à chaque établissement de déclarer un montant, qu’Eduniversal compare avec celui du secteur. Depuis 2014, l’éditeur tente aussi de solliciter les jeunes diplômés pour qu’ils communiquent leur rémunération. Si les chiffres concordent, les formations obtiennent des points bonus. Une vérification qui implique que les responsables de master livrent les coordonnées de leurs élèves. Ce que certains refusent de faire. Tel le Ciffop (classé cinquième en 2016), au nom de la confidentialité. Eduniversal assure pourtant s’être engagé auprès de la Cnil à ne pas diffuser les coordonnées à des fins publicitaires. Ce que nous n’avons pu confirmer auprès de l’institution. Pour les cursus récalcitrants, l’éditeur dit enquêter par lui-même, en recherchant de l’information sur leurs sites Web ou en épluchant les rapports de la Conférence des grandes écoles ou de la Commission des titres d’ingénieur. Pas simple, et pas très convaincant.

Dernier critère, la satisfaction des étudiants. Là aussi, leurs adresses électroniques sont indispensables. Mais seul un gros tiers des formations RH accepte de les fournir, parfois sans leur accord. Parmi celles-ci, l’ESCP Europe, première du classement. Ou l’Isfogep-Essec, classée septième. « Je ne demande pas à mes étudiants s’ils souhaitent ou non être contactés. C’est comme pour la pub, on ne choisit pas toujours ce qu’on reçoit dans sa boîte aux lettres », justifie son directeur, Michel Charbonnier. De fait, ne pas coopérer peut coûter cher : une note de 2,5 sur 5 est attribuée d’office aux programmes qui ne sollicitent pas leurs ouailles. « Une telle note équivaut à celle d’une promotion plutôt insatisfaite », précise-t-on chez Eduniversal. De quoi faire descendre ces cursus dans le classement et remonter les autres. L’IGS-RH peut en témoigner. Il a longtemps végété à la quinzième place avant de se résoudre à impliquer ses étudiants. Résultat, il est huitième cette année.

Dans le palmarès final, aucune note n’apparaît. Rien n’indique non plus si l’école a répondu aux sollicitations. Figurent seulement le rang obtenu ainsi qu’un nombre d’étoiles. « Cette absence de transparence entame la crédibilité de l’enquête », note Olivier Dusserre, directeur de l’IGS-RH à Paris. Un reproche parfois fait, aussi, à Liaisons sociales magazine, qui a longtemps publié son propre classement des formations RH. Selon Élise*, une ancienne salariée de l’éditeur, « c’est une manière pour Eduniversal de masquer le manque d’informations récoltées et d’éviter les réclamations ». Ce que réfute Marie-Anne Binet, responsable du classement France. « C’est simplement une façon de le rendre plus lisible », argue-t-elle.

Dans le petit monde des cursus RH, la méthodologie du guide crée un vrai malaise. Faut-il répondre ? Se taire ? Dois-je croire mes concurrents quand ils assurent ne pas participer ? Pas simple d’adopter la bonne stratégie afin de ne pas voir sa formation boudée par les étudiants… Pour Gwénaëlle Poilpot-Rocaboy, présidente de Référence RH, une association qui regroupe universités et grandes écoles spécialisées en GRH, pas question de participer à l’exercice. « Notoriété, salaires de sortie, satisfaction des étudiants ne relèvent en aucun cas de critères académiques », rappelle-t-elle. L’universitaire juge également inadmissible que des formations non reconnues par l’État apparaissent dans le classement. Un parti pris assumé par ses auteurs. « Notre classement s’appuie sur des critères de marché. Ce qui intéresse les jeunes est de savoir s’ils vont trouver du travail à la sortie », dit-on chez Eduniversal.

Répondre ou se taire

Au sein de Référence RH, il a été décidé d’ignorer l’éditeur. Au risque de mal figurer dans le classement, quand bien même sa formation est reconnue par ses pairs. « C’est humiliant, soupire le responsable du master 2 GRH d’une grande université parisienne. Je soutiens mes collègues de Référence RH mais c’est dur. Je me demande chaque année si je vais continuer à être solidaire. » La question s’est aussi posée pour le master Management des ressources humaines de Paris-Dauphine. En accord avec l’IAE de Paris, la formation a caressé l’idée de ne plus répondre. Mais cette volonté de rompre s’est étiolée lorsque le cursus a, une nouvelle fois, eu les honneurs du classement en 2016.

Le prix de la résistance reste cependant moins élevé pour les universités – non lucratives et saturées de demandes d’inscription – que pour les cursus privés peu réputés. À ces derniers, Eduniversal offre une visibilité inestimable. Véritable relais de notoriété, l’éditeur a d’ailleurs développé à leur intention toute une batterie d’outils pour accroître leur rayonnement. Il décerne, par exemple, des « prix de l’innovation » et des « prix de lancement de programme » dont les critères d’obtention n’ont rien d’académique ni de sérieux. « Pour les recevoir, il suffit de signer un chèque », confie ainsi Élise, ancienne de la maison.

Au siège d’Eduniversal, Marie-Anne Binet ne dément d’ailleurs pas. « Nous n’avons aucun critère de sélection. Il s’agit de formations nouvellement créées qui cherchent à communiquer et à qui nos commerciaux vendent des encarts publicitaires. Mais ces prix ne font pas partie des classements et n’y sont pas associés », précise-t-elle. Il n’empêche. À force de jouer sur plusieurs tableaux, le groupe sème le doute.

Visibilité maximale

Grâce à la pub, certaines formations sont davantage mises en avant dans le guide. C’est particulièrement vrai du MBA spécialisé Gestion des ressources humaines et de la mobilité internationale de l’Institut Magellan. Son directeur, Yves Girouard, a notamment signé, dans les pages du guide 2016, l’éditorial de la catégorie GRH. Par ailleurs, à l’instar de l’IAE de Paris, de l’université Paris-Dauphine, de l’IGS ou encore de l’IAE Gustave-Eiffel, l’établissement a aussi acheté des pages de présentation pour deux programmes, classés en deuxième et quatrième places. Décidément gourmand, Yves Girouard a également choisi, comme Olivier Roques, directeur du master of science Management des ressources humaines et de la relation de l’IAE Aix-Marseille, de présenter ses programmes dans une vidéo payante qui apparaît sur le site. Enfin, il a réservé, comme chaque année, un stand au Salon Eduniversal. Des « packs » publicité qui se monnaient près de 3 500 euros pour chaque formation.

Du côté des pouvoirs publics, on ne semble guère porter beaucoup d’attention à ce type de classement. Sans pour autant se dire indifférent, si l’on en croit Véronique Chanut, présidente de la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion. « Si les jeunes ont besoin de ce type d’organismes privés pour se repérer dans le maquis des masters, c’est que le paysage reste confus. À la Commission, nous devons redoubler d’efforts pour mettre en valeur les écoles qui acceptent de se soumettre à notre évaluation.a » Reste à passer à l’acte.

* Le prénom a été changé.

Masters Booking, ou l’art d’allécher

« Avec un seul dossier de candidature, postulez en master partout où vous le souhaitez ! » Telle est la promesse alléchante du site Web mastersbooking.fr. Après le cabinet de conseil en orientation, l’édition de guides spécialisés et l’attribution de prêts étudiants, voici la dernière trouvaille du groupe Eduniversal. Une promesse d’autant plus alléchante que la sélection en deuxième année de master est drastique à l’université. Inquiets à l’idée de se retrouver sans formation, les étudiants multiplient les dossiers de candidature auprès de différentes facultés en France. Lancée en 2015, cette plate-forme de candidatures en ligne prétend simplifier les démarches des étudiants. Sauf que l’offre manque de clarté. Contrairement à ce que laisse croire son nom, Masters Booking propose moins de postuler à de « vrais » masters universitaires qu’à des mastères spécialisés (MS), masters of business administration (MBA) ou masters of science (MSc) dispensés par des organismes privés, qui proposent des titres de niveau bac + 5 ou + 6. En outre, seuls les programmes ayant accepté de payer figurent sur le site. Le résultat est donc biaisé pour qui cherche à s’orienter.

Le dossier de candidature unique permet-il, au moins, de réaliser des économies ? Pas sûr, car tout se paie chez Eduniversal : à partir de trois dossiers envoyés, les jeunes doivent acheter des crédits supplémentaires, qui s’échelonnent de 19 à 89 euros. En échange, les établissements s’engagent à fournir une réponse sous sept jours. Problème, cette réponse n’est que partielle : les étudiants sauront si leur dossier correspond aux critères d’admission mais devront ensuite se plier à la procédure classique de recrutement. Pas dupes, les étudiants inscrits sur la plate-forme refusent en majorité de payer.

Auteur

  • Lou-Ève Popper