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Benoît Clocheret finalise l’édification d’Artelia

Décodages | publié le : 04.10.2016 | Éric Béal

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Benoît Clocheret finalise l’édification d’Artelia

Crédit photo Éric Béal

Tenir des objectifs de croissance ambitieux et peaufiner la fusion des entités à l’origine d’Artelia… Pour remplir sa mission, le directeur général s’appuie sur la création d’une culture et d’un statut propres. Dialogue social à l’appui. Points noirs : des difficultés pour recruter et fidéliser.

Il n’y a pas qu’en informatique que les entreprises poussent comme des champignons. L’ingénierie constitue aussi une « champignonnière » de qualité, comme le démontre le développement d’Artelia. En 2010, Alain Bentéjac et Jacques Gaillard, patrons respectifs de Coteba et Sogreah, deux cabinets d’ingénierie, décident de marier leurs entreprises pour créer Artelia. Cette fusion entre égaux aboutit à un ensemble de 2 500 collaborateurs qui réalise un chiffre d’affaires de quelque 250 millions d’euros. Cinq ans plus tard – et deux ans après le retrait opérationnel des dirigeants, devenus coprésidents du conseil d’administration –, Artelia compte 1 000 salariés de plus et réalise un chiffre d’affaires de 405 millions d’euros.

Présents sur le Grand Paris Express, via un contrat d’assistance à maîtrise d’ouvrage générale et sur la maîtrise d’œuvre de sa ligne 18, les ingénieurs d’Artelia réalisent aussi des études sur la sécurité du périphérique Nord de Lyon, la modélisation de la Seine, l’extension du port Est de la Réunion ou encore la rénovation du Carlton de Cannes. Sans compter une foultitude de petits chantiers faisant l’objet d’appels d’offres de la part de collectivités locales ou d’organisations privées. Dans le rapport annuel 2015, les coprésidents se félicitent du succès du « projet entrepreneurial » et affirment que les « hommes et les femmes d’Artelia ont […] réussi, en un temps record, à imposer le nom d’Artelia ».

Un compliment indirect à Benoît Clocheret, directeur général depuis janvier 2014, dont la mission première était d’« aller au bout de la fusion » et de favoriser les synergies entre les quatre secteurs : bâtiment & industrie, ville & transport, eau & environnement et Artelia international, chargé de gérer la trentaine d’implantations à l’étranger ainsi que les investissements immobiliers d’entreprises clientes à travers le monde. Une mission à la mesure de cet ancien élève de Polytechnique et des Ponts et Chaussées, diplômé de Sciences po Paris, passé par Suez Environnement et la Lyonnaise des eaux.

Créer une culture unique

Pour autant, fondre deux cultures d’entreprise en une seule n’est pas chose aisée. Thierry Lassalle, le DRH groupe, en sait quelque chose. Ce quinqua jovial, à l’écoute et bon connaisseur de l’entreprise, maintient un climat favorable à la négociation avec les syndicats. Depuis son arrivée début 2011, il est parvenu à faire adopter quelque 70 accords, signés à une ou deux exceptions près, par tous les syndicats : CFDT, CGT, CFTC et AIR, un syndicat maison. Mais les récentes élections ont été fatales aux deux dernières organisations. Les deux derniers accords, signés en juillet, portent sur la participation et la diversité. Auparavant, les partenaires sociaux avaient conclu sur un plan d’épargne groupe, l’harmonisation de la prévoyance et de la mutuelle, un plan d’épargne-retraite ou encore la création d’un nouveau compte épargne-temps.

Des textes fondamentaux pour créer un statut commun à tous les salariés. « Nous préparons soigneusement les discussions pour pouvoir aboutir rapidement une fois qu’elles sont ouvertes. Et nous accordons la possibilité d’une renégociation ultérieure pour simplifier les textes si nécessaire », explique Thierry Lassalle.

Après les difficultés du rapprochement, anticipées par la création d’une cellule de travail, les efforts continuent. « Nous avons mis en place un cursus spécifique destiné aux directeurs de pôle et aux directeurs de projet. Une autre formation est destinée au middle management », explique François-Xavier Huard, directeur de l’innovation. Les services RH ont également lancé des communautés sur l’intranet pour faciliter l’échange de bonnes pratiques ou avancer sur des problématiques particulières. Tel le « réseau de femmes », destiné à faciliter la gestion de carrière des femmes managers. Avec plus ou moins de succès, comme l’explique Sophie Ancel, chef de projet et responsable de l’hydraulique maritime chez eau & environnement. « J’ai des objectifs de management, de développement technique et de production, indique-t-elle. Je manque de temps pour mener de front mes différentes missions et suis obligée de prioriser. Alors le réseau de femmes… C’est dommage, mais cette initiative a tendance à s’essouffler. »

Tenir les délais

Temps et charge de travail sont des sujets délicats depuis la création d’Artelia. « Un peu partout, la hiérarchie exerce une pression pour éviter que les salariés partent dès 18 heures », assure Gilles Marchand, délégué CGT chez bâtiment & industrie. Pour certains, la situation est d’autant plus difficile à supporter qu’elle ne correspond pas aux habitudes antérieures. « L’ingénieur Sogreah avait un très bon statut il y a quinze ans, confie un ancien à Grenoble. Les gens rentraient pour faire carrière. Depuis, les conditions de travail se sont dégradées et le stress fait des ravages. » L’intensification du travail n’est pas niée par les membres du comité directeur. « Nous avons tous une charge importante, admet Pascal Thévenet, directeur général adjoint d’Artelia international. Mais certains clients mettent des pénalités en cas de retard par rapport à la date de rendu et les marges faibles ne nous laissent pas beaucoup de choix. »

Ce n’est pas un hasard si DRH et syndicats sont encore en discussion sur le temps de travail. L’entreprise dépend de la convention collective nationale du Syntec, mais la plupart des ingénieurs du secteur bâtiment & industrie bénéficient toujours d’un accord plus favorable basé sur celle des cols blancs de la métallurgie. « Le nombre de jours de RTT est beaucoup plus important et les collègues y tiennent, même si, dans les faits, ils travaillent beaucoup. Ce ne sera pas facile de rapprocher les points de vue », pronostique un observateur. Pour autant, Patricia Bovio, la déléguée CFDT, attend l’ouverture de la négociation avec une certaine impatience. « En plus de la durée, on veut négocier sur les astreintes et l’aménagement du temps de travail », revendique-t-elle.

Recruter et fidéliser

Pas facile de planifier les embauches dans l’ingénierie. Les appels d’offres arrivent par paquets et il faut attendre d’avoir gagné pour recruter. Cela crée un jeu de vases communicants. « On est souvent obligé de réaffecter une partie des équipes travaillant sur d’autres missions pour les mobiliser sur le nouveau projet afin de tenir nos engagements contractuels », indique Jean-Marie Le Lourec, responsable de mission. Les cabinets d’ingénierie, les collectivités locales et les entreprises de BTP se battent aussi pour attirer les meilleurs. « En ce moment, nous avons 170 postes à pourvoir sur l’ensemble de la France. Nous recherchons des ingénieurs spécialisés, des dessinateurs-projeteurs et des directeurs de projet. Mais ces profils sont chassés par tout le monde », se lamente Christine Grevé, la responsable du recrutement.

Le problème pourrait entraver le développement de l’entreprise. « Nous allons faire 25 % de croissance en 2016, indique François Rambour, DG adjoint responsable de six régions du secteur bâtiment & industrie. Trouver des ressources est un enjeu stratégique. » Le DGA organise des comités de jeunes pour retenir les apprentis en fin de formation. Un peu léger pour fixer des ingénieurs qui ne gagnent que 2 600 euros brut sur treize mois après un an de maison. « Ces jeunes restent trois à cinq ans. Puis ils s’en vont pour bénéficier d’une évolution plus rapide et d’horaires décents », estime Rose-Marie Samson, déléguée CGT.

L’entrée au capital de l’entreprise est présentée par Benoît Clocheret comme un vrai plus pour fidéliser les cracks. Artelia est contrôlé à 97 % par son personnel. Dans le détail, les deux coprésidents possèdent un peu plus de 40 % et le fonds commun de placement d’entreprise 12 %. Le reste est détenu par les partners et les managers. Le DG, qui voit dans cet actionnariat salarié « un puissant facteur d’adhésion et de fidélité », souhaite qu’à l’avenir le FCPE contrôle 15 % du capital. Pour autant, ce dispositif n’atteint pas totalement son objectif. « Les jeunes sont plus intéressés par nos initiatives éthiques, le soutien de notre fondation à Emmaüs ou nos projets en Afrique », observe François Rambour. Autre outil de fidélisation mis en place depuis l’arrivée de l’actuel DG, la rémunération au mérite. Un système à double tranchant. « Aujourd’hui, certains n’ont aucune augmentation, alors que d’autres touchent des primes représentant 30 % de leur rémunération annuelle », note un ancien qui doute que cela renforce la cohésion d’équipe.

La volonté de Benoît Clocheret d’atteindre une rentabilité de 6 % accentue la pression sur les salariés. « Mon objectif, c’est d’y parvenir grâce à la croissance de nos activités et à un repositionnement sur des projets plus importants », explique le DG, qui minimise les problèmes de surmenage et relativise le turnover, compris entre 9 % et 14 % par an, suivant les secteurs. Les représentants syndicaux estiment, eux, que cette obsession est liée à la volonté de la direction de rester indépendante des marchés financiers. « Le directeur général veut augmenter le résultat pour distribuer plus de dividendes aux partners et aux salariés actionnaires afin qu’ils puissent racheter les parts de ceux qui partiront bientôt à la retraite. À commencer par les deux anciens patrons. Sinon, il devra faire entrer un partenaire extérieur dans le capital », décrypte Patricia Bovio. Une perspective qui n’enchante guère la déléguée CFDT qui craint, ce faisant, qu’Artelia se différencie de moins en moins de ses concurrents.

En chiffres

405

Millions d’euros

C’est le chiffre d’affaires 2015.

3 500

Salariés

C’est l’effectif mondial du groupe Artelia, dont 2500 en France.

Source : Artelia.

Auteur

  • Éric Béal