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Outre-Atlantique, le harcèlement résiste

À la une | publié le : 04.10.2016 | Caroline Crosdale

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Outre-Atlantique, le harcèlement résiste

Crédit photo Caroline Crosdale

Aux États-Unis, le harcèlement sexuel peut être durement puni. Mais les procédures sont longues et les résultats souvent décevants.

Le sexisme en entreprise ? Aux États-Unis, c’est un vieux serpent de mer. L’été dernier, Roger Ailes, 76 ans, le P-DG qui a fait de la chaîne télé Fox News un grand succès, a ainsi dû subitement quitter ses fonctions. Quinze jours après qu’une animatrice vedette, Gretchen Carlson, a porté plainte contre lui, l’accusant de ne pas avoir renouvelé son contrat car elle avait refusé ses avances. La maison mère de Fox News a fait son enquête, prié le patron de partir… et envoyé un gros chèque a Gretchen Carlson. Mais une vingtaine d’autres femmes ont aussi déclaré avoir été victimes de gestes inappropriés, voire pire.

Outre-Atlantique, on ne plaisante pas avec le harcèlement sexuel, qui relève depuis longtemps de la justice. Il s’agit en effet d’une violation du titre VII de la loi sur les droits civils de 1964, qui se concentrait sur la discrimination raciale. Dans les années 1960 et 1970, la discrimination contre les femmes « n’intéressait guère les juges », explique l’avocate Amy Oppenheimer, qui aide les entreprises à mettre en place des programmes antiharcèlement. Mais, peu à peu, le harcèlement sexuel a trouvé sa place au tribunal. Et il a été reconnu en 1986 par la Cour suprême. Deux types de discrimination sexuelle sont pris en compte : l’environnement de travail hostile et le « quid pro quo », selon lequel un certain travail est promis contre une faveur sexuelle.

La loi fédérale couvre les entreprises de plus de 15 salariés, les lois de chaque État étant censées protéger les salariés des plus petites. Le cadre législatif se veut large. La victime potentielle peut être aussi bien une femme qu’un homme. Et son persécuteur être un chef, un collègue, un client… En théorie, le dispositif devrait dissuader un grand nombre de harceleurs. Pourtant, les experts de l’agence gouvernementale Equal Employment Opportunity Commission estiment que les discriminations en tout genre sont des « problèmes tenaces ».

Complexité

L’an dernier, un tiers des 90 000 cas signalés à l’organisme relevaient du harcèlement. Et parmi ceux-ci, 45 % étaient classés sexuels. « Nous avons affaire à des comportements individuels. Plus les intéressés ont du pouvoir, plus ils l’utilisent. Cela ne disparaîtra pas », note Amy Oppenheimer. Sa consœur Patricia Barnes insiste, elle, sur la complexité des démarches. « La procédure est très compliquée. Ce sont les mots de la victime contre ceux de l’accusé. Ce n’est pas facile pour le juge de savoir quand on bascule d’une incivilité mineure vers un harcèlement sérieux. Trop souvent le harceleur souffre peu des conséquences quand la victime, elle, perd son emploi », explique l’avocate, auteure de Surviving Bullies, Queen Bees and Psychopaths at the Workplace.

À l’inverse de la France, il existe, certes, quelques cas célèbres aux États-Unis qui se sont conclus par des amendes record. En 2011, une employée d’Aaron’s Rent to Own, sur laquelle son chef s’était masturbé, a ainsi obtenu 40 millions de dollars. Un an plus tard, l’assistante des chirurgiens en cardiologie du Mercy General Hospital de Sacramento a reçu 168 millions de dollars. Pendant des années, les praticiens lui avaient parlé sexe crûment. Elle avait alerté par écrit 18 fois les RH, en vain, avant d’être licenciée par son chef de service à qui elle avait demandé d’intervenir.

Mais, pour une poignée d’histoires exemplaires, combien de simples tapes sur les doigts ? Même Roger Ailes, de Fox News, s’en est sorti avec 40 millions de dollars d’indemnités de départ ! Pour l’instant tout au moins, la justice suivant son cours… Pour avoir un impact sur le harcèlement sexuel, il faut mettre en place des politiques préventives en entreprise, conseille Amy Oppenheimer. « Il faut institutionnaliser un code de conduite clair et être sûr que la direction soutient l’initiative », affirme-t-elle. La prévention peut effectivement se révéler efficace, confirme Patricia Barnes. Et celle-ci de citer l’ultimatum lancé par de grands acheteurs, tels McDonald’s et Walmart auprès… des cultivateurs de tomates. Désormais, ils ne travailleront plus qu’avec ceux armés d’un code de conduite. Une initiative qui pourrait s’étendre à d’autres secteurs.

Auteur

  • Caroline Crosdale