Après l’arrêt du 25 novembre 2015 annonçant la remise en cause de la notion d’obligation de sécurité de résultat, voici la suite prévisible déclinée pour le harcèlement moral. La solution est hélas conforme au pronostic de ma dernière chronique. En effet, par une décision du 1^er juin 2016, la Cour de cassation vient de faire disparaître le régime de responsabilité sans faute qui pesait sur l’entreprise en matière de harcèlement moral.

Mettre à mal un régime de protection de la santé des salariés construit par quelques grands arrêts rendus entre 2002 et 2006 n’a guère de sens. D’abord parce qu’on ne lui a pas laissé le temps d’acquérir la maturité nécessaire, ensuite parce que ce revirement répond en réalité à une revendication patronale qu’on peut résumer ainsi : l’entreprise n’aurait pas intérêt à prévenir le risque car elle serait quand même condamnée si celui-ci se réalise.

Un tel raisonnement est vicié. Comment peut-on imaginer qu’en exigeant moins de l’entreprise elle en fera plus pour la santé des salariés ? Depuis près de vingt ans, ceux-ci, toutes catégories confondues, travaillent dans des conditions de plus en plus difficiles : intensification de la charge physique ou mentale, augmentation des horaires, envahissement de la sphère privée, solitude, standardisation des méthodes, éclatement des collectifs, absence de soutien de la hiérarchie intermédiaire, perte d’autonomie… Chacun le sait, le terreau des situations de harcèlement moral est là. Ce n’est pas le pervers narcissique qui est à la manœuvre ! Le harcèlement moral est avant tout le résultat de facteurs que l’entreprise et ses dirigeants sont seuls à maîtriser, voire à orchestrer.

Construire une solution jurisprudentielle qui s’accommode d’une prévention cosmétique risque de laisser les salariés bien démunis face à un système qui les broie. Comme elle est claire, la clause d’interdiction du harcèlement moral dans le règlement intérieur ! Comme elle est sérieuse, la procédure d’enquête interne en cas de signalement ! Comme elles sont alléchantes, ces formations des managers !

Mais la vitrine sera jolie. Et puis, promis juré, les harceleurs seront licenciés par l’employeur qui pourra ainsi se dédouaner ! Et tant mieux si ce sont les exécuteurs de basses œuvres qui sont montrés du doigt : là-haut, la direction fabrique des politiques de prévention !