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Les administratrices prennent leurs marques

Décodages | publié le : 03.09.2016 | Valérie Auribault

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Les administratrices prennent leurs marques

Crédit photo Valérie Auribault

Bien mais peut mieux faire. Ainsi va la parité dans les sphères dirigeantes des grandes entreprises. Si les compétences et l’engagement des femmes ne sont plus à démontrer, les stéréotypes et habitudes ont la vie dure.

L’état des lieux est contrasté. À quatre mois de la date butoir fixée par la loi Copé-Zimmermann, qui prévoit 40 % de femmes au sein des conseils d’administration à l’horizon 2017, les entreprises sont encore loin du compte. Certes, leur part a triplé entre 2009 et 2015 dans les conseils des entreprises du CAC 40. On en compte ainsi 34 % aujourd’hui, selon une évaluation du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes et du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP). Mais, toutes entreprises cotées confondues, le chiffre tombe à 27,8 % des sièges. Et même à… 14,2 % dans les 400 sociétés non cotées également concernées par la loi.

D’ici à la fin de l’année, 1 265 mandats d’administratrices sont ainsi à pourvoir, en théorie, dans les entreprises privées visées par la loi. « Souvent, les entreprises ont une méconnaissance de la loi », déplore Brigitte Grésy, secrétaire générale du CSEP. D’autres dirigeants, au contraire bien informés, adoptent des stratégies de contournement. Par exemple en changeant le statut juridique de l’entreprise ou en diminuant le nombre d’administrateurs. Et pour cause, au-dessous de huit, ils échappent à l’obligation légale ! D’autres, enfin, justifient leur manque de mixité par un vivier trop réduit de dirigeantes, qui rend les recrutements ardus.

De plus, les vieilles habitudes ont la peau dure. Les patrons de grande entreprise, essentiellement masculins, ont coutume de sélectionner par cooptation. « Les conseils d’administration restent l’espace suprême de direction de l’entreprise, rappelle Sarah Saint Michel, maître de conférences à la Sorbonne et coauteure d’Hommes, femmes, leadership : mode d’emploi (éditions Pearson, 2016). Plus on monte dans la hiérarchie, moins il y a de femmes. Les stéréotypes restent bien présents. Plus que jamais, les modèles de leadership sont à repenser pour en finir avec l’hégémonie de l’homme blanc âgé de 40 à 60 ans. »

Les entreprises qui s’emparent de cette problématique ont souvent un objectif économique. « Celles-ci ont compris l’enjeu de la diversité et de la complémentarité. Face aux nouveaux challenges de l’économie globale, il apparaît nécessaire d’avoir des collaborateurs à multiples facettes », souligne Anne Saüt, directrice générale du cabinet Diversity Conseil. Les femmes ont la réputation de prendre leur mandat très au sérieux. Ce qui les incite à se former. En 2015, 56 % des certifiés de l’Institut français des administrateurs (IFA) étaient des femmes. « Du coup, les hommes font de même. Ainsi, les conseils d’administration se professionnalisent », remarque-t-on à l’IFA.

Souffle nouveau.

Les cabinets de chasse de têtes tels Russell Reynolds Associates, Heidrick & Struggles ou Aliath mettent en exergue les qualités professionnelles des femmes pour ce type de poste. Celles-ci seraient ainsi plus sensibilisées au numérique et feraient preuve de plus de lucidité sur les questions d’e-réputation. « Si Kodak avait eu des administratrices et non des pachydermes englués dans leurs convictions, l’entreprise serait encore debout », ironise Lucille Desjonquères, cofondatrice du cabinet Leyders Associates. Leur appétence pour les questions liées à la RSE et à la gestion des risques dans les pays émergents serait aussi un atout. De quoi apporter à la fois expertise et souffle nouveau aux instances dirigeantes. « En mai dernier, nous avons accueilli notre troisième administratrice. Les femmes ont davantage une vision à long terme, c’est un plus », se félicite Bruno Paillard, P-DG du groupe Lanson-BCC. L’homme a choisi sa fille, Alice, pour lui succéder à la tête de la société Champagne Bruno Paillard.

Dans leur longue marche vers les conseils d’administration, les dirigeantes sont aujourd’hui freinées par leurs parcours. Car peu d’entreprises se risquent à diversifier les profils lorsqu’il s’agit de revoir la composition de leur instance de direction. « Les femmes qui parviennent à décrocher leur premier mandat d’administratrice ont plutôt un profil de directrice générale ou financière », souligne Anne Vaucheret, présidente de Horatio Conseil, qui a suivi la formation d’administratrice prodiguée par l’Essec. Et l’ancienne DRH groupe de Publicis de poursuivre : « C’est beaucoup plus difficile pour les spécialistes des RH ou de la communication, malgré les enjeux sur ces thèmes. Ces profils différents, qui apporteraient une vraie richesse, ne sont pas prioritaires. Nous sommes confrontées aux mêmes stéréotypes que lors d’un recrutement classique où les parcours sont encore souvent formatés. »

Également certifiée Essec, Dominique Druon, fondatrice du cabinet Aliath et administratrice indépendante des groupes April et Le Bélier, a décidé d’accompagner les présidents d’entreprise pour changer cette vision de la gouvernance. « Il faut des choix assumés. Un président qui choisit une administratrice avec une expérience dans le digital doit vanter ses mérites auprès des autres administrateurs afin qu’elle puisse s’intégrer rapidement, explique-t-elle. En même temps, les femmes doivent cesser de se mettre la pression. Même s’il n’est pas aisé de faire ses premiers pas dans un conseil. »

L’appui des réseaux.

Et pour réussir, les femmes s’en donnent les moyens. Autrefois absentes des réseaux, elles les ont largement investis ces cinq dernières années. Vox Femina, Financi’elles, Les Pionnières, Women’s Forum… des structures à leur intention se sont constituées par secteur ou par métier. Sans oublier celles internes aux grands groupes. « Le réseau m’a permis d’échanger sur mes envies, mes zones d’intérêt, et de faire savoir que je souhaitais être actrice d’une aventure collective. Il faut donc le cultiver. Mais il est préférable que ce réseau soit mixte. Nous ne pouvons pas faire sans les hommes », prévient Guylaine Dyevre, administratrice chez Rémy Cointreau, Thales et Veolia Eau. Certifiée IFA, la dirigeante se montre optimiste quant à la présence des femmes dans les conseils. « Les entreprises ont pris conscience de l’importance de diversifier les profils. Les femmes font de plus en plus entendre leur voix et les chasseurs de têtes les recrutent. La loi et les centres de formation font bouger les lignes, l’énergie est collective », assure-t-elle. Et payante ? En juin, une étude du Centre européen de droit et d’économie de l’Essec a classé la France dans le trio de tête des pays européens pour la place des femmes dans les boards des entreprises cotées, derrière la Norvège et devant la Suisse.

« La féminisation entraîne une modification de certains paradigmes, souligne Viviane de Beaufort, professeure à l’Essec et experte en gouvernance. Il s’agit plus d’un pouvoir pour faire, exercé collectivement, que d’un pouvoir exercé pour ses attributs. Les femmes ont un sens aigu de l’intérêt général, de leur responsabilité et une exigence éthique importante. Elles n’hésitent pas à poser des questions, à s’opposer à ce qu’elles considèrent comme non conforme à leurs convictions. Tout ceci améliore le fonctionnement des conseils. »

Bousculant le conformisme poussiéreux des sphères dirigeantes, les femmes font donc avancer les entreprises. Pour autant, une étude Eurostat de 2013 souligne la disparité des salaires entre les administrateurs (88 800 euros) et les administratrices (76 100 euros). Des écarts à prendre avec des pincettes, selon Viviane de Beaufort. « Lorsque vous êtes primo-accédant au sein d’un conseil, que vous soyez homme ou femme, il est normal d’avoir une période d’apprentissage et la rémunération afférente. Les premières administratrices de 2011-2013 commencent tout juste à s’emparer de la présidence de comités. Pour savoir s’il y a discrimination sur les rétributions, attendons de voir comment elles évolueront au cours des trois prochaines années. »

Auteur

  • Valérie Auribault