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Laurent Allard discipline la folle croissance d’OVH

Décodages | publié le : 03.09.2016 | Sabine Germain

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Laurent Allard discipline la folle croissance d’OVH

Crédit photo Sabine Germain

En quinze ans, la petite start-up est devenue le leader européen des infrastructures Internet. Laurent Allard, son nouveau directeur général, a pour mission d’en faire un champion mondial tout en préservant son esprit start-up et do it yourself.

Si les fées du storytelling s’étaient penchées sur le berceau d’OVH, elles en auraient fait une saga comme la Silicon Valley sait en produire. Mais Roubaix est aux antipodes de Palo Alto et la friche industrielle investie par le leader européen des infrastructures Internet manque sérieusement de palmiers. Le parcours de son fondateur vaut pourtant les plus belles légendes du numérique : né il y a quarante et un ans en Pologne, Octave Klaba débarque dans le Nord à 16 ans. Quatre ans plus tard, encore étudiant à l’Icam de Lille, le jeune geek crée OVH : ce nom est-il l’acronyme d’« on vous héberge », en référence à son activité, ou d’« Oles Van Herman » son pseudo de joueur en ligne ? Octave Klaba entretient le mystère. Mais il a fendu l’armure en juin 2015, quand son entreprise a passé le cap du millier de salariés. « 1 000, c’est juste dingue. En 1999, j’ai démarré seul dans un bureau », tweetait-il alors.

Son ex-start-up n’en finit plus de grandir : avec 17 data centers (hébergeant plus de 1 million de serveurs) et un réseau de fibre optique d’une capacité mondiale de 4 térabits par seconde, OVH cible aujourd’hui les grandes entreprises pour déployer les offres d’hébergement, de messagerie, de stockage et de cloud qui ont fait un carton auprès des PME. Mais le groupe doit se structurer pour maîtriser son développement, attirer les talents et leur donner de véritables perspectives de carrière tout en préservant sa culture du « fait maison ». C’est la mission de Laurent Allard, le directeur général recruté en février 2015.

Au rythme de 200 embauches par an, le siège roubaisien passera de 750 salariés à 1 500 en 2020. Avec deux types de geeks : les équipes de développement informatique d’un côté et les conseillers clientèle de l’autre. Auxquels s’ajoute une centaine de personnes à l’hébergement – en majorité des opérateurs et des techniciens chargés de la fabrication des serveurs et du positionnement dans les data centers – et 250 aux fonctions support. Les « OVH cities » de Brest, Rennes, Lyon, Strasbourg et Toulouse connaîtront le même rythme de croissance. Ces sites de 20 à 40 personnes implantés dans des villes universitaires, près des réservoirs de talents, porteront le solde net du groupe à 250 recrutements par an.

Attirer les talents

Employeur phare du Nord, OVH doit maintenant se faire connaître du grand public. « Nous avons besoin de développer notre marque employeur pour faire savoir que nous proposons tous types de métiers pour tous types de profils, de l’autodidacte au bac + 8 », indique Antoine Tison, son DRH. Inutile d’aller chercher les geeks : ils sont déjà acquis à la cause. En revanche, les marketeurs et les commerciaux connaissent encore mal cette entreprise qui ne reçoit « que » 5 500 candidatures par an (contre 1,2 million pour L’Oréal). « Mon discours aux candidats est simple : vous aurez un boulot passionnant dans une entreprise innovante et en forte croissance, avec une vraie culture du bien-être au travail », détaille le DRH. Ajoutons : une entreprise jeune (32 ans d’âge moyen), sévèrement « testostéronée » (85 % d’hommes, ce qui n’a rien d’anormal dans ce secteur) avec des salariés passionnés (un taux d’engagement supérieur à 90 % d’après le baromètre social de la fin 2015) et un turnover d’à peine 1 %.

Dans la maison, engagement rime avec exigence, mais aussi avec bienveillance. « En termes de bien-être au travail, nos plateaux téléphoniques n’ont rien à voir avec ceux des prestataires chez qui j’ai débuté, apprécie Jérôme Boroch, responsable du service client. Ici, on ne m’a jamais parlé de la fonction support client comme un poste de coût. Si un appel doit durer vingt minutes parce que le client est mécontent, ce n’est pas un problème. » On peut aussi parler de la salle de sport, de la cantine gratuite, de la maison de santé, de la participation et du treizième mois. Et même de la présence d’un chief happiness officer, un psychologue de l’Afpa embauché pour suivre la gestion des carrières… Sans oublier les salaires, légèrement supérieurs à la moyenne du secteur. « OVH a la réputation de mal payer, relève Antoine Tison. Car nous refusons de surpayer les geeks, comme le font les Google, Amazon et Microsoft. Mais j’ai commandé un benchmark pour en avoir le cœur net : nous sommes 10 à 20 % au-dessus de la moyenne. Un développeur junior, par exemple, gagne 7 000 à 8 000 euros de plus par an que chez nos concurrents. »

Structurer sans figer

Il a fallu attendre 2015, alors qu’OVH approchait les 1 000 salariés, pour qu’Octave Klaba se décide à recruter un directeur général et un DRH. Avant, toutes les commandes étaient aux mains de la famille, avec papa Henryk à la présidence, maman Halina aux finances, petit frère Miroslaw à la recherche et au développement et Stéphanie (épouse d’Octave) à la communication. Révolution en février 2015. Octave Klaba se recentre alors sur la recherche et l’innovation, en qualité de chief technical officer, tout en gardant la présidence du conseil d’administration. Après avoir emprunté 265 millions d’euros début 2014, il ouvre cette année le capital de l’entreprise familiale. Mi-août, il annonçait avoir conclu ses discussions avec les fonds KKR et TowerBrook par une levée de fonds de 250 millions d’euros pour financer son développement international.

Dire que Laurent Allard, le DG, et Antoine Tison, le jeune DRH, ont les coudées franches serait excessif. Mais ils croient en la vision d’Octave et sont fascinés par sa capacité à impulser le changement. « Début décembre, nous avons imaginé une nouvelle organisation en crayonnant le schéma des business units sur les murs blancs de notre salle de réunion, confie Antoine Tison. Le soir, Octave a pris le mur en photo. C’était un vendredi. Le lundi, nous avons lancé la réorganisation ; fin janvier, elle était achevée. »

Structurer, oui, mais en accompagnant la croissance. « Il faut accepter l’idée que chaque organisation est périmée au bout de trois à six mois », assène Antoine Tison, qui a pris soin, dès son arrivée, de resserrer quelques boulons. Son premier grand chantier ? L’unification du statut des salariés, jusqu’alors employés par plusieurs entités relevant de sept conventions collectives différentes. « Nous les avons regroupés dans une seule société en choisissant la convention collective de la métallurgie. Celle-ci couvrait déjà un tiers des salariés et s’avérait plus généreuse que celle du Syntec », explique Antoine Tison. Le tout sans faire appel aux syndicats. OVH en est dénué, tous les élus étant sans étiquette.

« On a été formés au fonctionnement du CE et à celui du CHSCT mais on n’a jamais ressenti le besoin de se syndiquer, note Ludovic Haynau, 32 ans, responsable d’exploitation des quatre data centers de Roubaix et membre du CHSCT. Ici, dès qu’un manager juge nécessaire d’investir dans la sécurité, il peut engager la dépense de façon autonome. » OVH, terre d’antisyndicalisme ? Non, assure Marianne Herveou, assistante à l’OVH city de Brest et élue au CHSCT. « S’il fallait des syndicats, il y en aurait. Le dialogue social est réel mais se fait de façon très naturelle. En général, quand on demande quelque chose, on l’a. » À commencer par la formation. « Si je sens qu’un téléconseiller monte en stress, je peux lui faire intégrer un dispositif en moins de quinze jours, indique Jérôme Boroch, du service client. OVH présente un catalogue de formations que je n’ai jamais vu ailleurs. »

Assez logique dans une entreprise ayant pour slogan Innovation is freedom… Avec 2,4 millions d’euros cette année, son budget formation pèse 5 % de la masse salariale. Il a notamment servi pour créer un campus, inauguré cette année par Emmanuel Macron. Les enjeux ? Mieux intégrer les nouveaux collaborateurs, créer un parcours spécifique (14 modules sur six mois) pour 150 managers et, surtout, mettre en place de véritables évolutions de carrière. « Les effectifs ont doublé en quatre ans, souligne Antoine Tison. Ceux qui nous ont rejoints il y a trois ou quatre ans ont besoin d’évoluer. Nous sommes en train d’instaurer une bourse d’emplois et de créer des fiches de postes afin de les transformer en référentiels de compétences. » Le gros chantier de l’année.

Rester unique

Montés sur roulettes pour suivre les réorganisations d’OVH, les bureaux du site roubaisien ont une autre particularité : ils sont entièrement conçus et fabriqués sur place. « Nous en sommes à la sixième version, précise Jérôme Boroch. La conception des bureaux évolue en fonction des feed-back des utilisateurs. » « Intégration verticale » et « itération » sont dans les gènes d’OVH qui a, dès le début, pris le parti de concevoir et de construire ses serveurs. Ingénieur mécanicien et bricoleur de génie, « Monsieur Klaba », comme tous les salariés appellent respectueusement Henryk, a inventé le système de refroidissement des data centers par free cooling. Ce qui a permis une baisse radicale des dépenses d’énergie. Depuis, OVH cultive son esprit do it yourself : serveurs, logiciels, communication, recrutement, service client, repas servis à la cantine… tout, tout, tout est fait maison.

Quitte à ne pas « faire bien » immédiatement dans un secteur où il est primordial de faire la course en tête. « Ici, tout va très vite, explique Héloïse Kaddour, responsable marketing opérationnel, entrée chez OVH comme stagiaire il y a sept ans. Quand on lance un produit, on sait qu’il ne sera pas parfait. Mais on s’adapte, on teste et on éprouve. » Ce que confirme Muriel Bougeant, cadre senior recrutée l’an passé pour diriger le contrôle de gestion. « Ça décoiffe mais j’adore cette énergie ! Cette volonté d’aller vite peut certes avoir son écueil, car on sort des produits qui ne sont pas parfaits du premier coup. Mais on travaille par itération pour les améliorer. Ça permet d’innover et de prendre position. » Et, mieux encore, d’inscrire les salariés dans une aventure globale. À l’heure où le travail manque souvent de sens, c’est sans doute là que se niche le secret de la maison OVH.

En chiffres

1 200 SALARIÉS dont 900 en France.

250 MILLIONS D’EUROS de chiffre d’affaires en 2015, 1 milliard d’euros prévu en 2020.

400 MILLIONS D’EUROS d’investissements sur trois ans.

Source : OVH.

Auteur

  • Sabine Germain