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Armée et entreprises au front contre le décrochage scolaire

Décodages | publié le : 03.09.2016 | Emmanuelle Souffi

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Armée et entreprises au front contre le décrochage scolaire

Crédit photo Emmanuelle Souffi

Formation à l’appui, le service militaire volontaire accompagne des décrocheurs vers le marché du travail. En lien avec les employeurs. Sept jeunes sur dix s’intègrent ensuite dans la vie active.

Boubacar* a la fierté modeste. Pourtant, il revient de loin. Lui qui avait un niveau scolaire ne dépassant pas la sixième s’apprête à signer son premier contrat de travail chez Securitas. Comme huit autres, il a décroché son certificat de qualification professionnelle d’agent de prévention et de sécurité. Hana Vole, présidente d’Amphia, un organisme de formation qui l’a accompagné pas à pas durant trois mois, est la première à s’en réjouir. « Il était persuadé de ne pas être capable d’y arriver. Et aujourd’hui, il redresse la tête », s’enthousiasme cette femme au dynamisme contagieux.

C’est l’un des nombreux miracles du service militaire volontaire (SMV) : redonner confiance à des jeunes qui ne croyaient plus en rien et surtout pas en eux-mêmes. Instauré par François Hollande après les attentats de janvier 2015, il s’adresse à ceux qu’on appelle des décrocheurs (150 000 recensés par an). Objectif ? Remettre en selle des jeunes âgés de 18 à 25 ans, peu ou non qualifiés, en leur offrant un accompagnement cousu main tant comportemental que professionnel.

D’ici à septembre 2017, 1 000 jeunes comme Boubacar vont bénéficier de ce soutien hors pair. Après une sélection opérée par les missions locales, ils sont intégrés durant six à douze mois dans l’une des trois bases militaires dédiées au SMV. Sur 215 candidats retenus en 2015, 97 volontaires ont été incorporés en novembre. Marseillaise, uniforme, réveil à 5 heures… Leur vie est réglée comme du papier à musique. Eux qui, avant, vivotaient avec leurs copains sans cap précis apprennent à se dessiner un autre avenir. Car l’ambition du SMV est clairement de favoriser l’insertion. Le recrutement se fait sur la base d’un projet professionnel. L’armée a défini quatre filières ou entreprises (BTP, SNCF, Euro Disney, surveillance) correspondant aux besoins locaux et à des secteurs qui recrutent. Pour leur offrir des portes de sortie auxquelles ils n’avaient pas pensé ou qu’ils ne s’étaient pas autorisés à envisager.

Si Boubacar a choisi de devenir agent de sécurité, d’autres ont visé la logistique. À Metz, PSA Trémery est le seul site à intégrer pour l’instant des SMV. La proximité de la base militaire de Montigny-lès-Metz n’y est pas pour rien. Elle vient compléter une sérieuse envie de donner un coup de pouce. « On se sent utile, on est très fier de pouvoir aider ces jeunes », affirme le DRH du pôle industriel, Édouard de Martène. Ils sont neuf, dont deux filles, à avoir passé onze semaines à se former à la sécurité, à la qualité et à la conduite de chariot élévateur. Tous ont passé leur certificat d’aptitude à la conduite en sécurité. « L’armée a tout organisé en trois semaines. Elle a été à l’écoute de nos attentes, les relations sont très fluides alors que nous venons de deux mondes différents », relève le DRH.

Débouchés.

C’est aussi cela, la force de ce dispositif hors norme : construire des ponts pour éviter que les exclus du système scolaire ne se précarisent, alors qu’il existe des débouchés dans des métiers non pourvus. Une dizaine d’entreprises s’investissent. Euro Disney a formé 14 jeunes puis en a embauché quatre en CDI et neuf en CDD. Sur 48 candidats, la SNCF en a retenu 39 pour les former à la sécurité ferroviaire, à la maintenance des voies, à la sûreté ou au commercial. Tous sont embauchés sous le statut de cheminot, avec les avantages y afférents. « En temps normal, seul un sur huit est sélectionné. Mais leur comportement, posé, a impressionné », précise le lieutenant-colonel Guéguen, détaché à l’animation du dispositif.

Début juin, Jean-Yves Le Drian a réuni au ministère de la Défense une quarantaine de dirigeants d’entreprise (Cisco, Atos, Dassault…) pour faire la promotion du SMV. Guillaume Pepy, le patron de la SNCF, a décrit ces jeunes « au regard droit ». « Un service public est perméable au ressenti des Français. Or, aujourd’hui, il y a un vrai besoin de lien social. C’est un dispositif qui redonne des raisons d’espérer », observe Stéphane Volant, secrétaire général de la SNCF. Un grand fan du SMV, qui compte recruter 50 jeunes de plus. Sans la remise à niveau de l’armée, ces décrocheurs n’auraient jamais eu leurs chances dans ces groupes. « Si on les avait pris directement en intérim, je ne suis pas sûr que la moitié aurait été encore là au bout de deux jours », estime Édouard de Martène.

Matin et soir, ce sont donc des militaires qui accompagnent les recrues sur le site. Impossible pour ces dernières, qui évoluaient pour la plupart en dehors de tout repère, de faire l’école buissonnière ! Certains jeunes étaient même SDF. Se mettre dans le moule de l’entreprise ne va pas de soi. Il a fallu leur apprendre les codes et rituels. « Le baggy, la capuche, ça correspond à la vie dans le quartier. Au travail, c’est le pantalon, la cravate. Beaucoup se sentent en dehors de la société, il faut leur montrer qu’ils y ont une place et ils la prendront », affirme le général Pillet, commandant du SMV.

PSA Trémery a mis en place un tutorat plus long, de dix semaines, pour les accompagner. Leurs coachs ont eux aussi été formés. « On était un peu inquiets de l’image qu’ils pouvaient avoir de ces jeunes », confie le DRH. Ils ont donc passé une matinée au centre de Montigny-lès-Metz. « Ils ont été très impressionnés de les voir se mettre au garde-à-vous dès que quelqu’un entrait dans la pièce ! » poursuit-il. Dans les organismes de formation, la pédagogie a aussi été adaptée. « Maintenir leur attention durant sept heures, c’est loin d’être évident », justifie Hana Vole.

Permis de conduire.

Pour les heureux élus, la motivation est à la hauteur de la revanche à prendre. « Mon comportement a complètement changé, je suis plus à l’écoute. À l’école, il n’y avait pas vraiment de but. Là, derrière, je sais que j’aurai un travail », témoigne Nicolas, qui veut devenir agent de sécurité. Pour accroître leur employabilité, tous passent le certificat de secouriste sauveteur du travail (84 % de taux de réussite) et le certificat de formation générale (91 %). Ainsi que le permis de conduire, indispensable sésame pour rechercher un emploi. Des qualifications appréciées par les futurs employeurs de ces jeunes à 42 % sans diplôme.

Entre septembre et novembre, 150 nouveaux volontaires prendront le relais. Pour l’heure, le budget (40 millions d’euros émanant de la Défense) est assuré jusqu’en 2017. Mais pas pour la suite. Avec un taux d’insertion de 70 %, il serait dommage qu’un tel marchepied fasse les frais d’une alternance politique ou de coupes budgétaires.

Repères

1 000

C’est le nombre de jeunes bénéficiant du service militaire volontaire, dont un tiers de filles.

21 ANS

C’est leur âge moyen.

42 % n’ont aucun diplôme.

46 % le font pour trouver un emploi.

Source : ministère de la Défense.

* Le prénom a été changé.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi