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La grosse fatigue des agents pénitentiaires d’insertion

Décodages | publié le : 03.06.2016 | Lou-Ève Popper

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La grosse fatigue des agents pénitentiaires d’insertion

Crédit photo Lou-Ève Popper

Depuis des mois, les conseillers d’insertion et de probation tirent la sonnette d’alarme. Sous-effectifs, surcharge de travail, indemnités insuffisantes, insécurité, les raisons de leur mécontentement sont nombreuses.

« Notre administration nous méprise », « Nous sommes invisibles »… Tels sont les principaux griefs du mouvement social qui, depuis février, agite sur tout le territoire les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (CPIP). Selon les syndicats, près de 80 % de la profession est actuellement mobilisée pour réclamer une revalorisation indemnitaire et statutaire ainsi qu’un plan de recrutement, inscrit dans la loi de finances 2017. Des revendications que le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, a récemment qualifiées de « légitimes ». Contactée à plusieurs reprises, la direction de l’administration pénitentiaire n’a, en revanche, pas souhaité répondre à nos questions. En décembre, cette dernière a pourtant accordé aux surveillants une revalorisation pour les encourager à lutter contre la radicalisation. Mais sans en faire bénéficier les CPIP, alors même qu’ils ont été largement mobilisés depuis les attentats de 2015 dans le cadre du plan de lutte antiterroriste.

Méconnus du grand public, ces travailleurs sociaux pénitentiaires n’en constituent pas moins le fer de lance de la prévention de la récidive, eux qui sont au contact direct des personnes condamnées. Leur mission ? Les contrôler et les assister dans leur retour à la vie civile. En prison, ces agents de terrain accompagnent les détenus dans leurs projets de sortie. Dehors, en milieu ouvert, ils assurent le suivi de ceux qui bénéficient d’un aménagement de peine (libération conditionnelle, semi-liberté, bracelet électronique, placement extérieur). Et de ceux condamnés à des peines alternatives à l’incarcération (sursis avec mise à l’épreuve, contrainte pénale ou travail d’intérêt général). En raison de leur proximité avec les personnes sous main de justice, les CPIP sont ainsi sollicités par les services de renseignement pénitentiaire afin de repérer les personnes radicalisées. Certains d’entre eux ont également été affectés aux récentes unités dédiées à la déradicalisation, dans lesquelles ils participent à l’évaluation de la dangerosité des détenus et à la mise en place d’un suivi intensif.

De nouvelles tâches qui s’ajoutent à toutes les autres, dont le nombre enfle au gré des réformes pénales. Instruction des demandes croissantes d’aménagements de peine, animation de groupes de parole, expérimentation de nouveaux outils d’évaluation [voir encadré], mise en place de la contrainte pénale… N’en jetez plus ! Les CPIP sont las de voir leur charge de travail augmenter sans recevoir aucune reconnaissance. « On ajoute sans cesse des missions, sans jamais rien nous donner en retour », dénonce Romain*, conseiller en milieu ouvert dans l’Essonne et syndiqué à l’Ufap Unsa.

« Jetés en pâture ».

Les 3 250 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation suivent actuellement quelque 250 000 individus. Subissant les effets de la surpopulation carcérale et la forte hausse des mesures en milieu ouvert (+ 44 % entre 2004 et 2011), ils ont, en moyenne, la charge de 82 dossiers. Mais, selon les services et les périodes, ce nombre peut varier de 60 à 250 ! Pourtant, les normes européennes stipulent que, pour mener à bien leurs missions, ces travailleurs ne devraient suivre qu’une soixantaine de personnes. Pour pallier ces difficultés, la réforme pénale de Christiane Taubira prévoyait d’embaucher, entre 2014 et 2016, 660 conseillers supplémentaires. Cependant, d’après l’intersyndicale, l’administration pénitentiaire vient de reconnaître que le plan triennal de recrutement ne sera pas respecté. « Il manquera 100 à 200 postes à la fin de l’année », précisent les syndicats. Et ceux-ci d’ajouter que ces nouveaux postes ne suffisent pas à couvrir les départs à la retraite, les démissions et les détachements. « Il faudrait doubler les effectifs pour parvenir aux standards européens », signale Olivier Caquineau, secrétaire général du Snepap FSU.

Si les CPIP croulent sous les dossiers, particulièrement en Ile-de-France, c’est aussi en raison du système de « préaffectation ». Depuis 2006, la seconde année de formation des élèves de l’École nationale d’administration pénitentiaire (Enap) se résume en effet en un long stage au sein d’un service pénitentiaire. Problème : à cause du manque d’effectifs, les stagiaires exécutent le travail des titulaires, qu’ils remplacent notamment lorsque ces derniers partent à la retraite ou démissionnent. À Fleury-Mérogis, la situation est particulièrement critique. Sur un effectif total de 50 conseillers, 27 sont stagiaires. Résultat, les titulaires réalisent parfois des journées de travail de douze heures. « Des heures supplémentaires réalisées bénévolement », précise Morgane Denoual, de l’Ufap Unsa. En avril, le ministre de la Justice s’est fermement engagé devant les syndicats à mettre fin à ces préaffectations.

Encore faut-il passer aux actes. Dans l’urgence, l’administration en est pour l’instant réduite à recruter des contractuels, qui manquent cruellement de formation. « C’est simple, précise Émilie Bidet, de la CGT Insertion probation. Soit nous sommes chanceux et le contractuel est un éducateur ou une assistante sociale. Soit nous récupérons des jeunes à peine sortis de l’université. Pour certains, il s’agit de leur premier emploi et ils se voient jetés en pâture. C’est d’une violence hallucinante. »

Expertise précieuse.

Conséquence de l’évolution du métier et de la crise, le profil des conseillers a évolué. Bien que le concours à l’Enap requière un diplôme de niveau bac + 2, plus de la moitié de la promotion 2015 possède un niveau bac + 4, voire + 5. De quoi donner des arguments aux syndicats, qui estiment que les CPIP ne devraient pas relever d’une catégorie B surindiciarisée mais de la catégorie A. De quoi, aussi, pousser les intéressés à réclamer une rémunération plus élevée. En début de carrière, ils perçoivent un salaire mensuel net de 1 658 euros, primes incluses, qui peut grimper au fil des ans jusqu’à 2 869 euros.

Si les CPIP estiment ne pas être reconnus à leur juste valeur, c’est qu’ils pilotent des projets ambitieux, faisant parfois intervenir jusqu’à six partenaires institutionnels pour l’accès au logement, aux soins, à la formation ou bien au travail. Depuis plusieurs années, ils animent également des groupes de parole à destination des délinquants sexuels ou des toxicomanes. Ils sont aussi sollicités pour participer à des groupes de travail divers et variés, leur expertise en matière d’exécution des peines s’avérant précieuse. À Paris, Émilie Bidet a, par exemple, planché avec ses collègues sur un « guide pratique de la contrainte pénale », la mesure phare de la loi Taubira. Des travaux qui ont ensuite été communiqués à tous les services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) franciliens. « Les conseillers, assure-t-elle, disposent d’une grande autonomie dans l’organisation de leur travail. Ils sont aussi amenés à faire des propositions à leur hiérarchie. »

En 2008, la prévention de la récidive a été érigée en mission principale. « La politique actuelle vise à vider les prisons. Nos chefs nous demandent de valider des projets d’aménagements de peine en un temps record, tout en assurant notre mission de prévention de la récidive. Ce n’est pas compatible », dénonce Lydie*. Écœurée de n’avoir plus le temps de « faire un travail de qualité », elle a quitté le métier pour exercer un autre emploi au sein de l’administration pénitentiaire. Une reconversion qui n’aurait rien d’exceptionnel. « Beaucoup se détournent de la profession. Ils regardent ailleurs, vers des concours plus prestigieux comme ceux des instituts régionaux d’administration ou de la magistrature », observe ainsi le cégétiste Antoine Davy.

Des psys à la rescousse.

Il incombe aux CPIP de faire connaître leur opposition à la sortie des détenus dont le projet n’est pas suffisamment solide. Leurs avis sont en effet pris en compte par les juges d’application des peines. Cette responsabilité importante peut les conduire à subir des pressions de la part des intéressés ou de leur famille. En milieu ouvert, les conseillers pénitentiaires ne connaissent pas ce type d’intimidation. Mais ils ne se sentent pas pour autant toujours en sécurité, les personnels de surveillance étant beaucoup moins nombreux qu’en prison. Ainsi, il leur arrive parfois de se retrouver face à des personnes alcoolisées, sous l’emprise de produits stupéfiants, voire en plein délire psychotique. Des situations d’autant plus tendues que le Spip représente l’institution vers laquelle renvoient tous les services sociaux.

Afin de permettre aux CPIP d’exercer leur métier dans de meilleures conditions, l’administration pénitentiaire a récemment engagé des psychologues vacataires au service des équipes. Ils ont pour mission d’encadrer la mise en place des groupes de parole et de superviser les personnels tout au long de leurs suivis. Une initiative saluée par la profession. « Cela peut nous aider à redonner du sens à notre travail. D’abord parce qu’il est très intéressant de parler avec quelqu’un d’extérieur à notre administration, ensuite et surtout parce que le psychologue nous aide à prendre de la distance. Il nous rappelle que nos prises en charge ne peuvent pas marcher à tous les coups. Et ça, personne dans notre administration n’ose le dire », témoigne Émilie Bidet, qui exerce en milieu ouvert. À l’occasion de la réforme pénale de Christiane Taubira, la direction de l’administration pénitentiaire avait annoncé un vaste plan de recrutement de psychologues, visant à en affecter un dans chacun des 103 Spip de France. Un projet encore inabouti. D’ici à 2017, « ce sont seulement 70 postes de psychologues qui devraient être pourvus », calcule Delphine Colin, secrétaire nationale de la CGT Insertion probation. Très insuffisant pour épauler quelque 3 250 conseillers qui exercent un métier ô combien difficile.

* Les prénoms ont été changés.

Des data pour évaluer les risques

Afin de mieux prévenir la récidive, Isabelle Gorce, la directrice de l’administration pénitentiaire, a décidé en 2014 de mettre en place six groupes de travail sur le thème « les métiers des Spip ». Parmi ces « recherches-actions », l’une portait sur les outils d’évaluation et les processus de sortie de la délinquance. Il s’agissait d’établir des grilles de mesure statistique pour catégoriser les personnes condamnées selon leur risque de récidive. Dans ce cadre, plusieurs facteurs de risque ont été retenus, tels les antécédents pénaux, l’emploi et la formation, les relations familiales, amicales et conjugales, les loisirs, la toxicomanie ou encore les tendances antisociales. Dans l’esprit de l’équipe de recherche, ces nouveaux outils devaient « éclairer divers aspects de la personne placée sous main de justice sans supplanter ni remplacer le jugement professionnel de l’évaluateur ». Cependant, certains conseillers gardent un souvenir amer de l’expérience. « Lorsque les chercheurs sont arrivés, raconte Émilie Bidet, l’un des participants, ils nous ont expliqué que notre jugement professionnel n’était pas structuré. Et que grâce aux nouveaux outils nous allions bénéficier d’un appui scientifique. C’était très vexant. Surtout pour ceux d’entre nous qui exercions ce métier depuis de longues années. » Mais cette conseillère en milieu ouvert relativise : « Je pense qu’il y a eu énormément de maladresses dans la manière dont le projet a été présenté. »

Auteur

  • Lou-Ève Popper