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Brexit : le patronat tait son amour des travailleurs étrangers

Décodages | publié le : 03.06.2016 | Tristan de Bourbon

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Brexit : le patronat tait son amour des travailleurs étrangers

Crédit photo Tristan de Bourbon

Les partisans de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ont fait des travailleurs d’Europe de l’Est une cible de choix. Contrairement aux employeurs, qui les plébiscitent. Mais ne le clament pas sur les toits.

Le débat sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) fait rage outre-Manche. Mais à quelques jours du référendum du 23 juin, bien malin qui peut dire avec certitude qui l’emportera. D’autant plus qu’une tendance lourde brouille les pistes : la grande majorité des électeurs ne votera pas selon sa perception des institutions bruxelloises et de leur bilan. Depuis des années, tous les sondages rapportent en effet une constante : les Britanniques ne s’intéressent pas à l’Europe. Celle-ci n’arrive ainsi qu’en 9e ou 10e place de leurs préoccupations, loin derrière l’emploi, l’éducation, la santé et surtout… l’immigration.

De quoi justifier que, sous la pression de l’opinion publique et du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, David Cameron ait avant tout cherché à obtenir de ses partenaires européens, lors des négociations des 18 et 19 février, la limitation de l’accès des travailleurs européens aux prestations sociales britanniques. Le Premier ministre ne visait évidemment pas les migrants français ou allemands, travaillant à la City. Mais bien les ressortissants d’Europe centrale et orientale, même s’il a soigneusement évité de les montrer du doigt. À l’issue des deux jours de sommet, la colère des chefs d’État polonais, tchèque, hongrois et slovaque a d’ailleurs confirmé que personne n’était dupe.

Si, dans la rue, les électeurs lambda se plaignent fréquemment de l’immigration venue des pays de l’ex-bloc soviétique, le gouvernement et les patrons évitent d’évoquer le sujet. Pendant la campagne, la Confédération des industries britanniques, l’équivalent du Medef, a ainsi refusé de nous donner son avis sur « les différents travailleurs européens ». L’Institut des directeurs, la plate-forme des PME, se montre, elle aussi, très prudente, en affirmant que « les employeurs ne regardent pas la nationalité des candidats, uniquement leurs qualifications ». « Seulement 4 % de nos membres disent que l’embauche de travailleurs étrangers est liée à une question de coût », fait savoir Seamus Nevin, son responsable de l’emploi. Les autres organisations, elles, restent bouche cousue. Hormis la Fédération de la nourriture et des boissons, qui qualifie les migrants de « vitaux » pour son activité.

Durs à la tâche

Cette frilosité du patronat est due à l’impopularité des thèses qu’il défend. Pas question pour les milieux d’affaires, très largement favorables au maintien dans l’UE, de donner des arguments aux partisans du Brexit ! Mais, dans leur immense majorité, le gouvernement et les entreprises réclament le maintien de la liberté de mouvement pour les travailleurs européens, en particulier pour ceux qui pâtissent d’un niveau de vie moins élevé. « Ces migrants ont transformé l’économie britannique après leur arrivée massive, à partir de 2004. Et ils ont maintenu les coûts du travail bas », explique Douglas McWilliams, président du Centre de recherche des affaires et du commerce, un think tank très en vue. « Les études estiment que ces travailleurs ont augmenté la main-d’œuvre nationale de 2 %, un chiffre loin d’être marginal. Ils ont permis à l’économie de repartir au moment où elle commençait à perdre un peu de son allant », ajoute-t-il.

Selon un rapport du Comité consultatif sur la migration commandé par le gouvernement et publié en 2014, 76 % des Européens de l’Est et du Centre indiquent être venus au Royaume-Uni pour des raisons professionnelles. Contre seulement 34 % pour les autres migrants européens. Le document souligne également le point de vue extrêmement positif des employeurs à l’égard des 578 000 migrants sous-qualifiés venus de cette zone. Trois branches s’avèrent particulièrement friandes de ces travailleurs : l’agriculture, l’agro-alimentaire et l’hôtellerie-restauration. « Le type de travail que nos entreprises fournissent – c’est-à-dire temporaire, avec des horaires contraignants et imprévisibles – est très peu attrayant pour les Britanniques », explique la société d’intérim ADS, basée à Southampton, qui recrute pour ces trois secteurs. Celle-ci a d’abord puisé directement en Pologne, à partir de 2004. Puis a mis fin à cette pratique en 2010 pour se concentrer sur la main-d’œuvre immigrée locale, désormais très présente sur le territoire.

Du personnel formé

Constat similaire au sein de la chaîne d’hôtels Greenclose. « Les migrants sont prêts à bosser dur, dans des conditions difficiles, avec une bonne éthique de travail. Ils le font au salaire proposé, souvent le salaire minimum, et acceptent les autres avantages liés au poste comme le logement, qui est fourni », explique l’un de ses dirigeants. « De nombreux postulants britanniques ne veulent pas travailler à plein temps, mais à temps partiel, de telle sorte que leurs prestations sociales n’en soient pas affectées. Les migrants, eux, acceptent de travailler plus dur et cherchent à faire le plus d’heures supplémentaires possible pour gagner davantage », abonde un prestataire d’aide aux soins à domicile désireux de rester anonyme.

Des discours bruts de décoffrage que les représentants des PME polissent. « La principale motivation pour l’embauche d’étrangers, c’est le manque de qualification des Britanniques. C’est pour cela que nos membres poussent au développement de la formation des locaux », clame Seamus Nevin, de l’Institut des directeurs. L’étude du Comité consultatif sur la migration confirme cette assertion. « Les postulants britanniques ne disposent pas des bases requises en mathématiques et en écriture », expliquent ses rédacteurs. Par ailleurs, les migrants accepteraient plus souvent d’être surqualifiés pour leur poste que leurs homologues locaux.

Des arguments qui plaident en faveur des travailleurs de l’Est. Qu’ils soient employés au Royaume-Uni ou… chez eux. « Les travailleurs étrangers sont souvent une solution de court terme car beaucoup repartent chez eux. Nous avons donc choisi d’embaucher des ingénieurs tchèques, de les former à notre environnement et d’ouvrir une succursale à Prague où ils travaillent désormais », confie Antonio Filippi, responsable financier d’Icon, une entreprise d’ingénierie informatique. Une façon de bénéficier de l’expertise de ces employés sans les faire venir sur place. Un moyen, aussi, de contourner les changements réglementaires obtenus par David Cameron auprès de ses 27 partenaires européens.

Repères

Le Royaume-Uni a obtenu de Bruxelles que les travailleurs européens ne perçoivent pas d’aides sociales pendant les quatre premières années de présence sur son sol. Un mécanisme qui s’appliquera au plus pendant sept ans et ne touchera que les futurs entrants. Par ailleurs, les migrants européens toucheront désormais, pour leurs enfants restés au pays, des allocations familiales indexées sur le niveau de vie du lieu de résidence.

Deux mesures aux effets limités. Selon un rapport de l’Observatoire des migrations, seuls 10 % des migrants arrivés récemment au Royaume-Uni touchent des allocations sociales.

Auteur

  • Tristan de Bourbon