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“La méfiance entre partenaires sociaux freine la compétitivité”

Actu | Entretien | publié le : 03.06.2016 | Anne Fairise, Manuel Jardinaud

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“La méfiance entre partenaires sociaux freine la compétitivité”

Crédit photo Anne Fairise, Manuel Jardinaud

Développement de l’alternance, baisse du coût du travail, promotion du dialogue social. Tel est le triptyque de l’ex-patron d’EADS pour redresser l’économie.

Vous dressiez un constat noir de l’état de l’industrie française, en 2012, dans votre rapport sur la compétitivité. Où en est-on aujourd’hui ?

Il y a des signes positifs. La production a augmenté de 2,2 % en 2015 par rapport à 2014 et sa part dans le marché mondial ne baisse plus. Les exportations de biens ont augmenté de 4,3 %, ce qui n’est pas négligeable, même si les importations ont crû plus vite. On peut attribuer cette amélioration au fameux alignement des astres : des taux d’intérêt bas, le retour à un niveau raisonnable de l’euro, la politique de crédits de la BCE, la chute du prix du pétrole. J’ai néanmoins la faiblesse de penser que la baisse des charges due au pacte de responsabilité et les 20 milliards d’euros du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, ont joué. Mais reconquérir la compétitivité et monter en gamme est une affaire de dix ans.

Le choc de compétitivité que vous appeliez de vos vœux a-t-il eu lieu ?

Mon rapport a été rendu public à un moment où les Français étaient prêts à parler de compétitivité parce qu’ils étaient inquiets. Quant au choc, il a été étalé. Le choix en novembre 2012 d’un crédit d’impôt – le CICE – au lieu d’un allégement de charges à impact immédiat a différé l’effet pour les entreprises jusqu’en juin 2014. Mais le gouvernement a, depuis, annoncé sa transformation en allégement de charges pour 2017. Il faut le faire. Cela va pérenniser le dispositif, donner de la visibilité aux entreprises. Je continue de plaider pour que les baisses de cotisations sociales ciblent les salaires intermédiaires, compris entre 1,6 et 3,5 Smic, plutôt que les bas salaires. C’est le meilleur moyen d’aider l’industrie, exposée à la concurrence internationale, à gagner en compétitivité et à créer des emplois qualifiés. Faire bénéficier les bas salaires des allégements de charges, comme c’est le cas depuis vingt ans, a certes un effet plus immédiat sur l’emploi mais revient à entretenir l’emploi non qualifié. Ce n’est pas une voie d’avenir, surtout avec la révolution numérique. Il faut, au contraire, miser sur la formation, la qualification.

Vous faites de l’alternance une priorité. Que proposez-vous ?

L’objectif devrait être de doubler le nombre d’apprentis et de créer un écosystème plus favorable. Dans le cadre du think tank Le Cercle de l’industrie, nous avons travaillé avec Stéphane Richard, le P-DG d’Orange, à des propositions pour l’élection présidentielle. Nous suggérons en particulier de transformer les lycées professionnels en centres de formation d’apprentis (CFA). Le corps enseignant conserverait son statut mais les branches professionnelles seraient mieux associées au contenu des formations. Il faut embarquer l’éducation nationale si on veut en finir avec les réticences qui freinent le développement de l’apprentissage. Il faut également mieux accompagner les apprentis. Les CFA doivent être clairement en responsabilité pour les aider à trouver un employeur. Pour cela, il convient de s’atteler aussi à la question du logement ou du transport. Le taux de décrochage des apprentis est trop élevé en France, de l’ordre de 25 %. C’est pourquoi nous sommes favorables à la mise en place du préapprentissage, tel qu’il se pratique dans les écoles de production. Le contrat d’apprentissage lui-même doit aussi être moins rigide, sur le modèle de celui de professionnalisation. Il est normal de protéger les jeunes mais il faut trouver un meilleur équilibre.

Vous êtes impliqué sur les questions d’insertion. Sur quoi vous battez-vous ?

Je préside la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, la Fnars, qui regroupe de nombreuses structures d’insertion par l’activité économique employant 120 000 anciens chômeurs de longue durée. Par ailleurs, je vais présider le fonds créé par la loi sur les territoires « zéro chômeur de longue durée ». L’idée de cette expérimentation est de proposer un CDI à tout chômeur de longue durée, payé au Smic. Les emplois seront définis en fonction des besoins locaux mais n’entreront pas en concurrence avec le secteur marchand. Ils seront – pour la plus grande part si l’expérimentation réussit – financés par les économies réalisées grâce à la remise en emploi. Un chômeur de longue durée « coûte » entre 15 000 et 20 000 euros par an à la collectivité. Le chômage de longue durée est une gangrène. Il faut se battre pour le réduire et ne pas hésiter à sortir des sentiers battus. Nous avions d’ailleurs, avec le collectif Alerte, proposé une négociation interprofessionnelle sur la formation ou les modalités de réinsertion des chômeurs de longue durée. Sans succès. Ni l’État ni les partenaires sociaux n’ont montré d’enthousiasme. Notre proposition est toujours sur la table.

Comment jugez-vous l’état du dialogue social en France ?

Au niveau national, le dialogue social est embourbé. La méfiance réciproque entre partenaires sociaux est incroyable, elle me frappe toujours. C’est un frein majeur à la compétitivité. Nous allons payer pendant des années l’échec cuisant, en 2015, de la négociation sur le dialogue social. On a raté une occasion, alors que l’espoir avait grandi après le succès de l’accord national interprofessionnel de janvier 2013 sur la sécurisation de l’emploi. Dans les branches, les relations sociales sont meilleures. Mais le dialogue n’y trouvera sa force que si on en réduit rapidement le nombre, de 700 actuellement, à moins de 100. Dans les entreprises, la loi El Khomri ouvre des espaces nouveaux pour des accords permettant l’adaptation à des situations que la mondialisation rend de plus en plus diverses.

Le renversement de la hiérarchie des normes passe mal chez certaines organisations syndicales…

Les syndicats de salariés craignent un éclatement du droit du travail. Ils estiment que, dans les TPE et les PME, les salariés sont dans un rapport de force inégal face à l’employeur et que cela dénature les négociations sociales. Ces inquiétudes sont compréhensibles. C’est pourquoi il faut renforcer les syndicats, en revoyant leur financement, en reconsidérant la formation et les carrières de leurs représentants. J’ai proposé la mise en place du chèque syndical. Ce serait un symbole fort pour montrer que le syndicalisme représentatif et responsable a droit de cité dans l’entreprise, et pour interpeller les salariés sur la nécessité d’augmenter le taux de syndicalisation. Si on passe de 8 % à 30 % d’adhérents dans le secteur privé, on diversifie la base syndicale et on change de monde. Cela suppose une prise de conscience des PME. Il faut que le fait syndical y soit plus largement reconnu. Je sais que le mandatement syndical y suscite des réserves, mais je pense qu’on peut trouver des modalités et une voie de consensus. Je fais le pari que l’on peut faire vivre, comme dans beaucoup d’autres pays européens, un dialogue social mature, responsable, certes pas exempt de conflits, dans les entreprises, y compris les PME.

Le niveau de rémunération des patrons de grande entreprise continue de faire débat. Faut-il l’encadrer ?

Je suis président du conseil de surveillance de PSA, et donc en responsabilité sur ce sujet. Un groupe se doit d’avoir le meilleur dirigeant possible. On ne peut pas faire abstraction des rémunérations des dirigeants des multinationales à travers le monde. Le marché est planétaire, c’est une réalité incontournable. La rémunération du dirigeant conditionne également l’échelle des salaires dans l’entreprise. Face aux rémunérations excessives, je ne propose pas de légiférer. Car soit le cadre sera trop large, et les effets seront nuls. Soit il sera trop contraignant, et nos grandes entreprises risquent de ne plus attirer les meilleurs talents ou les localiseront hors de France. Le code Afep-Medef peut jouer un rôle accru. L’autorégulation, aussi. Les dirigeants doivent mesurer ce qu’ils valent, ce qu’ils apportent à leur entreprise et ce qui est admissible par le corps social. Pour ce qui concerne PSA, la rémunération de Carlos Tavares est certainement élevée mais les résultats sont là. Et cette rémunération reste la moins forte de celles des dirigeants automobiles occidentaux.

Louis Gallois

Figure de gauche du patronat, l’énarque Louis Gallois a présidé la SNCF et EADS. Nommé en 2012 commissaire général à l’investissement, il est l’auteur d’un rapport marquant sur la compétitivité de l’industrie. Il y plaidait pour un allégement fort du coût du travail, mesure qui structurera la politique économique de François Hollande. Il préside aujourd’hui le conseil de surveillance de PSA.

Auteur

  • Anne Fairise, Manuel Jardinaud