Voici le livre qu’on attendait sur la délicate question du droit du travail, ce sujet qui occupe une fois de plus le centre du débat public en France, à l’occasion du vote de la loi El Khomri. On doit rendre grâce à ses auteurs, Franck Morel et Bertrand Martinot, d’apporter un peu de rigueur dans le déluge de paroles creuses que suscite ce texte. Reprenant des propositions avancées dans le cadre d’un rapport de l’Institut Montaigne, ils s’élèvent contre le côté trop souvent caricatural de la critique du Code du travail.

Exemple le plus criant : les propos définitifs de ceux qui prétendent que le problème le plus urgent est de faire « maigrir » ce pavé. Réunir dans un seul volume tous les aspects de la réglementation du droit du travail ne comporte pas que des inconvénients. Et les comparaisons avec l’étranger n’ont pas beaucoup de sens, car une grande partie de la codification des domaines abordés par notre Code se fait, ailleurs, dans des conventions de branche ou des normes locales. Le principal danger, selon eux ? Le gonflement de la jurisprudence qu’entraîne le prurit législatif.

L’autre faiblesse du Code à la française est son utilisation par les législateurs comme vitrine du « politiquement correct ». Ce qui aboutit à une inflation de textes sans portée réelle sur des thèmes devenus sensibles dans la société, à l’instar de l’égalité hommes-femmes. Une thématique qui a fait l’objet de 11 lois depuis les années 1980… Autre piège, la méfiance à l’égard de la négociation collective, laquelle y occupe une place importante, mais encadrée de multiples façons par la loi, au point d’en être paralysée. Les auteurs dénoncent aussi la bureaucratie sociale due à un trop-plein de représentants du personnel.

Les deux experts ont en revanche l’honnêteté d’admettre qu’il n’a jamais pu être démontré que le poids de notre Code du travail était un obstacle à l’emploi. Leurs remèdes ? Donner plus de place aux accords d’entreprise, facteurs de flexibilité interne. « Recaler » le Code du travail sur les petites entreprises plutôt que sur les grandes. L’avocat et l’économiste proposent de repenser l’architecture de notre droit du travail en distinguant ce qui relève du droit fondamental de chacun, de l’ordre public social et de la norme négociée. Ils rêvent d’un « droit de l’activité », qui tienne compte de l’éclatement des statuts. Et prônent que l’on règle la question de la rupture du contrat en allant vers la création d’un CDI conventionnel. Enfin, ils défendent de nouvelles voies d’approche pour la représentation du personnel et la durée du travail.

Un autre droit du travail est possible. Libérer, organiser, protéger, Bertrand Martinot et Franck Morel. Éditions Fayard. 396 pages, 20 euros.