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Le casse-tête de la détection

Dossier | publié le : 03.05.2016 | A. F.

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Le casse-tête de la détection

Crédit photo A. F.

Plus que de nouveaux outils, identifier les talents internes suppose un changement des pratiques RH. Où le manager de proximité est en première ligne.

Inutile de chercher le mode d’emploi ni de plonger dans les référentiels préétablis de compétences, détaillant dans les moindres détails les savoirs, savoir-faire, savoir être attendus ! La formule est désormais consacrée chez les chercheurs en sciences de gestion : il n’existe pas une définition uniforme du talent. Cette « combinaison rare de compétences rares », comme la définit Cécile Dejoux, professeure des universités au Cnam, n’entre dans aucune case. Avant tout, une histoire d’individu, fruit de son vécu, de ses qualités, aptitudes, tempérament et motivations.

Une pierre dans le jardin des managers, en première ligne pour détecter et évaluer les salariés clés pour l’entreprise ou qui le deviendront. Malgré tous les progrès technologiques et les promesses du big data, la détection reste subjective, relationnelle, assurée par la hiérarchie directe. Mais les managers ont tôt fait de se retrouver dans la tourmente, dès que cela dérape. Car le réflexe, bien naturel, est de s’appuyer sur la bonne vieille performance, mesurable et quantifiable grâce aux objectifs chiffrés, quitte à la surévaluer. Un écueil connu qui peut avoir un sacré « effet papillon » quelques années plus tard.

Plus que la performance

« Nous n’avons pas assez travaillé sur l’identification des talents », confiait l’an passé Éric Rivard, alors vice-président talents chez Sanofi. Il a fallu la mise en place d’un programme de développement pour que le géant pharmaceutique français se rende compte que certaines dimensions, pour lui essentielles (prise de responsabilité, persévérance, souplesse), n’étaient pas suffisamment présentes chez 30 % des managers en place aux postes clés.

« La performance individuelle est un critère déterminant dans l’identification des talents mais pas suffisant. Pas plus que le potentiel soupçonné. Il est essentiel de comprendre en quoi le salarié fait mieux, et différemment, son métier comparé à ses collègues », rappelle Christophe Falcoz, professeur associé à l’IAE de Lyon. Est-il plus créatif, large d’esprit, ouvert aux autres et à l’apprentissage, débrouillard, collaboratif, original ? Des qualités à jauger, bien sûr, au regard des besoins de l’entreprise, de son modèle d’organisation et de sa culture. Qui ne sont pas identiques chez L’Oréal, Total ou Zara. Le risque, sinon, consiste à privilégier des profils standardisés et à passer à côté de celui ou celle qui est, ou sera, la bonne personne au bon moment.

Autant dire l’importance du face-à-face et de l’échange approfondi. N’en déplaise aux nouveaux contempteurs de l’entretien annuel, outre-Atlantique, qui le jugent trop focalisé sur les résultats et préfèrent le remplacer par un feedback plus régulier, l’exercice semble avoir de beaux jours devant lui dans l’Hexagone. Pour peu qu’il soit riche en contenu, estime Frédéric Oger, vice-président talent management chez Altran. « L’entretien annuel reste un processus clé s’il ne se limite pas à l’évaluation de la performance et à la fixation des objectifs. Il doit aussi intégrer les dimensions évaluation des compétences et plan de développement en termes de formation, de carrière et de possibilités d’évolution », précise-t-il. Rien n’empêche, pour coller au plus près de l’activité, d’en modifier la fréquence. C’est le choix de Lactalis, qui a rendu le rendez-vous semestriel.

Encore faut-il que le chef laisse de la place à son subordonné, de telle sorte que ce dernier s’exprime en confiance et prenne le temps, à la fois, d’explorer les activités qui l’attirent et d’identifier les aptitudes qu’il peut mobiliser en fonction de ses projets et des besoins de l’entreprise. « Au-delà de l’atteinte de l’objectif, le manager doit tenir compte des progrès réalisés, même si ceux-ci ne s’intègrent ni dans les objectifs du salarié ni dans sa définition de fonction », martèle Xavier Bonduelle. Le changement de posture est primordial pour le président de l’Institut du management des ressources humaines : « Si les managers sont dans une logique de jugement, et non de développement, ça ne peut pas fonctionner. L’échec est assuré. »

Vers une posture de coach

Les bouleversements technologiques ne laissent pas le choix. Confronté à une mutation ultrarapide de son activité, notamment dans l’audit, le cabinet de conseil et d’expertise Deloitte a décidé de réagir. 20 % de son chiffre d’affaires sont désormais réalisés dans des métiers, telle la cybersécurité, qui n’existaient pas… il y a quatre ans ! Sa botte ? Faire basculer le management de proximité vers une posture de coach. En appui, le système d’évaluation annuelle a été revisité pour qu’il bascule, explique Géraldine Segond, la DRH adjointe, « d’un exercice un peu administratif tourné vers le passé à un dispositif axé sur l’échange et tourné vers les projets d’avenir ». De quoi aider les salariés à se projeter et être capable de leur offrir des parcours personnalisés « en phase avec leurs aspirations du moment ». Coup d’envoi en septembre prochain, à l’issue d’une expérience pilote avec 500 collaborateurs.

Classiquement, la détection du talent est validée dans les revues de personnel, exercice ancré de longue date dans les entreprises sous différentes appellations (revue des talents, people review, comité de carrière…). Où, à chaque fois, il s’agit de réunir service RH et management pour opérer collectivement le diagnostic des compétences, des performances et des réalisations, en croisant les regards. « Cela permet de répondre à la question “du talent pour quoi ?” grâce aux discussions sur les prochains postes disponibles », explique un consultant. Une nouveauté, cette année, chez Socotec : le management central, hier seul décisionnaire, a choisi de confier l’identification des « talents prometteurs » aux directeurs de région (les N + 3) et aux RRH, chargés de remonter l’information à la direction France.

Pour ne pas s’appuyer sur le seul jugement du manager, certaines sociétés le complètent par le recours au 360°. « Il n’y a pas de talent sans reconnaissance des pairs. Le 360° fonctionne comme une sorte d’applaudimètre. Il permet aussi de comprendre ce qui fait la différence dans la pratique du métier », précise Xavier Bonduelle. Depuis trois ans, la démarche est systématique chez le leader des petites annonces en ligne Leboncoin quand il s’agit de passer au crible la population des managers.

Même si cela n’est pas leur objectif premier et si les RH en sont rarement partie prenante, les communautés de pratique et les réseaux d’entreprise qui émergent, portés par les nouvelles technologies, offrent de nouveaux terrains de détection de talents. Une bouffée d’air, et de diversité, pour Boris Sirbey, cofondateur du Lab RH. « Ils font émerger d’autres talents qui n’avaient pas eu l’occasion de s’exprimer et trouvent là l’occasion de le faire. Ils bousculent la préférence française pour le diplôme. » La posture dite collaborative ne fait-elle pas partie des critères de détection des talents dans un nombre croissant d’entreprises ?

La palette des outils a beau s’élargir, le rôle du manager de proximité n’en reste pas moins essentiel. Car il n’est pas chargé de la seule détection des talents mais aussi de leur éclosion, en créant des opportunités d’apprentissage, et de leur développement. Mais pour pouvoir endosser pleinement ce rôle, encore faut-il qu’il ait du temps et les moyens de gérer ses équipes au quotidien, sans être happé par l’opérationnel ou l’administratif. Or ce n’est pas du tout la tendance, en dépit de la revendication grandissante des entreprises à « gérer les talents ».

Auteur

  • A. F.