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La réserve citoyenne mobilise l’entreprise

Décodages | publié le : 03.05.2016 | Judith Chetrit

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La réserve citoyenne mobilise l’entreprise

Crédit photo Judith Chetrit

Laïcité, démocratie, discrimination… 5 000 réservistes se proposent d’intervenir dans les écoles pour en parler. Parmi eux, des dirigeants et des salariés, qui jugent indispensable de changer le regard des élèves sur les entreprises.

La visite de l’après-midi commence par une devinette. « Pour réussir, il n’y a qu’un mot, lequel ? » demande Charles-Antoine Garcia. Face à ce dynamique retraité, 10 adolescents de 3e prépa pro. « Le travail », répondent plusieurs à voix basse. « Non, vouloir », réplique leur accompagnateur du jour, en marquant les syllabes. Voilà donc le premier message que cet ancien colonel espère faire passer à son jeune auditoire lors de sa déambulation chez Fabrix, une entreprise de menuiserie située à Poitiers. En ce jour de février, les élèves y rencontrent Élisabeth Guillaumond, qui dirige depuis quinze ans cette société d’une cinquantaine de salariés. Quand elle a été contactée par Charles-Antoine Garcia pour accueillir une classe du lycée Auguste-Perret, elle a immédiatement accepté. « L’entreprise ne crée pas seulement des valeurs marchandes. Elle doit jouer un rôle d’acteur social sur son territoire. On doit multiplier les rapprochements entre le monde de l’entreprise et l’école », argumente-t-elle.

Devant de grandes barres d’aluminium stockées dans l’entrepôt, la dirigeante leur déroule son quotidien, l’histoire de Fabrix et les différents métiers de la PME, comme ceux du bureau d’études et de la comptabilité, des conducteurs de travaux ou des poseurs. Pour certains, c’est la première fois qu’ils mettent les pieds dans une entreprise. Ils ont, pour l’occasion, préparé une série de questions avec leurs professeurs de vente et de comptabilité-gestion. Charles-Antoine Garcia est, lui, observateur des interactions entre les élèves. « Cela peut leur donner des idées pour le futur », estime-t-il. Depuis le printemps 2015, ce bénévole de 69 ans qui participe également à l’association Entente des générations pour l’emploi et l’entreprise fait partie des 80 réservistes de l’académie de Poitiers. Lui a l’habitude d’intervenir dans les classes ; la réserve citoyenne de l’éducation nationale lui offre un nouveau cadre. « Je simule des entretiens d’embauche, je leur explique le processus de recrutement, je mène des ateliers sur l’estime de soi. J’essaie aussi de leur faire comprendre ce que cela signifie de respecter les gens avec lesquels on travaille », détaille-t-il.

Carte blanche.

Depuis les attentats à Charlie Hebdo et à l’Hyper Cacher, en janvier 2015, puis ceux de Paris et Saint-Denis, en novembre dernier, ils sont près de 5 000 volontaires à avoir été sélectionnés par les rectorats pour animer des rencontres et des ateliers ponctuels dans les écoles. Laïcité, démocratie, vivre ensemble, discriminations… L’éventail des sujets d’interventions possibles est large. Il comprend ainsi une case « relations avec le monde professionnel » qu’ils sont plus d’un tiers à avoir cochée.

À Toulouse, la proviseure d’un lycée polyvalent supervise un groupe de pilotage pour les réservistes qui désirent aborder ce sujet. « Il y a une très grande diversité de profils. Cela va de l’autodidacte qui a pris sa retraite après avoir été directeur commercial d’une grande entreprise au consultant adepte des jeux de rôle autour de l’embauche en passant par l’entrepreneur franco-polonais qui travaille dans la logistique », détaille Dominique Houlié. Cette ancienne professeure d’histoire se réjouit des rapprochements entre l’entreprise et le milieu scolaire. « Il y a vingt-cinq ans, quand on faisait venir un dirigeant pour qu’il explique son métier, c’était mal vu. Mais c’est aujourd’hui une demande des enseignants eux-mêmes. »

Ces derniers peuvent sélectionner des réservistes en fonction de leur parcours et de leur expertise. « On a déjà l’habitude d’évoquer l’entreprise dans les écoles. Là, on échange sur l’engagement citoyen via le prisme des acteurs économiques. Les intervenants parlent ainsi de leur métier, mais aussi de leur éthique professionnelle », souligne Françoise Pétreault, responsable de la sous-direction de la vie scolaire, des établissements et des actions socio-éducatives au ministère de l’Éducation nationale. L’institution planche sur une refonte de sa plate-forme interne pour fluidifier les échanges entre les réservistes et les établissements. Un chantier indispensable pour lever les incompréhensions entre des bénévoles, frustrés de ne pas suffisamment intervenir dans les classes, et des équipes éducatives frileuses à l’idée de leur laisser carte blanche. « Auparavant, les enseignants faisaient jouer leur réseau de connaissances pour trouver des intervenants. Avec la mise en place du nouveau système, certains établissements craignent que cela ne nuise à la dynamique déjà existante. Mais cela permet d’élargir le dispositif à un territoire plus vaste grâce à une base de réservistes », jauge Olivier Lhermitte, référent de la réserve citoyenne pour l’académie d’Amiens.

Petit quiz.

Parmi les volontaires, beaucoup n’ont jamais pris la parole devant une classe. Ce qui ne les empêche pas d’avoir ressenti le besoin d’agir. « Je veux parler des liens de l’entreprise avec les collégiens et lycéens, des fractures qui peuvent exister entre les actifs installés avec un CDI et les jeunes qui cherchent du travail. C’est pour moi une des raisons qui expliquent que la société française peine à se ressouder », affirme Éric, 34 ans, salarié de la Société générale. Ébéniste et menuisier, Renaud espère, lui, susciter des vocations en reliant son métier à l’histoire de l’art en France. Quant à Thierry, qui travaille sur les questions de responsabilité sociale au sein du groupe Engie, il aimerait dresser des parallèles entre la vie à l’école et celle dans une entreprise en planchant sur la notion de hiérarchie.

De partout, les idées et les envies foisonnent. Comme en cet après-midi de mars où une vingtaine d’élèves de première ES du lycée Jules-Ferry, à Versailles, assistent à une présentation condensée des métiers des ressources humaines. Face à eux, en pleine semaine de l’orientation, Dominique Paris, un réserviste de 59 ans, DRH de la filiale française du fournisseur de matériel pétrolier Saipem. Alors que l’écoute est plutôt passive et la prise de notes rare, les slides s’enchaînent au tableau, ponctués de citations. Telle celle de Napoléon : « L’art le plus difficile n’est pas de choisir les hommes mais de donner aux hommes qu’on a choisis toute la valeur qu’ils pensent avoir. » Un petit quiz sert à démêler le vrai du faux sur les fonctions d’un DRH. « J’aimerais montrer aux élèves qu’on ne s’occupe pas seulement d’embauches et de licenciements », glisse Dominique Paris. Un exercice difficile. « C’est toujours compliqué de susciter l’intérêt quand la rencontre est obligatoire », observe, en fin de séance, la prof principale. La réserve citoyenne a trouvé ses acteurs mais cherche encore son scénario.

Forces vives

Lancée il y a un an, la réserve citoyenne de l’éducation nationale offre aux individus volontaires « la possibilité de s’engager bénévolement pour transmettre et faire vivre les valeurs de la République à l’école ». Cette action ponctuelle s’exerce aux côtés des équipes éducatives qui le souhaitent.

Auteur

  • Judith Chetrit