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Décodages

Émery Jacquillat la joue collectif à la Camif

Décodages | publié le : 03.05.2016 | Emmanuelle Souffi

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Émery Jacquillat la joue collectif à la Camif

Crédit photo Emmanuelle Souffi

Acquéreur de la Camif en 2009, l’ex-patron de Matelsom a ressuscité le vépéciste, transformé en spécialiste en ligne du meuble. Il prône un modèle démocratique qui privilégie les relations directes. Et se passe de représentants du personnel.

Le patron de la Camif aime les pieds de nez. Installer la quarantaine de salariés dans une ancienne agence de Pôle emploi de Niort, il fallait oser. Et ne pas être superstitieux. Mais après tout, les collaborateurs l’ont choisi. Comme pour toutes les décisions qui engagent l’avenir de cette marque cinquantenaire, ceux-ci ont en effet voté l’emplacement de leurs nouveaux locaux. On se croirait dans une coopérative ? Peut-être. Mais Émery Jacquillat, le P-DG, n’a pas renoué avec le statut de la glorieuse Camif, créée en 1947 par le fondateur de la Maif. Une Scop, numéro trois de la vente par correspondance en 2006, mais mise en liquidation judiciaire deux ans plus tard. Puis rachetée par l’actuel patron, en 2009. Un quadra détonnant pour qui les lettres « P-DG » signifient… « prof de gym ». En bon Véronique et Davina du xxie siècle, il pousse ses ouailles à se dépasser pour faire du business, tout en cultivant un militantisme rafraîchissant.

S’ancrer dans le territoire

Quand Émery Jacquillat rachète la Camif pour 1 million d’euros, à la barre du tribunal de commerce, la situation est catastrophique : 100 millions d’euros de passif, 250 000 clients en attente de leur commande et 300 fournisseurs impayés. À Niort, dans les Deux-Sèvres, 568 salariés se retrouvent sur le carreau. À l’époque, le repreneur, qui vend des matelas sur Internet sous l’enseigne Matelsom, rêve d’une nouvelle aventure. Marque mythique, la Camif lui tend les bras. Sauf que la crise des subprimes complique son tour de table. Pour le boucler, il convainc un fonds d’investissement, Citizen Capital, et la région Poitou-Charentes de Ségolène Royal, qui garantit les prêts. Son discours de proximité, mâtiné de made in France et de capitalisme responsable, fait mouche. « J’étais convaincu que le dossier se jouerait sur le volet social. Si les clients, les fournisseurs, les élus n’avaient pas vu que la relance de la Camif leur profiterait, ils n’auraient jamais suivi. Le choix de rester à Niort a été déterminant », assure-t-il.

À Nanterre, les 70 salariés de Matelsom font grise mine. Seuls sept font leurs cartons. Les autres sont reclassés chez des sous-traitants ou licenciés. Le centre d’appels, géré par Teleperformance, est aussi transféré dans les Deux-Sèvres. C’est l’un des rares services aujourd’hui internalisé. Logistique, transport, informatique… tout le reste est confié à des tiers. Une révolution dans un groupe qui comptait 10 repasseuses pour préparer les vêtements avant les séances photo et avait développé son propre outil de traitement de texte ! Au total, 184 emplois sont recréés dans le bassin. Bien peu, pour les nostalgiques. « Il a racheté la marque, les fichiers, il a réduit le marketing au minimum en supprimant le catalogue… La poursuite de l’esprit Camif, c’est du discours », tance une syndicaliste de l’union départementale FO.

Cultiver sa différence

Dès 2009, Émery Jacquillat et sa petite équipe s’attellent à la construction du nouveau modèle. Ils partent d’une feuille blanche. Tout est à écrire, depuis la stratégie jusqu’à la refonte des outils informatiques. Fini, la vente d’électroménager et de textile, l’ex-fournisseur des fonctionnaires se recentre sur l’ameublement. Et devient un acteur totalement virtuel, sans magasins. Sur le site, la quinzaine d’anciens du vépéciste côtoie des Matelsom et des recrues. Mais il ne suffit pas d’abattre les cloisons pour jouer collectif. « Changer les cultures, c’est ce qui prend le plus de temps », admet l’entrepreneur. Pour créer des liens et encourager l’innovation, cet iconoclaste accueille durant trois mois une artiste en résidence. Frappée que les salariés s’échangent des mails dans l’open space au lieu de se parler, elle commence par matérialiser les échanges par des bandes roses au sol. Les moins bavards comprennent vite qu’ils manquent d’interactivité. Puis elle s’attaque au parking et rebaptise les places du nom de ses artistes fétiches. Chaque matin, les salariés découvrent de nouveaux peintres ou sculpteurs en se garant et en parlent entre eux. De quoi fédérer les troupes, mises à rude épreuve par l’avalanche de changements.

Car ici, pas question de ressasser le passé à coups d’« avant, on faisait comme ça ». Camif devient : « c’est à moi d’inventer le futur ». Pas si simple. Car, avec sa pléthore de mutuelles (Maaf, Maif, Macif…), Niort est la troisième place financière de France. Or, chez les mutualistes, les salaires sont élevés et les avantages nombreux, à l’image de la semaine de 32 heures. Résultat, la start-up peine à attirer webmarketers, community managers et autres référents merchandising. « La marque ne parle pas aux jeunes, qui préfèrent travailler à Bordeaux, Nantes ou La Rochelle », déplore Laurent Micouin, responsable du rendre heureux – il s’est lui-même baptisé ainsi ! Cet ancien du site Web de la Fnac y remédie en créant une formation en alternance aux métiers de l’e-commerce au sein de SupTG Niort, une école de la chambre de commerce. Un cursus d’un an accessible aux bac + 2 et aux chômeurs. Depuis 2010, près de 80 personnes y sont passées. La marketplace en accueille cinq par an et en recrute un ou deux.

Parier sur le collaboratif

L’ancienne Camif était très hiérarchisée, cloisonnée. La nouvelle prône la libre circulation de l’information. Et des personnes ! Toutes les semaines, c’est chaise musicale : chaque salarié change de voisin, selon un planning savamment orchestré. Le lundi, on fait aussi le point sur l’activité, les résultats, les projets en cours. Pour faciliter le partage, l’animateur est renouvelé à chaque fois. « Émery a une vraie logique entrepreneuriale, le collaboratif est au cœur de son fonctionnement », souligne Anne Brevillé, la directrice du développement durable et de la RSE. Une ancienne de la Camif.

Pour le déménagement, le personnel a eu le choix entre deux sites. Il a aussi décidé du mobilier – français, évidemment –, qu’il a poncé et assemblé. Les affectations budgétaires annuelles, elles, sont établies par neuf salariés élus par leurs pairs. À charge pour eux de ventiler les postes de coûts, de telle sorte que l’entreprise puisse atteindre le résultat net défini par le comité stratégique. À leur actif, l’harmonisation du temps de travail entre anciens contrats à 38 h 50 et nouveaux à 35 heures. Douze personnes vont ainsi passer à 37 heures cette année puis à 35 en 2017, sans baisse de salaire. « Si on s’occupe des salariés autant que des clients, ça fidélise », argumente Guillaume, du service comptabilité.

Océane, approvisionneuse, s’est, elle, chargée de défendre les idées devant le board. Parmi celles-ci, le versement d’un demi-mois de salaire sous forme d’intéressement, la prise en charge intégrale de la mutuelle (contre 60 % aujourd’hui), la création d’un salaire minimum interne (1,1 Smic) et un cofinancement du café – responsable, forcément ! Autre proposition, la suppression de la pub télé, histoire d’investir dans des recrutements, des formations et du développement Web. Des pistes toutes validées, sous réserve d’atteindre les résultats. « C’est très valorisant car on peut s’exprimer et on connaît les projets, note Océane. On acquiert aussi de nouvelles compétences en finance ou en comptabilité. »

Mais c’est au service offre produits que l’esprit collaboratif a été poussé le plus loin. Sans chef, l’équipe avait le choix entre en recruter un à l’extérieur, promouvoir l’un de ses membres ou… s’en passer. Une troisième option qui l’a emporté. Le budget ainsi libéré a permis de renforcer le pool d’assistantes. Et chacun est devenu référent sur un dossier précis : les RH, l’innovation… « L’offre, c’est le cœur de réacteur de l’entreprise. Qu’un service aussi central soit autogéré, c’est hyperaudacieux, car il y a une prise de risques », explique Pierre, chef de produit canapés-fauteuils. À chaque réunion bimensuelle, l’animateur et le rapporteur changent. Un système de parrainage entre juniors et seniors remplace aussi les rapports hiérarchiques. Un fonctionnement très innovant, en phase avec la culture de la maison, qui privilégie les relations directes. Et d’ailleurs celle-ci ne dispose d’aucune instance de représentation du personnel.

Vendre le made in France

Autre abréviation dont Émery Jacquillat a le secret, le CQFD : choix de la qualité française et du développement durable. La nouvelle Camif entend ainsi être la place de marché du made in France. Le catalogue, ressuscité mais très allégé, et le site mentionnent systématiquement le lieu de fabrication du produit. Une « consolocalisation » primée par l’Ademe et le ministère de l’Écologie. « L’information doit se partager, sinon c’est contre-productif », insiste le P-DG. Mi-mai, durant un mois, il va sillonner 12 régions avec une dizaine de salariés et autant de clients volontaires pour rencontrer des fournisseurs. Une démarche à laquelle 70 % du personnel et 250 acheteurs ont déjà participé en 2015.

Sur le modèle de l’open innovation, des ateliers créatifs permettent de réfléchir, ensemble, aux produits de demain. C’est ainsi qu’est né le bureau connecté, le Cinlou – du nom du village étape Saint-Loup-sur-Semouse, en Haute-Saône. Créé avec le fabricant Parisot, il caracole aujourd’hui en tête des ventes. « Ce tour du made in France est un événement qui fédère et donne du sens à ce que l’on fait tous les jours », affirme Anne Brevillé, la directrice du développement durable. Casser les frontières, créer un cercle vertueux… Fin 2015, la Camif a été la première entreprise française certifiée B Corp, un label américain qui récompense les modèles ayant un impact positif en termes environnementaux et sociaux. Pas mal pour une société revenue de nulle part !

En chiffres

40 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014.

1 million de visiteurs par mois.

200 000 clients.

44 salariés.

Auteur

  • Emmanuelle Souffi