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Quelle est la bonne mesure de la représentativité patronale ?

Idées | Débat | publié le : 03.04.2016 |

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Quelle est la bonne mesure de la représentativité patronale ?

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En proposant de nouveaux critères, la loi El Khomri réactive le débat sur la mesure de la représentativité patronale. Et la bataille des organisations pour défendre leur place. Les enjeux sont de taille puisque leur poids dans le système paritaire en dépend.

Michel Offerlé Professeur à l’ENS.

Représenter un groupe est une opération statistique, sociologique et politique périlleuse. Surtout si le groupe à représenter est aussi fluide dans sa définition que « le patronat ». Ni le rapport Combrexelle de 2013 ni la loi de 2014 n’ont voulu ouvrir cette boîte de Pandore. Entre la représentation démocratique (une entreprise = une voix), la représentation sociale (pondération par le nombre de salariés) et la représentation économique (pondération par le chiffre d’affaires), le choix du critère est l’objet d’enjeux très politiques. Jusqu’à la loi de 2014, l’opacité de la représentativité était… claire ! Il y avait une représentation fondée sur la cooptation mutuelle de l’État, des syndicats et des organisations patronales (OP). Depuis, le critère de l’élection a été rejeté. Un compromis a été trouvé autour du seuil des 8 % d’entreprises adhérentes sur le total des entreprises de la branche.

Pour comprendre ce qui se joue, il faut rappeler que les OP sont imbriquées les unes dans les autres (multiadhésions entre le Medef et la CGPME, voire avec l’UPA et l’UNAPL) et qu’elles sont des confédérations. La CGPME a changé plusieurs fois de position depuis cinq ans et y joue sa survie, vu la faiblesse de sa base fédérative hors Medef.

L’accord récent entre Medef et CGPME repose sur les tractations internes pour répartir sur le plan interprofessionnel les effectifs des fédérations biadhérentes. Dès lors, pour trouver un « bon critère », soit les OP se restructurent totalement et tracent des frontières claires les unes par rapport aux autres, comme pour les syndicats chez qui la biadhésion est impensable. Soit on reste dans le cadre actuel, et il faut trouver un règlement « censitaire » entre poids économique et poids démographique. Un carreleur ne peut pas valoir un Carrefour, mais le tissu économique et social français réside dans les TPE-PME : 99 % des entreprises ont moins de 50 salariés et 51 % des salariés travaillent dans des entreprises de moins de 50 salariés. Le système de la pesée pratiqué dans les chambres consulaires, s’il était rendu plus transparent, pourrait être un premier point d’appui.

Pierre Burban Secrétaire général de l’UPA.

La bonne mesure de l’audience patronale est celle qui a été entérinée par la loi du 5 mars 2014 et qui se base sur le nombre d’entreprises adhérentes, en dehors de toute référence au nombre de salariés ou au chiffre d’affaires réalisé. Elle seule permet une représentation objective des différentes catégories d’entreprises, les petites comme les grandes. Elle seule assure un égal accès des entreprises à la représentativité et permet d’assurer la présence du plus grand nombre à la table des négociations. Surtout, et c’est ce qui fonde sa légitimité, cette mesure est l’expression de la position commune du 19 juin 2013 adoptée par le Medef, la CGPME et l’UPA.

Ce texte, il est vrai, préconisait d’introduire des correctifs, sous forme de critères de pondération. Mais leur nature n’a jamais été précisée, faute d’accord trouvé entre les parties. Pour autant, la loi de 2014 prend quand même en compte le critère du nombre de salariés des entreprises, ainsi que le réclame le Medef, puisqu’elle a créé un droit d’opposition majoritaire. En outre, si l’UPA défend l’adhésion comme seul critère de représentativité, elle reste ouverte à une discussion avec le Medef et la CGPME sur les critères déterminant la répartition des sièges dans les instances paritaires et celle des fonds du financement du paritarisme.

Mais le Medef a décidé de changer la règle du jeu en cours de partie pour sauver ses postes et ses ressources financières. Implicitement, il reconnaît qu’il ne dispose pas des 750 000 adhérents qu’il revendique. Si le gouvernement modifie les règles, avec une mesure assise essentiellement sur le nombre de salariés et accessoirement sur le nombre d’entreprises adhérentes, il réduira considérablement le poids des TPE-PME dans le dialogue social. Dans certaines branches, elles pourraient même être carrément exclues de la table des négociations. Nous serions face à un déni complet de démocratie. C’est pourquoi l’UPA demande au gouvernement, avec l’UNAPL, la FNSEA et l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire, d’instaurer un véritable pluralisme patronal, en respectant le principe « une entreprise = une voix ».

Alexandre Saubot Vice-président du Medef chargé du pôle social.

Pour répondre à cette question, il faut s’interroger sur l’objet de la représentativité patronale, qui consacre essentiellement la légitimité à négocier des accords collectifs ayant vocation à être étendus (sinon, toute organisation peut négocier pour ses adhérents sans se poser la question de sa représentativité). Mesurer la légitimité à engager des entreprises, et surtout leurs salariés, implique de mesurer le « poids social » d’une organisation. Il s’apprécie en premier lieu par le nombre de salariés : plus une organisation représente de salariés, plus on peut estimer qu’elle a mesuré les impacts des accords qu’elle signe sur ces derniers. Or la loi Sapin, qui a posé les critères de la représentativité patronale, n’a pas cherché à mesurer ce poids social et s’est contentée d’une mesure assise sur le nombre d’entreprises adhérentes – y compris sans salarié. On perçoit bien qu’il serait aberrant de considérer que, pour cette mesure spécifique, une entreprise de 5 000 salariés « vaut » un commerce de quartier employant un salarié, voire aucun.

C’est manifestement en partant du postulat – que nous contestons – selon lequel certaines organisations ne représentent que les grandes entreprises quand d’autres ne représentent que les petites que la loi a privilégié le critère du nombre d’entreprises afin d’assurer la présence du plus grand nombre d’organisations patronales à la table des négociations. Mais, consciente de la limite de l’exercice, elle garantit dans le même temps un droit d’opposition aux organisations représentant… le plus grand nombre de salariés ! C’est donc bien l’aveu qu’in fine le nombre de salariés impactés reste le critère déterminant de la légitimité de la signature d’une organisation patronale. C’est pourquoi nous demandons, avec la CGPME et de nombreuses fédérations professionnelles, qu’outre le nombre d’entreprises adhérentes le critère du nombre de salariés desdites entreprises soit également pris en compte pour mesurer la représentativité patronale. Mieux vaut privilégier une conception plus saine du dialogue social, assis sur une majorité d’engagement, plutôt que de garantir une majorité d’opposition.

Ce qu’il faut retenir

Ultime rebondissement dans la guerre opposant Medef, CGPME et UPA sur la représentativité, le projet de loi El Khomri modifie les critères retenus par la loi du 4 mars 2014, en transcrivant un accord Medef-CGPME.

À partir de 2017, la représentativité reposera pour 20 % sur le nombre d’entreprises adhérentes et pour 80 % sur le nombre de salariés, et non plus sur le seul nombre d’entreprises adhérentes. Jusqu’à présent, pour qu’une organisation soit représentative, ses adhérents devaient « peser » au moins 8 % des entreprises, à jour de leur cotisation, sur le champ considéré (branche, niveau national ou interprofessionnel). Cela défavorisait le Medef.

L’absence de données fiables sur les adhésions complique le sujet, une entreprise ou une fédération pouvant être multiadhérente. Il est par essence épineux. De la représentativité dépend la répartition des sièges dans les instances paritaires et celle des fonds du financement du paritarisme.

En chiffres

Le nombre d’entreprises adhérentes revendiqué par les organisations patronales s’élève à : 750 000 pour le Medef, 550 000 pour la CGPME, 300 000 pour l’UPA.