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Idées

Non à l’instrumentalisation du droit du travail !

Idées | Juridique | publié le : 03.04.2016 | Pascal Lokiec

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Non à l’instrumentalisation du droit du travail !

Crédit photo Pascal Lokiec

Malgré les évolutions que le texte subira au fil des discussions parlementaires et autres, la réforme en cours du Code du travail est révélatrice du sort peu enviable qu’est aujourd’hui celui du droit du travail en France. Et chez nombre de ses voisins, à commencer par l’Italie et l’Espagne, sous l’influence combinée des politiques nationales et des recommandations de la Commission européenne.

Droit du travail et lutte contre le chômage

Ce sort tient, sous l’effet de l’analyse économique du droit, au glissement d’une fonction axiologique vers une fonction instrumentale du droit du travail. Il faut comprendre par là que la règle de droit ne sert plus essentiellement à promouvoir des valeurs (la santé, la sécurité, le repos…) mais se transforme en instrument pour servir des fins, des utilités (l’efficacité économique, la lutte contre le chômage).

Cette fonction instrumentale ne serait pas critiquable en soi si existait un lien de causalité entre le moyen (une refondation du droit du travail) et l’objectif poursuivi (aider les PME à embaucher et, plus généralement, lutter contre le chômage). Or il n’en est rien, nul n’ayant pu établir de causalité entre Code du travail et niveau de chômage. On a beaucoup pris pour modèle le Jobs Act italien pour affirmer qu’un plafonnement des indemnités prud’homales permettait de réduire le chômage. En réalité, la loi italienne a, parallèlement à la mise en place du barème, accordé aux entreprises de très importantes exonérations de charges (8 000 euros par salarié la première année), ce qui rend toute conclusion hasardeuse !

La violation efficace

À pousser trop loin la logique instrumentale, on en est arrivé à des raisonnements qui font totalement fi de la logique du droit. Et notamment à concevoir le juge, dans son rôle fondamental d’évaluation des préjudices, comme une source d’arbitraire ! L’exécutif a beau avoir renoncé à plafonner les indemnités prud’homales, l’idée de permettre à un acteur, quel qu’il soit, de connaître à l’avance le coût de la violation du droit dépasse l’entendement.

Bien sûr, cette pratique existe, en droit du travail comme ailleurs, notamment en matière de CDD. Un certain nombre d’entreprises pratiquent, parfois en toute bonne foi (savoir ce qu’est un emploi par nature temporaire ou non peut être une gageure), le recours au CDD en dehors des cas prescrits par la loi, ce d’autant plus que nombre de salariés hésiteront à aller aux prud’hommes pour demander la requalification en CDI. Mais c’est tout autre chose que d’organiser, par la loi, une telle pratique !

Droit et incitation

La fonction instrumentale du droit peut se traduire, de façon moins radicale, par cette idée qu’il faut construire les bonnes incitations pour conduire au comportement jugé désirable ou efficace. Typiquement, le dispositif de surtaxation des CDD courts, qui reste insuffisant par son taux et ses exclusions, répond à cette fonction d’incitation. Il doit conduire à ce que les entreprises recrutent en CDI sans être tenues par le mécanisme classique obligation/sanction.

Autre exemple, celui du bonus-malus ou de l’experience rating qui consiste à faire supporter à chaque employeur les coûts générés par ses licenciements. Aux États-Unis, l’administration prend en compte, pour le calcul des cotisations sociales, l’historique de l’entreprise depuis sa création et applique un barème de calcul tenant compte du volume de licenciements de chaque employeur. L’idée du contrat de travail unique repose, en France, sur un mécanisme analogue, avec le remplacement du contrôle du juge sur le motif de licenciement par un système de taxation. C’est là que le bât blesse : l’incitation peut concourir à renforcer l’efficacité des protections si elle complète la réglementation (le contrôle du motif de licenciement, celui des cas de recours au CDD, etc.) ; en revanche, elle devient une technique de déréglementation si elle s’y substitue.

Tout ça pour quoi ?

À ce jeu, on risque gros, car le haut niveau de productivité du travail en France est assurément dû, en partie au moins, à notre forte protection des salariés, à la sécurité que leur offre le droit du travail. Si l’on considère que c’est par la qualité du travail, pas par son coût, que la France gagnera des parts de marché, abaisser les protections n’est certainement pas la solution. De ce point de vue, le signal initial qui consistait à fractionner le repos pour le forfait jours ou pour les astreintes n’est pas bon, pas plus que le projet originel qui permettait de faire travailler les apprentis mineurs au-delà de 35 heures. De même, la qualité du travail tient aussi à celle des relations sociales dans l’entreprise, ce qui rend sceptique sur l’opportunité du référendum ! On risque, par ce biais, de tendre les relations entre syndicats et salariés, et entre salariés eux-mêmes (voir les tensions entre cadres et employés chez Smart).

Cela ne veut pas dire qu’il faut en rester au statu quo, mais passer par des mesures de simplification bien ciblées, notamment pour rayer les complexités inutiles qui traversent encore le Code (travail d’ailleurs largement accompli par la commission de recodification de 2008). On peut d’ailleurs noter avec intérêt que le projet de réforme comprend des mesures d’accès au droit pour les PME : il est prévu que tout employeur d’une entreprise de moins de 300 salariés a le droit d’obtenir une information personnalisée et délivrée dans des délais raisonnables lorsqu’il sollicite l’administration sur une question en rapport avec l’application des dispositions du Code du travail ou des accords et conventions collectives qui lui sont applicables.

Il faut, en outre, prendre à bras-le-corps la question de l’essor du travail indépendant et, avec lui, celle de l’autonomie dans le travail. Cela passe par l’attribution de droits aux salariés, comme le droit à la déconnexion. Cela passe aussi, au-delà des réserves qui entourent souvent cette approche, par la reconnaissance de « pouvoirs » aux salariés. Au niveau collectif, par une forme de codétermination à la française et, au niveau individuel, par un système qui pourrait être emprunté au flexible work anglais. Celui-ci permet au salarié de décider de ses conditions de travail (lieu, horaires, etc.), l’employeur ne pouvant s’y opposer que s’il a un motif raisonnable.

Cela veut dire surtout ne pas donner au droit du travail le poids qu’il n’a pas : c’est par la politique économique que l’on relance les créations d’emplois, pas par la réforme du Code du travail.

Pascal Lokiec

Professeur à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, où il codirige le master 2 Droit social et relations professionnelles. Il a publié Il faut sauver le droit du travail chez Odile Jacob (février 2015).

Auteur

  • Pascal Lokiec