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Décodages

Pas simple de lever le tabou de l’orthographe

Décodages | publié le : 03.04.2016 | Chloé Joudrier

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Pas simple de lever le tabou de l’orthographe

Crédit photo Chloé Joudrier

Difficile de l’avouer… mais faire des fautes est un vrai handicap. Les entreprises commencent à prendre conscience de l’enjeu.

Dans une petite salle au 23e étage de l’arche de la Défense, Martine, formatrice pour Demos, commence son cours d’orthographe. « Ce stage est intensif. Nous n’arriverons pas à tout résoudre en trois jours. Notre langue est riche et difficile à écrire. L’objectif est de mettre à plat vos difficultés », prévient-elle. Pour chacun des stagiaires présents, l’orthographe est devenue un vrai handicap au travail. Parmi eux, Alexandre, qui avoue s’être souvent aidé d’Internet pour corriger ses fautes, « mais cela ne suffit pas ». Et aussi Marina, qui rencontre des difficultés lorsqu’elle envoie des mails : « Là où certains passent une heure, je peux en passer dix. » Quant à Maëva, elle s’est fait « souvent aider par une collègue. Elle me faisait parfois des dictées. Au bout d’un moment je ne pouvais plus me cacher et mon employeur m’a proposé ce stage ».

Orgueilleux Français.

Une démarche managériale que tous les employeurs ne sont pas prêts à faire. Pas simple de suggérer à ses ouailles de retourner sur les bancs de l’école ! Pour Jean-Claude Olivier, gérant de L’Abeille, un fabricant de sodas à Cholet, le sujet reste ainsi compliqué à aborder de front avec ses salariés. « Je ne veux pas me mettre à dos de bons professionnels ni qu’ils se sentent agressés », confie-t-il. Malgré des problèmes repérés en interne, ce dirigeant ne propose aucune formation à ses troupes.

Se former à l’orthographe reste honteux. Car les Français sont, de ce point de vue, très orgueilleux. S’ils n’ont aucun mal à avouer leurs faiblesses en maths, il leur est beaucoup plus difficile d’en faire autant quand il s’agit de la maîtrise de leur langue. Au grand dam de Bernard Fripiat. Formateur et animateur du blog Orthogaffe.com, celui-ci a déjà signé… une clause de confidentialité avec un P-DG « qui ne voulait pas que ça se sache » ! Pour surmonter la gêne et dédramatiser, tous les moyens sont bons. Quand Bernard Fripiat mêle l’humour à l’histoire « pour contextualiser et se souvenir grâce à des anecdotes rigolotes », Loïc Drouallière, formateur indépendant, transforme les dictées en « jeux de piste » en les parsemant de pièges.

Mais les choses changent. Pour preuve, tout un marché a émergé. Les plus grands organismes de formation ont ouvert des cursus dédiés, qui se placent dans le top 10 des offres les plus populaires. Des structures spécialisées ont aussi vu le jour, tels le Projet Voltaire, Opuslingua ou encore OrthoPass. « Le nombre d’élèves augmente tous les ans depuis 2008. Et nos clients sont majoritairement des entreprises », explique Guillaume Caillot, formateur chez OrthoPass. Le Projet Voltaire, lui, propose ses quiz d’orthographe à plus de 700 entreprises. À l’image du Toeic pour évaluer le niveau d’anglais, son certificat s’impose petit à petit comme une référence à inscrire dans son CV pour rassurer les recruteurs. Désormais, ni les salariés ni les entreprises ne peuvent plus faire comme si l’orthographe n’était pas un sujet. « Nous sommes dans l’instantané : ça tweete, ça facebooke, ça partage, ça commente… Nous ne prenons plus le temps de nous relire », souligne Dominique Marchand, d’Opuslingua.

La multiplication des canaux de communication se révèle un vrai cauchemar pour les entreprises. Un mail, un SMS ou un tweet truffé de fautes peut suffire à entacher l’image de l’entreprise. Le handicap du salarié devient alors un problème pour son employeur, qui voit sa notoriété mise à mal. Thomas Valeau, directeur de la relation clients chez Cyclocity – la filiale de vélos de JCDecaux –, a ainsi fait de l’orthographe une priorité. Pas question que ses conseillers, qui répondent de plus en plus par écrit aux questions des utilisateurs, ne maîtrisent pas la langue de Molière. Depuis 2014, l’orthographe fait partie intégrante du processus de recrutement, tous les candidats devant passer un test. « Nous l’avons aussi utilisé en interne pour repérer les conseillers ayant des difficultés et leur proposer des formations en ligne, confie le manager. On a vite levé le tabou en expliquant que tout le monde serait gagnant, salariés et entreprise. »

Auteur

  • Chloé Joudrier