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Laurent Bataille fait marcher Poclain au capital humain

Décodages | publié le : 03.04.2016 | Éric Béal

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Laurent Bataille fait marcher Poclain au capital humain

Crédit photo Éric Béal

Outil industriel moderne, gestion RH de terrain, formation permanente… le patron de cette ETI familiale mondialisée fait confiance au savoir-faire de ses équipes. Mais aussi à leur attachement à l’entreprise. En 2009, il obtenait ainsi un accord de compétitivité avant l’heure.

Des traits de peinture verts, jaunes et rouges sur le sol délimitent les passages sécurisés des zones dangereuses. Dans le grand hall de fabrication de Poclain Hydraulics, à Verberie (Oise), les ouvriers s’affairent autour des machines-outils. Ici, l’organisation est celle d’une usine de classe mondiale. Propriété d’une entreprise de taille intermédiaire, spécialisée dans les composants et transmissions hydrostatiques qui équipent pelles mécaniques, engins de BTP, machines agricoles, chariots élévateurs, balayeuses, camions, véhicules utilitaires et, depuis peu, voitures lambda. « Nos dispositifs permettent aux voitures de bénéficier de quatre roues motrices sans supporter la traînée et le poids des transmissions mécaniques », explique Antoine Riesser, le responsable de la production de l’usine.

Le site français du groupe Poclain ne peut néanmoins cacher les vestiges d’une histoire étroitement liée à la famille Bataille. L’entreprise fut créée en 1926 par Georges Bataille, le grand-père de Laurent et de son frère Guillaume, respectivement P-DG et directeur général. Vendue au groupe américain Case dans les années 1970, la marque Poclain disparaît dans les méandres des fusions-acquisitions. Mais la filiale Poclain Hydraulics est rachetée en 1985 par ses fondateurs. L’an dernier, Laurent Bataille a aussi récupéré le nom de Poclain. Une façon de recréer le lien entre l’aventure industrielle des moteurs hydrauliques d’aujourd’hui et celle du matériel agricole et des pelles mécaniques d’hier. Les différentes générations de Bataille détiennent 75 % du capital du groupe, à côté du fonds d’investissement des salariés (5 %) et de banquiers partenaires.

Ouverte en 1968, l’usine de Verberie côtoie un ancien bâtiment industriel qui abrite le restaurant d’entreprise et un amphithéâtre. Non loin se dressent les locaux défraîchis de l’ancien siège social, récemment déplacé à proximité. Services marketing, R & D et logistique sont installés dans d’autres bâtiments. Quelque 500 personnes travaillent sur le site picard. Pour un effectif mondial de 2 200 personnes réparties dans 11 usines et une dizaine d’agences commerciales dans le monde. Aujourd’hui, le groupe Poclain allie une gestion un brin paternaliste influencée par les valeurs chrétiennes de son patron, une internationalisation à marche forcée et une innovation technique continuelle.

Se serrer les coudes pour produire en France

Dès sa prise de fonction, en 2002, Laurent Bataille promet de toujours garder une partie de la production en France, auprès des services de R & D. « Une partie plus importante de la production aurait pu être transférée dans des pays à moindre coût. Mais ce n’est pas dans notre mentalité de suivre une logique de cost cuting. Notre compétitivité est assise sur nos investissements de long terme dans le savoir-faire de nos équipes et le système de management qui permet de travailler de façon agile, pour répondre aux exigences des clients », explique Alain Everbecq, le DRH du groupe. Youri Gay, le délégué CFTC, confirme cet engagement à produire made in France sur le long terme. En s’en donnant les moyens. « La situation a bien évolué entre l’usine vieillissante que j’ai découverte il y a 27 ans et l’établissement moderne dont nous bénéficions aujourd’hui. »

Mais cet ancrage dans l’Hexagone a un prix. Lorsque les commandes se sont effondrées, en 2009, Laurent Bataille a rencontré ses représentants du personnel et leur a tenu « un discours de vérité ». Le chiffre d’affaires avait chuté de 25 %. Afin d’éviter un plan social, synonyme de départ pour 120 personnes et de perte de savoir-faire pour l’entreprise, il fallait baisser tous les salaires. Un P-DG moins proche de ses troupes aurait suscité l’ire des syndicats et la contestation. Pas lui. À force d’explications, le patron de Poclain obtient leur accord pour une baisse de 20 % du temps de travail et de 7 à 10 % des salaires. 92 % des salariés consultés en référendum ont accepté. Les plus anciens ont négocié leur départ. Seule une minorité a contesté en justice.

La mesure a duré neuf mois, le temps que le rythme des commandes retrouve un niveau normal. « Nous sommes dans une entreprise familiale, explique Xavier Haghebaert, le délégué CGT. Le président et le DG sont très accessibles. Tous les salariés sont tenus au courant des résultats mensuels et le comité d’entreprise est représenté en assemblée générale des actionnaires. Cela n’empêche pas les désaccords, mais ça facilite la discussion. » À l’époque, cet accord de compétitivité avant l’heure avait suscité l’intérêt du gouvernement. Qui a, depuis, repris l’idée pour l’introduire dans le Code du travail.

Polyvalence et responsabilisation

Le management s’appuie sur le savoir-faire des équipes de production. L’organisation des usines en îlots indépendants permet à chaque équipe de suivre son propre rythme de travail. Entre les salariés du matin, ceux de l’après-midi et ceux de nuit, 175 personnes, dont une trentaine d’ingénieurs, travaillent dans l’usine de Verberie à la fabrication des plus gros moteurs de la gamme Poclain. Les matériels plus légers sont produits en Inde et en République tchèque pour des questions de coût de revient.

L’entreprise a adopté les meilleures techniques managériales et organisationnelles déployées dans l’industrie au niveau mondial. À commencer par les chantiers 5S, du nom de cette technique de management japonaise qui vise à l’amélioration continue des tâches effectuées. Lorsque la planification de la production le permet, les opérateurs discutent par exemple du rangement et de la propreté des lieux, mantra d’une efficacité maximale. Autre recette organisationnelle, la méthode Smed, qui permet le changement de série sur un îlot de production en moins de dix minutes. Le lean management, aussi, fait partie de la culture interne.

« Dans chaque îlot, les équipes reçoivent un retour sur les résultats de la veille et la performance des machines. Les problèmes rencontrés en matière de production, de sécurité et de productivité sont passés en revue. L’équipe doit analyser la situation et établir un plan d’actions pour trouver une solution en moins de vingt-quatre heures », indique Antoine Riesser, responsable de production. Tous les îlots sont équipés d’un paperboard pour partager l’information. Chaque ouvrier est responsabilisé et doit monter en compétence. Son manager attend de lui qu’il maîtrise parfaitement l’utilisation d’une, puis de plusieurs machines. En bout de cycle de formation, il doit être capable de former un collègue sur les équipements dont il se sert. « Permettre aux gens de se former et de progresser renforce l’attractivité d’une entreprise », veut croire Laurent Bataille.

Certes, mais cela ne suffit pas. « Il y a une vraie frustration dans les équipes sur cette exigence de polyvalence, assure Xavier Haghebaert, de la CGT. L’ancien système de coefficients accordait des petits plus financiers à ceux qui se formaient, mais il est tombé en désuétude et n’a pas été remplacé. » La situation devrait cependant évoluer. Depuis début février, des réunions de travail sur le sujet rassemblent tous les quinze jours deux opérateurs syndiqués, un responsable RH, un superviseur et des responsables méthodes, qualité et maintenance. Objectif : mettre au point une nouvelle grille de coefficients.

Miser sur le capital humain

« On investit dans la R & D et la formation du personnel car nous travaillons sur le long terme », martèle Laurent Bataille. L’affirmation a beau émaner du big boss, elle n’est pas contestée par ses partenaires sociaux. Qui reconnaissent que la maison a le souci des hommes. « L’entreprise évolue rapidement. La direction a une ambition mondiale et les réorganisations se succèdent, mais sans plan social, ce qui facilite les évolutions de carrière », confirme Frédéric Legros. Le délégué CFE-CGC, premier syndicat de l’entreprise devant la CGT, en a lui-même profité. Arrivé il y a sept ans en tant que technicien d’études, il est aujourd’hui responsable de la logistique et de la planification.

Son collègue, Ignacio Llamazares, ingénieur de formation, est, lui, parti en Asie ouvrir des filiales commerciales, sous contrat local. « Pas de problème, on m’avait promis de me reprendre à mon retour en France, avec prise en compte de l’ancienneté et révision salariale », explique celui-ci. Qui travaille aujourd’hui à la R & D, à Verberie. Si la direction de Poclain bénéficie de la confiance des troupes, c’est qu’elle cultive son attractivité. Notamment à l’égard des cadres et des ingénieurs, à qui elle propose toute une gamme de formations à la demande autour des principaux métiers : ingénieur d’application, acheteur ou responsable méthodes. L’entreprise s’est aussi dotée d’une cartographie des besoins qui lui permet d’anticiper et d’accompagner les choix de carrière exprimés.

À l’instar des grands groupes, Poclain s’est donné les moyens d’améliorer sa gestion du personnel. « Tous les sites de production ont un responsable RH. C’est un investissement, mais cela permet de quadriller le terrain et d’être en mesure d’écouter, d’expliquer et d’anticiper les problèmes, indique Pierre-Emmanuel Goll, le responsable des relations sociales. Un séminaire d’intégration est organisé deux fois par an en France pour les nouvelles recrues, quelle que soit leur localisation dans le monde. Nous le proposons à tous les niveaux hiérarchiques, mais il faut savoir parler anglais », précise le cadre supérieur. Le groupe sacrifie également au rituel de l’entretien annuel, disponible en sept langues, et procède à une enquête sociale interne tous les 18 mois. Au menu, des questions sur l’image de l’entreprise, la rémunération, les conditions de travail, le management, la stratégie ou la qualité des produits.

Les résultats ont directement conduit la direction à rénover les bâtiments des unités de production pour améliorer l’image de l’entreprise en interne. Cette mise aux standards internationaux se poursuit. Il y a deux ans, la DRH s’est dotée d’un système d’information qui alimente tous les sites dans le monde. Le catalogue de formations devrait aussi prochainement être accessible à l’ensemble des salariés du groupe. Un détail révélateur de la volonté de la direction d’attirer et de conserver les talents dont elle a besoin.

En chiffres

2 200

salariés, dont

650

en France.

300 millions d’euros

de chiffre d’affaires (en 2014).

Auteur

  • Éric Béal