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À Cluj, la Roumanie s’inspire des écoles de code à la française

Décodages | publié le : 03.04.2016 | Marianne Rigaux

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À Cluj, la Roumanie s’inspire des écoles de code à la française

Crédit photo Marianne Rigaux

Des dizaines de Roumains se forment gratuitement au code informatique chez Academy+Plus et Simplon Romania. Selon une pédagogie innovante venue de France. Reportage auprès de ces futurs programmeurs.

Située au centre de la Roumanie, la ville de Cluj-Napoca évoque davantage les forêts de Transylvanie que l’informatique. Et pourtant, la localité passe pour la « Silicon Valley de l’Europe ». Ce n’est donc pas un hasard si deux écoles françaises de code possèdent ici des petites sœurs. À l’entrée des locaux d’Academy+Plus s’affiche le slogan Born to code, comme chez son modèle français, l’école 42 parisienne de Xavier Niel. Créée en 2013, cette dernière a inspiré le Franco-Roumain Bogdan Herea, qui a ouvert la première réplique à l’étranger sur sa terre natale.

Ce quadra natif de Bucarest connaît bien la France. Il y a passé huit ans, comme étudiant puis entrepreneur. En 2005, il revient en Roumanie pour créer Pitech+Plus, une entreprise qui travaille en sous-traitance informatique pour des sociétés françaises. C’est ainsi que de nombreux sites Web de marques de luxe sont fabriqués à Cluj. « Les commandes de l’agence de communication Publicis représentent 50 % du chiffre d’affaires », indique le patron. Avec son école de code lancée en 2014, il peut recruter à domicile et fournir des développeurs aux entreprises de la région en pleine expansion. Toujours à l’affût de clients et de projets, il retourne en France toutes les deux à trois semaines. Son prochain chantier ? Ouvrir une école de code en Moldavie en novembre prochain.

Son école à lui, Academy+Plus, occupe le troisième étage d’un immeuble de Cluj. De part et d’autre du couloir central s’alignent des salles baptisées de noms de planète : Altaïr, Sirius, Damogran. Dans l’une d’elles, de gros coussins et une console de jeux invitent à la détente. Toutes les autres sont pourvues d’ordinateurs à perte de vue. Ici, pas de professeur, pas d’emploi du temps. Les locaux sont ouverts 7 jours sur 7, jour et nuit. Les étudiants viennent quand ils le souhaitent travailler sur leur projet : un site de vente en ligne, une application révolutionnaire, un jeu vidéo… L’établissement applique les mêmes méthodes que l’école 42. D’abord, un test en ligne, qui permet de sélectionner les prétendants à la « piscine ». Puis un mois d’immersion avec des problématiques de code à résoudre, sans consigne. Pour la première promotion, en 2014, 70 élèves ont été retenus. Pour la deuxième, à l’été 2015, le double. « On aimerait sélectionner 200 à 250 étudiants lors de la prochaine », ambitionne Bogdan Herea.

Un secteur lucratif.

« Nous avons un partenariat avec l’école 42 : nous utilisons leur dispositif et en échange nous enrichissons les contenus de cours », ajoute l’entrepreneur. Le dispositif en question, c’est la « moulinette », un système automatique qui surveille les lignes de code des étudiants, leur progression et leurs erreurs. Comme chez sa grande sœur française, le programme est entièrement gratuit et la promotion hétéroclite. Celle-ci est composée en majorité d’étudiants à l’université mais compte aussi 30 lycéens et quelques salariés en reconversion. L’idée de changer de voie attire. De tous les secteurs, les technologies de l’information sont celui qui offre les meilleurs salaires et le plus de débouchés en Roumanie. Un développeur Web junior débute avec une rémunération comprise entre 400 et 500 euros, soit le salaire moyen roumain. « Mais un programmeur gagne ensuite autant que s’il travaillait en province en France », assure Bogdan Herea.

La formation à Academy+Plus dure en théorie trois ans, mais rien n’empêche d’arrêter plus tôt en cas d’opportunité de stage ou d’embauche. Trente étudiants ont déjà trouvé du travail au bout de quelques mois. Alice, cheveux roses et badge « piscine » autour du cou, faisait partie de la première promotion. « J’arrivais d’un lycée de musique, je ne connaissais rien à cet univers. » Dix-huit mois plus tard, la voilà totalement dans le bain. Elle commence un stage intensif de quatre semaines de java, un code informatique, à raison de six heures par jour. « Je vais candidater ensuite à un stage, si possible dans une start-up », précise-t-elle pendant la pause.

Alex, le mentor du stage, aurait bien aimé étudier dans une école comme Academy+Plus. Lui a fait un master à l’université de Timisoara : « Beaucoup de théorie, peu de pratique. » Après quatre ans en entreprise, il a rejoint l’équipe de Bogdan Herea comme mentor et développeur de contenus. Et il s’en réjouit. « Je suis content d’enseigner le code à des gens qui n’auraient jamais eu la chance de devenir programmeurs sans cette formation. J’ai des électriciens, des employés du secteur financier, des étudiants en architecture, en communication… Ils sentent l’importance du code pour leur futur. »

Taille humaine.

Autre école, autre esprit. À Simplon Romania, on sait aussi l’importance du code, comme l’annonce le slogan In code we trust. À l’instar d’Academy+Plus, l’établissement a ouvert en 2014, à Cluj. Lui aussi forme gratuitement des développeurs, en s’inspirant d’une école française. Les similitudes s’arrêtent là. « Nous, on fait du social à taille humaine », précise Roxana Rugina. Originaire de Braila, petite ville sur le Danube, cette geek porte le projet depuis l’origine. Âgée de 29 ans, elle a presque autant de casquettes : directrice, entrepreneuse social, chef de projet, chef d’équipe…

Après des études en sciences humaines, et quelques années dans la publicité à Bucarest, direction Paris : malgré ses deux masters en poche, elle ne trouve pas de travail. Elle apprend la programmation, seule, avant de découvrir Simplon.co, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), une école de code solidaire. C’est le déclic. « J’avais enfin trouvé un endroit où tout était possible. » Elle intègre la première promotion, développe une application pour autistes puis une autre pour les personnes âgées. Au bout de trois mois, en décembre 2013, l’idée germe dans sa tête : ouvrir un Simplon en Roumanie. « Quelques jours avant Noël, j’ai gagné 2 500 euros dans un concours pour lancer une start-up. J’ai dû créer ma société en deux jours. Un véritable challenge avec la bureaucratie roumaine. »

La voilà partie à Cluj, un choix qu’elle juge naturel : « C’est une ville ouverte aux autres cultures, qui bouge. On y prend davantage notre temps qu’à Bucarest mais la qualité des résultats est meilleure. » Elle installe Simplon dans un espace de coworking du centre-ville, une maison datant de 1895 au charme désuet. « La Securitate, la police politique, occupait les lieux sous Ceausescu pour écouter les conversations », confie-t-elle. Au rez-de-chaussée se trouve Ruby Tribe, une start-up qui élabore des applications. À l’étage, les deux collaboratrices de l’école et les salles de cours. Ambiance tables partagées, ordinateurs portables et casques sur les oreilles.

À Simplon, la formation dure six mois. La première session, lancée en octobre 2014, a reçu 100 candidatures. Douze seulement ont été retenues. Roxana expose sa vision d’entrepreneuse social : « Nous sélectionnons uniquement des adultes en reconversion, venant d’un milieu désavantagé. Il peut s’agir de problèmes financiers, d’origines rurales, d’un handicap. C’est un public qui a besoin d’un suivi continu pour ne pas se décourager au premier obstacle. Alors, douze, c’est une bonne taille pour que le formateur puisse suivre chaque étudiant personnellement. » Les heureux élus travaillent sur un projet informatique, entourés de mentors. « On ne leur demande pas de coder pour coder. On les encourage à réfléchir à la technologie et à son impact social », précise-t-elle.

Scanner la peau.

Marius Siklodi faisait partie du premier programme. Lorsqu’il décide d’arrêter l’université de musique pour intégrer Simplon, ses parents le soutiennent. « J’étais curieux, attiré par la programmation, et surtout il est plus facile de trouver un travail dans ce secteur que dans la musique ». À 26 ans, il travaille désormais au sein d’une équipe de 10 développeurs sur l’application SkinVision, qui permet de scanner ses grains de beauté pour prévenir les cancers de la peau. Son salaire ? Il préfère ne pas le dévoiler mais le qualifie de « plutôt bon ». « Certains viennent dans ce secteur pour l’argent. Moi j’aime réellement ça », affirme-t-il. D’ici quelque temps, il se verrait bien en Allemagne ou en Angleterre, toujours « par curiosité ».

Comme Marius, 10 des 12 participants de la première session de Simplon ont trouvé un travail dans l’informatique. Les deux autres sont retournés dans leur secteur initial. La sélection de la deuxième promotion est en cours. En attendant, Roxana Rugina a lancé digital kids, un cours de code pour les 8-15 ans. « Les enfants sont une matière pure : ils pensent que tout est possible. Il est important de les exposer le plus tôt possible à une logique de pensée ouverte », explique-t-elle. Roxana pourrait tout gérer toute seule, en travaillant dix-huit heures par jour. Mais elle a préféré recruter deux salariés, quitte à se payer moins elle-même. « J’ai des offres de travail toutes les semaines, à Genève, à Bruxelles, dans des start-up aux États-Unis, payées quatre fois plus. Mais je préfère faire avancer le social en Roumanie. »

Les Roumains, champions du Web

Vous cherchez une bonne connexion Internet ? Venez en Roumanie. D’après un classement établi en 2013 par l’agence Bloomberg, le pays se classe au troisième rang des meilleures vitesses de bande passante, derrière Hong Kong et le Japon. La connexion y est deux fois plus rapide qu’aux États-Unis…

Si surprenant que cela puisse paraître, la Roumanie a toujours été en pointe, même sous la dictature communiste. Au milieu des années 1980, Nicolae Ceausescu lance un programme pour soutenir l’apprentissage de l’informatique dans les écoles. Le système éducatif encourage une tradition d’excellence dans les sciences exactes comme les mathématiques et l’informatique.

Après la chute du communisme, en 1989, la Roumanie commence à commercialiser son propre ordinateur : le CIP. La fin de la dictature permet la libéralisation du marché des télécommunications et l’ouverture aux entreprises étrangères. En 1992, le studio de jeux vidéo Ubisoft choisit Bucarest pour ouvrir son premier bureau hors de France. De nombreux opérateurs proposent des connexions performantes, dès la fin des années 1990.

Les cybercafés se multiplient dans les années 2000 et la Roumanie saute des étapes : les câbles de cuivre amenant Internet sont rapidement remplacés par la fibre optique. À l’échelle mondiale, les développeurs roumains sont réputés être de bon niveau. On dit d’ailleurs souvent que la deuxième langue de travail de Microsoft, c’est le roumain. Seule ombre au tableau, le pays est souvent cantonné dans l’outsourcing et innove encore peu.

Auteur

  • Marianne Rigaux