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Seniors, on vous veut (mais pas trop)

À la une | publié le : 03.04.2016 | Manuel Jardinaud

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Seniors, on vous veut (mais pas trop)

Crédit photo Manuel Jardinaud

Malgré un taux d’emploi en hausse, les plus de 55 ans demeurent abonnés aux départs anticipés. Accords et engagements n’y font rien, les DRH peinent à appliquer des politiques cohérentes à leur intention.

Une grande cause. De celles qui, parfois, unissent dirigeants politiques, employeurs et syndicats. Un combat à la fois européen, national et au sein de chaque entreprise. Cette cause ? L’emploi des seniors. À première vue, les mobilisations successives des pouvoirs publics et des acteurs économiques depuis le début des années 2000 ont porté leurs fruits. De 2003 à 2014, le taux d’emploi des 55-64 ans est passé de 37 % à 47 %. Un bond exceptionnel qui permet à la France, longtemps bonnet d’âne à Bruxelles, de presque tutoyer la moyenne de l’Union européenne, qui s’établit à 51,8 %.

« Mais nous ne sommes même pas encore à 50 %, relativise Anne-Marie Guillemard, professeure émérite à l’université Paris Descartes et auteure des Défis du vieillissement (Armand Colin, 2010). Aujourd’hui, nous observons certes une progression de l’âge de liquidation de la retraite. Mais aussi une augmentation de la durée du chômage des seniors. C’est surtout sur la sortie effective du marché du travail qu’il convient de s’améliorer encore. »

Maintenir davantage les seniors dans l’emploi ? Pas simple, alors que la crise économique sévit durement dans l’Hexagone depuis 2008. Et que les employeurs doivent se désintoxiquer de leur propension à se séparer de leurs troupes ayant le plus d’ancienneté. « Nous devons faire en sorte que, lorsque les seniors restent dans l’entreprise, cela ne soit pas un problème pour recruter des juniors alors que nous avons à équilibrer notre masse salariale », explique doctement Mickaël Hoffmann-Hervé, directeur général délégué chargé des ressources humaines de Randstad France.

Longtemps sacrifiés.

De fait, les injonctions publiques à s’intéresser à cette frange de salariés longtemps sacrifiés se sont exprimées très progressivement. Les discours du management et des ressources humaines s’en sont donc imprégnés petit à petit. « Après le plan national pour l’emploi des seniors de 2006, puis les accords et plan d’actions de 2009, les entreprises ont dû commencer à se positionner. La question est enfin devenue une matière RH », estime Natacha Pijoan, maître de Montpellier.

À partir de 2013, et malgré leur faible succès en termes de recrutements, la signature d’accords liés aux contrats de génération dans les entreprises de plus de 300 salariés achève une séquence commencée presque une décennie plus tôt en obligeant les employeurs à formaliser des actions spécifiques et ciblées. La lecture de ces textes donne une idée assez précise des différents leviers sinon utilisés, du moins envisagés, pour garder les seniors. Une batterie d’actions aussi diverses que l’incontournable entretien RH de fin de carrière, le maintien ou la progression de l’accès à la formation, des efforts en matière de mobilité professionnelle, l’incitation au temps partiel… Et, sorte de Graal trouvé par les DRH et les organisations syndicales, l’instauration d’actions de tutorat ou de mentorat pour transmettre les savoir-faire des plus anciens aux plus jeunes.

Pas un sujet prioritaire.

Une grande marmite au sein de laquelle responsables RH et managers picorent au gré des priorités, des contraintes et des perspectives de leur entreprise. « Mais ce n’est toujours pas un sujet que l’on met en haut de la pile », reconnaît avec honnêteté Mickaël Hoffmann-Hervé. Et le dirigeant n’est pas le seul à agir de la sorte. Interrogé sur un dispositif innovant intitulé « contrat nouvelle orientation », destiné depuis 2009 aux salariés approchant de leur fin de carrière, Proservia (ManpowerGroup) explique l’avoir finalement peu développé… Et donc ne pas pouvoir parler du sujet.

Autre exemple d’entreprise peu prolixe, le groupe Vaillant, spécialiste de produits liés à l’eau, cité en exemple en 2009 par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail pour ses actions en direction des seniors. Sa direction répond ne pas avoir « actuellement de politique volontariste sur ce sujet ». Solystic ne cherche pas davantage à faire parler de lui sur le sujet. L’entreprise experte en solutions postales a certes engagé, dès 2010, une série de mesures favorables à ses salariés les plus âgés en matière de formation, d’entretiens RH, de santé au travail et d’aménagements de fin de carrière. Mais aujourd’hui, elle refuse de communiquer sur cette approche globale, souhaitant surtout toucher les jeunes recrues. En matière de gestion des seniors, manque donc la constance. Les entreprises lancent des politiques RH au coup par coup. Parmi les bons élèves actuels, le groupe Mane, un des leaders mondiaux de la production de parfums et d’arômes, qui emploie 1 600 personnes en France (5 200 dans le monde). « Notre politique en direction des seniors est liée au fait que nous sommes dans une dynamique économique positive, explique d’emblée Pascal Chapelon, le DRH du groupe. Nous sommes confrontés à une problématique très importante, le maintien, le développement et le transfert de nos savoir-faire. »

Dispositif prêt à porter.

Un gros travail sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences a été mené, notamment sur l’évolution des métiers et les besoins en effectifs, avec des transmissions de compétences qui courent sur des temps longs. « Les seniors doivent absolument y contribuer, donc nous avons décidé d’augmenter le taux d’emploi de cette population de 7 % à 10 %, en limitant notamment les départs anticipés », témoigne le DRH, qui insiste sur la spécificité de son activité au savoir-faire séculaire. D’où l’instauration du tutorat comme mesure pivot. Soixante-dix volontaires chapeautent des jeunes apprentis de l’école interne du groupe pendant deux ans. « Cette mission est inscrite dans la fonction même des parfumeurs depuis notre accord contrat de génération de septembre 2013 », précise-t-il.

À La Mutuelle générale, qui ne rencontre pas la même problématique, le tutorat est également un axe fort de l’accord contrat de génération signé début 2015. Hélène Terrien-Thomas, responsable RH métiers et développement RH, vante cette « création de solidarité entre générations », qui conduit aujourd’hui 8 tuteurs d’alternants sur 33 à avoir plus de 55 ans. « Un taux élevé compte tenu de la jeunesse du dispositif », estime-t-elle. Mais faible au regard des 20 % de seniors sur les 2 000 salariés que compte l’entreprise. Chacun bénéficie de deux jours de formation, d’une prime avoisinant 1 000 euros par an et de la valorisation de la mission dans l’entretien d’évaluation. Même si le temps dédié ne doit pas excéder vingt-six jours ouvrés par an.

Dans les accords en direction des seniors, le tutorat fait partie des outils les plus utilisés. Un dispositif prêt à porter bien commode, avec des modalités plus ou moins avantageuses pour les salariés en termes d’aménagement du temps de travail, de formation ou de prime. Une formule magique ? Pas sûr. « Si la solution peut être parfois positive pour l’entreprise, elle ne l’est pas souvent pour le senior », estime Xavier Bonduelle, président de l’Institut du management des ressources humaines. Selon lui, cette mesure, même fondée sur le volontariat, « rend insidieusement impossible toute reconversion ou évolution en tournant le senior vers le passé ».

Natacha Pijoan enfonce le clou. « Si tous les seniors deviennent tuteurs, ils ne créent plus de valeur et se retrouvent dans une sous-catégorie de salariés. Cela alimente le cercle vicieux de l’image dégradée des travailleurs âgés. » Parmi les 126 accords seniors analysés par ses soins, la pratique du tutorat est l’une des trois actions préférées des DRH et syndicats. Or, proposé clés en main, et sans réflexion sur son efficacité, le tutorat peut avoir un effet délétère sur la capacité des seniors à rester dans l’emploi. Car il limite leur mobilité ou leur propre accès à la formation, missionnés qu’ils sont à accompagner l’intégration des jeunes embauchés.

Effets pervers.

Le diable se cache potentiellement dans chaque dispositif. C’est par exemple le cas en ce qui concerne les départs anticipés que peuvent instamment demander les salariés usés, avec le soutien des organisations syndicales. Mais aussi des DRH, parfois plus soucieux de maintenir leur masse salariale que le nombre de postes. L’interdiction de mettre un salarié à la retraite d’office avant 70 ans a des effets à la fois positifs et pervers. Ceux qui décident de rester coûte que coûte au sein de l’entreprise, aussi longtemps que possible, peuvent grever les augmentations de salaire et les recrutements de nouvelles compétences.

En matière d’emploi des seniors, les solutions miracles n’existent pas. Hélène Terrien-Thomas parle même de « réponses académiques ». Chaque brique RH a son utilité, parfois en contradiction avec sa voisine. D’où la difficulté de trouver une cohérence parfaite. « Si l’on arrive à concilier des enjeux organisationnels comme les besoins de mobilité, de formation et d’élévation des compétences pour améliorer le résultat de l’entreprise et que cela aide en même temps l’emploi des seniors, c’est gagné », veut croire Natacha Pijoan. Un vœu pieux ? Pour bien gérer les seniors, les employeurs doivent souvent faire du cas par cas. « Aucune carrière ne ressemble à une autre, confirme ainsi le DRH de Randstad France. Il faut considérer chaque situation de manière individuelle. » Ce qui ne facilite pas la tâche des services RH.

Contrats de génération : le flop

Ce devait être la grande avancée sociale, promise par le candidat Hollande avant son élection à la présidence de la République en 2012. Ce fut en réalité un échec retentissant. Les fameux contrats de génération, censés faciliter le recrutement de jeunes tout en maintenant les plus âgés dans l’emploi, ont raté leur cible. En février 2016, la Cour des comptes s’est livrée à une attaque en règle de ce dispositif, d’abord destiné à des binômes jeunes-seniors puis intégré à des accords plus larges pour les entreprises salariant plus de 50 personnes. Dans son rapport, la Cour rappelle la cible initiale : 500 000 contrats signés fin 2017. Fin juillet 2015, elle en dénombre 40 300 alors que 220 000 étaient espérés à cette échéance. Concernant les accords collectifs, elle évalue à seulement 8 millions le nombre de salariés couverts sur un total de 23 millions. Un fiasco.

Si la quantité d’accords fait défaut, la qualité n’est pas non plus au rendez-vous. Les magistrats de la Rue Cambon estiment que, « en ce qui concerne l’embauche et le maintien dans l’emploi des salariés âgés, les objectifs affichés par les branches apparaissent modestes ». De fait, ceux-ci se limitent le plus souvent à ne pas dégrader la situation. Le minimum syndical, en quelque sorte. En outre, sur la partie concernant le diagnostic de la situation des seniors, la Cour estime que les accords reprennent purement et simplement « des dispositions déjà prescrites par le Code du travail », telles l’élaboration d’une pyramide des âges ou des prévisions de départs à la retraite. Pis, le rapport met en lumière, dans quelques grandes entreprises, des textes qui « frôlent même le paradoxe, comme ceux qui favorisent les départs précoces des seniors ». C’est-à-dire l’exact opposé de l’esprit de la loi.

47 %

C’est le taux d’emploi des 55-64 ans.

7 %

C’est leur taux de chômage.

38,1 %

C’est la proportion de retraités qui ont perçu un salaire l’année précédant l’arrêt de leur activité.

Sources : Dares 2015 (chiffres 2014) ; PLFSS 2016 (chiffres 2013).

Auteur

  • Manuel Jardinaud