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Le revenu universel garanti encourage-t-il l’assistanat ?

Idées | Débat | publié le : 03.03.2016 |

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Le revenu universel garanti encourage-t-il l’assistanat ?

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Alors que la Finlande prévoit de généraliser le revenu universel en 2017, en France, le Conseil national du numérique défend le principe d’une expérimentation. Remède à la complexité du système actuel, cette allocation serait un droit mettant fin à l’assistanat.

Yannick L’Horty Professeur d’économie à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée.

Soyons clairs, l’allocation universelle est aux antipodes de l’assistanat. En donnant le même montant d’aide à tous, elle rendrait caduque la catégorie même d’assisté. En découplant le montant de l’aide des besoins sociaux, elle placerait chacun dans une situation d’hyperresponsabilité, à l’opposé d’une logique d’assistance. En remplaçant toutes les aides, elle modifierait en profondeur l’organisation de la protection sociale. Il s’agit en effet de substituer une allocation universelle à l’univers d’allocations conditionnelles. Elle remplacerait le RSA et la prime d’activité, l’indemnisation du chômage, les prestations logement, les pensions de retraite et les aides aux familles. Chacune de ces prestations plus ou moins ciblées sur des fonctions et des publics particuliers met en jeu des conditions d’attribution et des barèmes de calcul spécifiques. Le système additionne tous ces barèmes pour atteindre des sommets de complexité technique. Les allocataires doivent constituer des dossiers de demande, présenter des pièces justificatives, se rendre aux différents guichets sociaux pour faire valoir leurs droits. Le traitement de ces demandes par les administrations sociales emploie un grand nombre d’experts en prestations pour vérifier les dossiers, les traiter juridiquement et liquider les aides. À chaque changement de situation, des mises à jour sont effectuées qui supposent à nouveau des démarches et des vérifications. Toute cette industrie de l’assistance serait mise à bas par l’allocation universelle. Les personnes n’auraient plus aucun justificatif à fournir, plus aucune file d’attente à suivre pour faire valoir leur droit. Fini, le non-recours, les versements indus, les trop-perçus à rembourser… Chaque individu bénéficierait automatiquement d’un montant forfaitaire d’aide identique pour tous. Les conseillers sociaux pourraient réorienter leur activité vers des prestations non monétaires, autour de l’accompagnement social des bénéficiaires. Le revenu universel n’est pas sans inconvénients, car il met à bas tous les acquis de la protection sociale pour un bilan redistributif très incertain. Mais on ne peut lui reprocher d’encourager l’assistanat, qu’il supprimerait de la façon la plus radicale.

Gilles de Labarre Président de Solidarités nouvelles face au chômage.

Quatre objections au revenu minimum universel sont généralement mises en avant : il serait difficilement finançable, il découragerait le travail, il serait immoral car versé à des personnes qui n’en ont pas besoin et qui abusent du système, il serait injuste car laissant à certains la tâche de générer la richesse. Les expérimentations étrangères sont loin d’avoir apporté les catastrophes prédites, mais le débat en France se réduit souvent à des postures idéologiques alors que plusieurs dispositifs d’allocations sans contrepartie systématique de travail existent. Citons l’ASS, qui comporte des cas de dispense de recherche d’emploi, ou le RSA socle, l’ATA pour les demandeurs d’asile, les allocations chômage pour les dispensés de recherche… Ces allocations constituent, sans le dire, les premières briques d’un système plus large d’allocation universelle, mais elles n’ont pas été pensées comme système. Elles se caractérisent par leur grande complexité, leur illisibilité et leurs coûts, régulièrement dénoncés par la Cour des comptes. La question est de savoir si l’on peut « basculer » vers un système global, universel, plus simple. Quatre conditions sont nécessaires : d’abord, dépassionner le débat en s’affranchissant des échéances électorales et des idéologies. Une commission de sages pourrait travailler en se donnant un calendrier enjambant l’élection présidentielle. En second lieu, objectiver les données financières, car si le volet dépenses est facilement identifiable, le volet « économie et transferts sociaux-fiscaux » l’est difficilement. Les services de l’État, les instituts de recherche publics et privés, les think tanks devraient disposer d’un espace de confrontation et l’on pourrait imaginer une structure indépendante de contre-expertise. Ensuite, faire participer dès le départ les usagers et citoyens lors d’une consultation nationale. Enfin, envisager dès le départ une expression citoyenne du type référendum d’initiative populaire. Alors que de nombreux acteurs de tous bords reconnaissent que notre modèle de protection sociale est à bout de souffle, il serait regrettable de rejeter d’un revers de main la réflexion sur le revenu minimum universel.

Gaspard Koenig Dirigeant du think tank libéral GenerationLibre.

Tout le progrès de la lutte contre la pauvreté au cours des siècles a consisté à s’affranchir de l’aumône, avec ce qu’elle implique de paternalisme et de stigmatisation, pour concevoir l’aide aux plus démunis comme un droit fondamental. Le revenu universel couronnera cette évolution. L’assistanat se caractérise par la conditionnalité et l’arbitraire, qui restent les marques du système d’allocations actuel. Conditionnalité, parce qu’avant de vous accorder le moindre subside l’administration vous demande qui vous êtes, ce que vous faites, avec qui vous vivez, comment vous dépensez votre (peu d’)argent et ce que vous comptez bien faire dans votre vie. Les formulaires de demande du RSA sont des chefs-d’œuvre d’inquisition bureaucratique qui expliquent l’important taux de non-recours. La conditionnalité entraîne d’infinies procédures de vérification et de contrôle. Les procès pour indus du RSA, où un juge demande à des personnes en situation de détresse si oui ou non ils couchaient avec leur colocataire (ce qui change le calcul de la « familialisation »), font honte à la République.

Arbitraire, parce que les insiders tirent profit du système au détriment des outsiders. Les familles nombreuses aisées sont parmi les bénéficiaires nets de la redistribution. À l’inverse, comment expliquer qu’avec 400 milliards d’euros de dépenses sociales (15 % de la dépense sociale mondiale, lit-on parfois) la grande pauvreté ne cesse de gagner du terrain ? Il suffit de lire les premières pages de Vernon Subutex, où Virginie Despentes décrit comment un allocataire du RSA se fait renvoyer par sa conseillère CAF, pour comprendre l’injustice de notre politique « sociale ».

Le revenu universel y mettra fin. Une somme satisfaisant les besoins de base sera versée à tout citoyen de manière pérenne et automatique. Libre à lui d’en faire l’usage qui lui convient, sans contrôle ni contrepartie. Même si l’on conçoit le revenu universel sous la forme d’un impôt négatif, à l’instar des libéraux, le travail paiera toujours plus que le non-travail. Ce qui n’est pas le cas du système actuel, grevé d’effets de seuil.

Ce qu’il faut retenir

Les nouvelles formes de travail qui bousculent notre modèle social redonnent une actualité à la vieille idée (née au xiiesiècle) de verser, sans condition, une somme fixe à chaque citoyen. Dans son rapport au gouvernement, remis en janvier dernier, le Conseil national du numérique propose de mettre l’idée à l’essai.

L’idée d’une déconnexion du revenu et de l’emploi traverse tous les courants. Les néolibéraux y voient un moyen de réduire le rôle de l’État, les keynésiens, un moyen de soutenir la demande, les anticapitalistes, une étape dans la socialisation des revenus. En France, l’idée séduit à la fois certains députés Les Républicains et PS. Cet intérêt commun cache des visions différentes du dispositif, des montants envisagés ou des mesures associées.

Des expérimentations très localisées ont eu lieu en Inde, en Namibie, au Canada, au Koweït, à Singapour et au Brésil. La Finlande se lance. Il n’y a jamais eu de déploiement à l’échelle d’un pays.

En chiffres

Selon les courants, le montant envisagé du revenu de base s’échelonne entre 524 euros mensuels (l’équivalent du RSA socle) et 1 000 euros par mois.

Source : Conseil national du numérique (CNNum).