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Le business naissant de la pénibilité

Dossier | publié le : 03.03.2016 | N. L.

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Le business naissant de la pénibilité

Crédit photo N. L.

Cabinets de conseil spécialisés ou généralistes, certificateurs, groupes de protection sociale, avocats, éditeurs de logiciels… tous se mettent sur les rangs pour aider les branches et les entreprises à appliquer la réglementation.

Si la mesure de la pénibilité fâche les employeurs, elle fait les affaires de tous ceux qui peuvent les conseiller. « La loi incite les entreprises d’abord à comprendre les seuils de pénibilité et les enjeux, puis à identifier les métiers, les postes ou les tâches pénibles à partir de 10 facteurs, ce qui diffère sensiblement du ressenti que peuvent avoir les salariés et les managers », explique Jean-Jacques Ferchal, directeur de mission chez Technologia. Expert agréé CHSCT, le cabinet a naturellement investi ce nouveau marché. Il a ainsi été sollicité récemment par plusieurs sociétés du verre, du recyclage ou de l’hôtellerie de plein air pour effectuer des diagnostics.

De fait, l’essentiel des demandes des entreprises, à l’exception des plus petites, porte sur l’évaluation de la pénibilité. Un champ très concurrentiel, où l’on trouve les poids lourds de l’évaluation des risques et de la certification, comme Bureau Veritas ou Socotec, des petites structures telles que Capital Santé, Altaïr Conseil, Ariane Conseil ou Didacthem, mais aussi les grands cabinets de conseil en management, comme Leyton ou Ayming. « Nous travaillons sur les diagnostics pénibilité principalement depuis la réforme des retraites de 2010, qui comportait de nouvelles obligations, précise Yannick Jarlaud, directeur au sein d’Ayming HR Performance (ex-Alma CG). Mais depuis le début de l’année, nous avons de nouvelles demandes ou des demandes d’actualisation au regard des derniers décrets. »

Ariane Conseil doit également faire face à un afflux de dossiers. Initialement spécialisée dans le handicap puis la qualité de vie au travail, la structure a élargi son périmètre d’intervention. « Pour établir les diagnostics et les faire vivre dans le temps, nous misons sur un large transfert de compétences, avec des formations en salle et sur le terrain, détaille Annelise Wiart, consultante. Les binômes évaluateurs, composés de représentants de la direction et du personnel, permettent de s’approprier la méthodologie et de dépassionner les discussions. » Une approche différenciante que revendique aussi Technologia. « Si on veut éviter de créer un dispositif hors-sol, connu de quelques initiés, il faut, à partir d’outils très simples, informer les salariés et former les managers et les partenaires sociaux, et déployer les plans de prévention », plaide Jean-Jacques Ferchal. C’est précisément pour aboutir à un diagnostic partagé que l’Aract Haute-Normandie a monté en juin dernier un cluster pénibilité avec cinq PME, représentées chacune par un binôme employeur-salarié. « Il ne s’agit pas de décrypter les décrets, mais de sortir d’une vision « sécurité » pour faire émerger une stratégie interne de prévention, analyse Sophie Maurel, chargée de mission. Les participants bénéficient d’apports méthodologiques, échangent sur leurs pratiques, travaillent sur leurs données RH et santé et repèrent les enjeux. » En parallèle, l’Aract anime aussi un groupe de travail dans chaque entreprise en vue d’aboutir à des plans d’actions mi-2016.

Marché de la traçabilité

Ce versant amont de l’évaluation intéresse aussi certains acteurs commerciaux. « Il ne faut pas précipiter les diagnostics, explique Patrick Lévy, directeur de l’agence santé et risques produits de Socotec. Nous travaillons avec plusieurs groupes sur leurs enjeux, leurs obligations et la meilleure stratégie à adopter, notamment pour bien articuler les nouveaux seuils, le Code du travail, les référentiels de branche et les normes européennes, particulièrement nombreuses sur les produits chimiques. » Socotec s’est par ailleurs associé au cabinet DS Avocats pour compléter son offre. « Un regard juridique souhaité par les ETI comme par les grandes entreprises, confirme Sébastien Millet, associé d’Ellipse Avocats. Via des formations-conseils sur le nouveau cadre législatif et l’appui à la mise en place de plans d’actions sécurisés. »

Mais c’est le marché de la traçabilité des salariés exposés qui aiguise le plus les appétits, après celui du diagnostic. Attirant tout naturellement les éditeurs de logiciels, de toutes tailles. Comme Cognitic, société toulousaine de quatre salariés. « Nous avons développé un calendrier prévisionnel des postes pénibles, déjà utilisé par certains hôpitaux, expose le gérant, Claude Saunal, par ailleurs expert-comptable. En fin d’année, nous vérifions qui sont les salariés qui ont réellement occupé les postes, ce qui facilite la déclaration annuelle à la Cnav. » Une solution aux fonctionnalités toutefois limitées. « Le logiciel doit s’adapter à la méthode retenue pour l’évaluation des risques, pas l’inverse, affirme Yannick Jarlaud, d’Ayming. C’est le cas de notre plate-forme, dont s’équipe un nombre croissant d’entreprises, qui assure une traçabilité individuelle. »

L’approche sur mesure est recommandée par de nombreux acteurs pour les moyennes et grandes entreprises. Plus complexe à mettre en œuvre que celle collective permise par les référentiels de branche – et pas opposable –, elle s’avère néanmoins plus équitable. Et surtout moins chère puisqu’elle n’oblige pas à raisonner par familles entières de métiers, limitant ainsi le nombre de salariés concernés et le montant des cotisations. Avec un historique des expositions individuelles utile pour la prévention et sur le plan juridique.

Multiples alliances

Pour être présents sur l’ensemble de la chaîne de la pénibilité, les acteurs spécialisés multiplient les alliances. L’éditeur de gestion des temps Bodet Software s’est associé avec la société ITGA, experte HSE (hygiène, sécurité et environnement), qui produit des fiches d’exposition individuelles et de prévention, des plans d’actions et des documents uniques d’évaluation des risques (DUER). De son côté, Ariane Conseil s’appuie sur l’éditeur 1-One pour un suivi automatisé et durable de sa démarche de diagnostic-prévention.

Didacthem a opté pour une démarche encore plus globale… Disposant de sa propre solution logicielle, ce spécialiste de la prévention santé a noué un partenariat dès 2012 avec AG2R La Mondiale. Un assureur engagé de longue date dans des démarches de prévention – par exemple dans la boulangerie –, qui aide les branches à financer les prestations de Didacthem sur la pénibilité. « Cette montée en puissance des groupes de protection sociale est tout à fait souhaitable, affirme Hervé Garnier, secrétaire national de la CFDT. À condition qu’ils n’individualisent pas les contrats en fonction des risques. » Ce qui n’exclut pas, à terme, que ces groupes offrent des réductions de cotisation aux entreprises actives en matière de prévention, comme ils le font déjà en matière de sécurité, notamment incendie.

Vers une redistribution des rôles

Contrairement au DUER, du ressort des responsables hygiène, sécurité, environnement dans les entreprises d’une certaine taille, la gestion du compte pénibilité incombe aussi à la fonction RH. Suscitant des conflits de territoire. Mais les RH semblent prendre la main, à la faveur du volet compensation (traçabilité et points pénibilité), qui s’ajoute au volet prévention. « La pénibilité a pour effet de rapprocher les services HSE et RH, estime Patrick Lévy, de Socotec. Elle ouvre la voie à une construction conjointe des parcours professionnels, prenant en compte le facteur pénibilité évalué par les HSE et le plan de carrière géré par les RH. Ce qui peut conduire à imaginer des passerelles entre les métiers. »

« Auparavant, la fonction HSE était surtout constituée d’experts rattachés aux services techniques, approuve Yannick Jarlaud, d’Ayming. Il y a une évolution progressive, et vertueuse, vers les RH, qui devrait s’accentuer avec la nouvelle réglementation pénibilité. » Autres acteurs impactés : le CHSCT, dont le rôle devrait encore se renforcer, et les services de santé au travail, qui pourraient mettre leur approche pluridisciplinaire au service de la nouvelle évaluation des risques, sous peine d’être marginalisés.

Auteur

  • N. L.