logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Décodages

Darty et Fnac, le choc des cultures

Décodages | publié le : 03.03.2016 | Éric Béal

Image

Darty

Crédit photo Éric Béal

Salaire variable, promotion interne : entre l’inventeur du contrat de confiance et l’agitateur culturel, il y a des proximités. Mais aussi de réels écarts en termes de statut ou de culture revendicative.

Dans la distribution, la culture s’est mariée avec l’électroménager. Début novembre, après moult hésitations et tergiversations, les actionnaires de Darty ont accepté l’offre d’achat d’Alexandre Bompard, le P-DG de la Fnac. Celui-ci ayant promis que les deux enseignes conserveraient des magasins séparés, le rapprochement devrait être assez transparent pour les clients. Mais les salariés redoutent, eux, les conséquences sur l’emploi. La très payante diversification de la Fnac dans les cafetières ou les aspirateurs haut de gamme va-t-elle être remise en question ? Le service après-vente de Darty, point fort de l’enseigne, va-t-il « manger » celui de la Fnac ? Dans les fonctions support, les troupes sont particulièrement inquiètes. « Ce rapprochement engendrera forcément des restructurations dans les sièges et la logistique. Alexandre Bompard a parlé d’une économie de 80 millions d’euros par an sur les trois prochaines années », note un cadre de la Fnac. « C’est la catastrophe. Socialement, ça va être terrible », estimait la CFDT de Darty, après l’officialisation du rapprochement.

Pour le moment, nul ne connaît les intentions des dirigeants. Avec la fin du projet Fnac 2015, les élus du personnel sont laissés à leurs interrogations. « Nous ne recevons aucune réponse sur l’avenir du groupe. Nous apprenons tout par la presse, c’est tout juste si on nous a dit que la fusion devrait être achevée fin 2016 », déplore Bruno Marc, délégué CFTC à Montpellier. Idem du côté de Darty, où la direction, laissée dans le flou, refuse de parler à la presse. Mais la logique comptable n’est pas le seul ingrédient d’une fusion réussie. L’amalgame des cultures d’entreprise, des modes de management et des politiques RH pèse aussi très lourd.

Chasse aux coûts

Côté similitudes, le cost killing est présent dans les deux enseignes. La concurrence d’Internet et l’affaissement des ventes en magasin ont conduit les directions à faire des économies drastiques. « Pour redresser les comptes, la Fnac a certes cherché à diversifier l’offre de produits. Mais l’amélioration des résultats comptables vient d’abord de la réduction de la masse salariale. Nous avons enregistré la disparition de 1 500 postes en quatre ans, dans tous les secteurs », détaille Thierry Lizé, délégué central FO. « Nous avons eu un plan social par an entre 2012 et 2014 sur l’ensemble des entités. En moyenne, nous perdons 6 % de l’effectif chaque année depuis 2011 », enchérit Boris Lacharme, son homologue à la CGT.

Chez Darty, les mauvais résultats ont conduit la direction à établir un plan de sauvegarde de l’emploi voilà deux ans. Un plan de départs volontaires de 280 personnes a également été ouvert l’été dernier. « Les partants ne sont jamais remplacés. Les jours de grande affluence, les chefs et les cadres viennent compléter les équipes en magasin », raconte Esperanza Garrido, déléguée FO à Montpellier. À la Fnac aussi, la chasse aux coûts se répercute sur la gestion du personnel. Selon les syndicalistes, le nombre de responsables RH a baissé, chacun ayant maintenant plusieurs magasins sous sa responsabilité. Le budget formation s’est également réduit. Quant aux salaires, ils stagneraient « pour la sixième année consécutive ».

Guelte ou variable

Les deux chaînes de magasins ont un système de rémunération variable. Mais des pratiques différentes en la matière. Les salariés de Darty se contentent de petits salaires, complétés par une guelte sur les ventes qui fait partie de la culture interne depuis la création de l’enseigne. « Les vendeurs ont un fixe au-dessous du Smic, ils doivent cravacher pour atteindre un salaire correct. Ceux qui n’y arrivent pas reçoivent le « salaire minimum qualifié », prévu par la convention d’entreprise, dont le montant dépasse le Smic d’une centaine d’euros », décrit Jean-Marc Miduri, délégué CGT en région parisienne.

Leurs homologues à la Fnac, eux, sont un peu mieux lotis avec un salaire fixe égal au Smic en province et un peu supérieur à Paris. Depuis le début des années 2000, ils bénéficient également d’une rémunération variable calculée sur leurs ventes. « Une petite partie est partagée entre tous les vendeurs d’un rayon et dépend de la qualité de l’accueil. Le reste est individuel. Ça crée une mauvaise ambiance. On assiste parfois à des bagarres, en salle de repos, quand l’un accuse un autre de lui avoir volé son client », décrit Sébastien Boury, secrétaire du comité d’entreprise de Fnac Paris. « Le système crée de grosses inégalités, abonde Bruno Marc, délégué CFTC. Les vendeurs en informatique et téléphonie peuvent proposer des services complémentaires qui augmentent leur chiffre d’affaires, ce que leurs collègues en caisse ou au rayon livres peuvent rarement faire. »

Dans les deux maisons, le chiffre d’affaires réalisé sur les sites Internet a décollé. Le multicanal (commande en ligne et récupération de la marchandise en magasin) compte pour 20 % des ventes sur darty.com et pour 35 % sur fnac.com. De nouveaux modes de consommation qui vont encore se multiplier. « Les attentes des clients ont évolué, explique Frédérique Giavarini, la DRH France de la Fnac. En magasin, les consommateurs recherchent maintenant des conseils d’usage plutôt que des informations techniques qu’ils trouvent facilement sur le Net. C’est pourquoi nous avons ciblé davantage les formations sur l’amélioration de l’expérience clients. »

Dans les deux enseignes, on dit faire de la promotion interne une valeur forte. « Il y a beaucoup de promotions internes chez Darty. Les gens sont attachés à l’entreprise », affirme ainsi Bernard Bacot, ancien cadre de la maison et président de l’Union syndicale CFE-CGC de l’audiovisuel. « Les managers sont le plus souvent des gens de métier qui ont gravi les échelons, confirme Djema Chaïb, représentant FO en Ile-de-France. Mais ça n’en fait pas pour autant de bons communicants. » À la Fnac, qui revendique aussi une culture de l’ascenseur social, « les trois quarts des responsables de rayon ou de département, ainsi que des directeurs de magasin, sont issus de la promotion interne », affirme Frédérique Giavarini. Pas simple, néanmoins, de faire vivre cette pratique compte tenu de la stratégie suivie par les deux enseignes : pour se développer, elles misent sur la franchise, ce qui limite les possibilités d’évolution des salariés méritants.

Faible turnover

La DRH de la Fnac se flatte malgré tout d’un turnover assez faible, autour de 10 %. « Les salariés sont attachés à la marque, à ses valeurs et à nos produits », insiste-t-elle. Ce que contestent certains syndicalistes. « Nous avons 45 % de turnover chez Fnac Périphérie, affirme Bruno Marc. Les trentenaires s’en vont car on ne leur propose pas d’avancement et qu’ils subissent beaucoup de pression sur les résultats. » Pas de chiffre officiel sur la rotation des troupes chez Darty. Laquelle ne constitue pas, quoi qu’il en soit, d’après Djema Chaïb, un bon indicateur du bien-être au travail. « Le turnover est faible mais cela n’a rien d’étonnant. Vu le taux de chômage, quand on a un boulot, on le garde ! » s’exclame-t-il.

Quant au paysage syndical, il est radicalement différent chez les deux distributeurs. Du côté de Darty, CFE-CGC, CFTC, CFDT et CAT – la Confédération autonome du travail, qui fait office de syndicat maison – détiennent une large majorité. À la Fnac, le rapport de force est inversé. Première organisation, la CGT peut compter sur SUD et FO pour former un bloc contestataire pesant plus de 50 % des voix aux élections professionnelles. Un contexte qui influe sur les relations sociales, comme l’illustrent les récentes négociations sur le travail du dimanche.

Incapable de rassembler une majorité autour de son projet d’accord, la Fnac temporise pour tenter d’éviter un droit d’opposition. La direction de Darty, elle, peut s’enorgueillir d’avoir paraphé un texte largement consensuel. Alors même que les contreparties au travail dominical qu’elle offre sont de beaucoup inférieures à celles proposées par son futur partenaire ! Dans ces circonstances, il y a fort à parier qu’Alexandre Bompard entreprendra tout pour faire entrer la culture du dialogue social de Darty dans son entreprise. Et non l’inverse.

DARTY FRANCE

> 2,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

> 263 magasins (dont 41 franchises).

> 11 100 salariés.

FNAC FRANCE

> 2,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

> 124 magasins (dont 38 franchises).

> 8 500 salariés.

Éclatement contre centralisation

En matière de structuration, les deux groupes n’ont pas grand-chose en commun. La Fnac se caractérise par une cascade de sociétés. En tout une douzaine. « Historiquement, la direction a fait le choix de contourner les représentants du personnel parisiens, trop virulents à son goût. Pour chaque développement géographique ou d’activité, elle a créé une entité distincte. Les avantages sociaux et les conditions de travail ne sont pas les mêmes partout », explique Thierry Lizé, délégué central FO. Résultat, Fnac Voyages et Fnac Logistique côtoient Fnac Paris, Fnac Relais (province), Fnac Périphérie (capitales régionales) et Codirep (couronne parisienne). Mais la règle est souple. « Le magasin de Paris Bercy ne fait pas partie du périmètre de Fnac Paris mais de Codirep, où les syndicats sont moins puissants. Ce qui a permis à la direction de mettre en place la polyvalence pour les vendeurs, sans compensation », confie Boris Lacharme (CGT).

Chez Darty, c’est au contraire la centralisation qui prime. Le groupe est divisé en trois grandes régions : Grand Ouest, Grand Est et Ile-de-France. « Lors de la négociation de 2014 pour la réunification des cinq filiales en trois entités, la direction a accepté d’étendre le statut le plus favorable à tout le monde », affirme Esperanza Garrido, déléguée FO de Darty Grand Est. Mais ce dernier reste largement inférieur à celui dont bénéficient les troupes de la Fnac, plus revendicatives.

Auteur

  • Éric Béal