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Aller simple pour Aurillac

Décodages | publié le : 03.03.2016 | Emmanuelle Souffi

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Aller simple pour Aurillac

Crédit photo Emmanuelle Souffi

L’association Aurore propose à des familles franciliennes en difficulté de s’installer dans le Cantal. À la clé, un emploi et un logement. Des délocalisations pas simples à gérer.

Un saut dans l’inconnu… C’est ce que se dit encore aujourd’hui Marème. Avec son petit garçon de 10 ans, elle a tourné le dos fin novembre à une vie précaire en bordure de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) pour une plongée dans le Cantal. En région parisienne, cette trentenaire peinait à boucler ses fins de mois pour cause de missions aléatoires dans la restauration collective. « Financièrement, je ne m’en sortais pas. J’avais envie de tenter ma chance ailleurs, d’offrir un autre avenir à mon fils », dit-elle. La voici désormais installée dans un logement autrement plus confortable que son minuscule appartement francilien, insalubre. Et en bonne place sur la liste d’attente pour un poste dans les crèches de la ville.

Effet collatéral de la concentration urbaine dans l’Hexagone, les populations se regroupent sur des territoires parfois saturés qui n’ont plus rien à offrir. D’autres, boudés, pâtissent d’emplois non pourvus et de logements vacants. À Aurillac, le taux de chômage n’atteint que 6,5 %, un chiffre à faire pâlir d’envie certains quartiers de la Seine-Saint-Denis ou de l’Essonne. En deux ans, cette ville du Cantal a perdu plus d’un millier d’habitants. La faute à l’enclavement, au climat « montagnard » et à des jobs pas toujours adaptés aux plus diplômés. L’association Aurore a alors eu une idée originale : proposer à des Franciliens dans la galère de venir s’y installer, en leur offrant un accompagnement personnalisé.

L’expérimentation « un toit, un emploi » a vu le jour voilà deux ans. Elle s’appuie sur un solide partenariat avec le bailleur local, Polygone. À sa tête, Michèle Attar, une militante de longue date du logement social. Tous les mois, une quarantaine d’appartements se libèrent. Le rêve de tout travailleur social en Ile-de-France ! Plutôt que de perdre de l’argent faute de les remplir, autant favoriser la mobilité et l’accueil de familles « délocalisées ». « Sur les 36 000 actifs du bassin d’Aurillac, près d’un tiers va partir en retraite ou déménager, d’après l’Insee. Nous allons donc avoir de gros besoins de main-d’œuvre, pointe Pascal Lacombe, directeur général de Polygone. Ce type d’opération permet de jeter un autre regard sur le territoire et de créer un lien entre économique et social. » Le bailleur met aussi à disposition d’Aurore un appartement relais qui accueille, gratuitement, les nouveaux venus, lors de courts séjours de découverte.

Nouvel avenir

Ce n’est qu’une fois le logement trouvé et les pistes d’insertion bien définies que le grand saut est envisagé. Une dizaine de personnes ont déjà déménagé. Et cinquante autres sont attendues d’ici à 2017. Comme ce couple de Bulgares venus en France pour soigner leur enfant malade, aujourd’hui en rémission, qui ont dû quitter le foyer parisien qui les hébergeait. Pas de travail, pas de logement… Ils ont débarqué à Aurillac. Richard a pris la même direction. Après des années d’errance à Paris, il se dessine un nouvel avenir au pied des montagnes. Il a d’abord travaillé dans une conserverie d’escargots, Courbeyre, pour reprendre un rythme.

C’est Norman Delis, le chef du projet, qui se charge de tisser des liens avec les entrepreneurs de la région pour trouver des emplois. L’idée étant de dénicher des profils susceptibles de s’insérer rapidement et durablement dans le tissu local, en fonction des besoins de l’agriculture, du bâtiment, de la restauration ou des transports routiers. Tous les étés, en vue des agapes de fin d’année, Courbeyre traque les candidats. Cette petite entreprise d’une vingtaine de salariés voit ses effectifs grimper à plus d’une centaine. « On a souvent du mal à recruter, les gens ne restent pas, le métier est pénible », égrène Hervé Manhes, le responsable de la production. Richard, lui, a su se faire sa place. Malgré quelques écarts. « L’apport de gens extérieurs est une richesse, c’est important de les aider à remettre un pied dans le milieu professionnel », estime son chef.

Aurore travaille également avec l’entreprise d’insertion Acart qui accueille ces nouveaux arrivants en contrat à durée déterminée d’insertion de deux ans, le temps de se refamiliariser avec les codes de la vie au boulot. « Ça leur permet de retrouver un statut social. Mais deux ans, c’est bien trop court pour travailler sur les savoir-faire et savoir-être quand les problématiques de réinsertion sont lourdes », observe Annie Palurovic, la directrice. Chaque trimestre, ils sont évalués sur leur ponctualité, le respect des collègues et des consignes. En fonction, ils peuvent partir en stage d’immersion dans une « vraie » entreprise. Le chemin vers la stabilité est long. Et, étonnamment, il peut être troublant.

Peurs individuelles

Pour des publics en grande difficulté, cassés par les accidents de la vie, obtenir enfin ce que l’on a rêvé durant des années peut provoquer des réactions inattendues. Tel cet enfant en parfaite santé qui tombe soudainement malade. Ou cette mère qui s’effondre alors qu’elle était jusqu’alors solide comme un roc. Lorsque s’ouvre le monde de la « normalité », ceux qui naguère bénéficiaient du regard bienveillant des travailleurs sociaux sont ramenés au même rang que tout le monde. « Un toit et un emploi ne règlent pas tout. C’est un pari, souligne Norman Delis. Avoir le choix crée de l’angoisse. » Tel un ange gardien, ce spécialiste de l’accompagnement social veille à l’installation des individus, les accompagne dans leurs démarches, remonte le moral en cas de blues. Le suivi peut aller jusqu’à deux ans après l’installation. Ce jour-là, Marème craque. Trop de kilomètres la séparent de sa communauté, la ruralité lui pèse, elle qui n’a jamais quitté Clichy. Elle dit vouloir rentrer, quitte à appeler le 115. « Laissez-vous le temps, allez au bout de votre envie », lui conseille patiemment Norman Delis. La solitude réveille de vieux démons que Marème avait bien enfouis au fond d’elle. « Souvent, la précarité masque des blessures de vie qui refont surface une fois l’insécurité économique résolue », observe le chef de projet.

Outre les peurs individuelles, il faut aussi combattre les préjugés. À Aurillac, certains habitants redoutent de voir débarquer des titulaires de minima sociaux, craignant qu’ils ne plombent l’ambiance de la ville et piquent le travail des locaux. En Ile-de-France, des travailleurs sociaux s’interrogent aussi sur l’intérêt d’envoyer « à la cambrousse » des personnes fragiles. « Mais l’avenir, c’est la province, toutes ces petites villes qui se désertifient ! » clame Norman Delis, qui a lui-même quitté Paris pour les monts du Cantal. Financée par l’État et la préfecture, l’opération devrait être étendue dans le Lot, vers Cahors. Les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle, il y a pire endroit pour se reconstruire…

Auteur

  • Emmanuelle Souffi